Une collection d’âneries scolaires sur le développement durable… Enregistrer au format PDF

Géographie seconde – Sociétés et développement durable, Nathan, 2010
Mercredi 21 mars 2018

J’ai déjà conseillé la lecture du site de Jean-Marc Jancovici, excellent vulgarisateur des connaissances scientifiques du climat, de l’énergie, auteur de livres.

Je commente souvent le débat public pour critiquer des approximations ou carrément des discours idéologiques qui ne s’appuient pas sur les faits… La vie politique a créé depuis des années des étiquettes qui se présentent comme une réalité, et évitent l’effort de connaissance qui n’est jamais facile… Il y a ainsi des choses « vertes » et d’autres non, en se posant rarement des questions sur l’impact environnemental réel de ces choses « vertes »…

L’article publié par Jancovici sur un livre scolaire qui fourmille d’âneries est un bon exemple… dans un contexte qui n’est pas celui des réseaux sociaux, mais d’un éditeur sérieux pour un livre qui doit aider nos lycéens à comprendre…

Géographie seconde – Sociétés et développement durable, Nathan, 2010
(nombre de pages non précisé, 30€)

Nous avons beau jeu de nous gausser de Donald Trump quand il énonce une ânerie – et il n’en est pas avare – sur le changement climatique, ou plutôt sur le fait que tout cela n’est pas démontré. Car il est possible de trouver chez nous des propos qui, sur le fond, sont identiques, mais qui sont distillés dans un environnement qui les rend bien plus délétères : à l’école.

En effet, dans le manuel de géographie de Seconde « Sociétés et Développement Durable » dont la couverture figure en photo en tête de cet article, apparemment épuisé en version imprimée mais toujours disponible à la vente en version électronique, il est possible de trouver des propos que votre serviteur croyait disparus depuis longtemps des endroits « sérieux ».

C’est page 186 de ce manuel, reproduite ci-dessous, que se trouve la plus belle collection d’âneries.

Cette page comporte une section, intitulée « des controverses sur les origines du phénomène », où nos chères têtes blondes peuvent lire, dans la partie de gauche : « Une partie des scientifiques et les mouvements écologistes pensent que les activités humaines, en développement rapide depuis l’industrialisation du XIXè siècle, sont responsables du réchauffement global, en raison de l’émission croissante dans l’atmosphère de gaz à effet de serre (dioxyde de carbone, dioxyde de soufre, et méthane) qui retiennent sur terre une part plus importante de la chaleur émise par le soleil. »

Aie aie aie ! En un seul paragraphe, quatre erreurs :

  • le dioxyde de soufre est non pas un gaz à effet de serre, mais un polluant local responsable des pluies acides, et par ailleurs un précurseur d’aérosols soufrés qui refroidissent le climat et non le réchauffent (voir la section « aérosols » de la page sur les gaz à effet de serre).
  • ce n’est pas sous forme de chaleur que le soleil nous envoie son énergie (la chaleur ne peut pas traverser le vide qui nous sépare du soleil), mais sous forme de rayonnement ; la chaleur est produite par le sol qui absorbe l’énergie du soleil
  •  c’est bien évidemment la chaleur de la terre que les gaz à effet de serre piègent, et non l’énergie envoyée par le soleil ! Si les gaz à effet de serre absorbaient l’énergie du soleil, ils empêcheraient le rayonnement de parvenir jusqu’à la surface et de chauffer cette dernière, et cela refroidirait la terre au lieu de la réchauffer !
  • enfin assimiler les scientifiques et les militants écologistes revient à dire que les seconds sont nécessairement de bons porte-paroles des premiers. C’est malheureusement inexact : sur certains sujets les écologistes sont raccord avec la science (qu’ils exagèrent, mais bon, ce n’est pas trop grave à ce moment-là), mais sur d’autres ils défendent des positions qui ne sont basées sur aucun constat disponible dans la littérature scientifique. Les seuls à même de juger la science sont les scientifiques du même domaine (même un glaciologue ne sait pas apprécier la pertinence du travail d’un physicien des matériaux), et surement pas les militants écologistes, ni les politiques. Mais c’est le deuxième paragraphe qui est le plus pervers : « D’autres scientifiques, climatologues, géographes, historiens, pensent que le réchauffement actuel fait partie de cycles naturels qui existaient depuis longtemps. Plusieurs phénomènes naturels seraient à l’origine du phénomène : variations de la radiation solaire, rôle des éruptions volcaniques, oscillations de l’axe de rotation de la terre ». Suit une courbe de température concernant l’Europe, qui laissera penser à tout élève que le réchauffement n’existe pas, puisque sur cette courbe l’Europe serait moins chaude aujourd’hui qu’en 1200.

Aie aie aie une deuxième fois !

  • On admirera tout d’abord la perversité du procédé qui consiste à présenter les scientifiques compétents sur la question comme « une partie des scientifiques », mis au surplus dans la même catégorie que les militants (qui exagèrent toujours, tout le monde en est conscient, même quand on les aime bien), alors que les climatosceptiques sont présentés comme « climatologues, géographes, historiens », la mention de catégories précises apportant nécessairement du crédit.
  • les éruptions volcaniques majeures contribuent à refroidir la terre ; il est donc étonnant de les proposer comme des contributeurs possibles au réchauffement global
  • les variations des paramètres orbitaux sont de fait à l’origine des grandes transitions glaciaires-interglaciaires de la terre, mais cela concerne des échelles de temps – la dizaine à la centaine de milliers d’années – qui ne sont pas du tout celles du processus que nous avons enclenché,
  • enfin si c’était le soleil le responsable du réchauffement, la température devrait monter plus vite quand il y a du soleil (aux tropiques, en été, le jour) que quand il n’y en a pas, or actuellement la température augmente le plus vite là où il n’y a pas beaucoup de soleil ou pas du tout (aux pôles, en hiver, et la nuit). Cela empêche par construction que ce que nous observons actuellement soit le résultat d’une augmentation de l’énergie solaire.
  • la température planétaire actuelle est très supérieure à ce qu’elle était en 1200. Pour l’Europe, il est possible qu’il y ait peu de différence, mais l’Europe n’est pas la planète dans son ensemble !
  • enfin, mais nous n’en sommes plus à cela près, l’échelle de la courbe de température n’est pas homogène : chaque graduation de l’axe horizontal représente un siècle… sauf la dernière qui représente 10 ans, on se demande bien pourquoi. A l’exception de cette anomalie, cette courbe est issue d’un graphique publié page 202 du premier rapport du GIEC, en 1990. Mais il y a quelques différences : d’abord, dans le rapport du GIEC, il n’y a pas d’échelle verticale de température, et ensuite la courbe était accompagnée de la légende « Schematic diagrams of global temperature variations [for] (…) the last thousand years. The dotted line nominally represents conditions near the beginning of the twentieth century ». Mais Nathan la reprend sans préciser que c’est une vieille courbe (on a publié bien mieux sur les 20 dernières années) ni qu’il s’agit d’une courbe illustrative sans échelle verticale de températures !

Comme quand on aime on ne compte pas, le manuel nous offre un peu de rab page 256.

Pour illustrer l’incertitude sur les effets du changement climatique, les auteurs du manuel ont choisi de mettre l’affiche du film « Le Jour d’Après ». Il se trouve que ce film est bourré d’invraisemblances scientifiques, et notamment le fait que le réchauffement climatique pourrait provoquer une glaciation dans l’hémisphère Nord. Il se trouve que votre serviteur a eu à prononcer un petit discours le jour de l’avant-première de ce film. Comme pour tout film de science fiction, on ne saurait reprocher aux auteurs d’avoir pris leurs libertés avec la physique, mais cela empêche justement de se servir de ce film pour illustrer ce qu’est une incertitude scientifique, puisque ce film n’est pas compatible avec la science !

Car si le réchauffement climatique pourrait provoquer un arrêt de la dérive nord-Atlantique, et de ce fait une modification brutale du climat de l’Europe de l’Ouest, il est impossible que cela engendre une glaciation sur l’hémisphère Nord. C’est même l’inverse : par effet de transfert, dans un climat qui se réchauffe globalement, si un endroit se réchauffe moins vite ou pas du tout, cela signifie par construction une accélération du réchauffement ailleurs.

Bref il y avait beaucoup plus malin à faire que d’utiliser ce film pour illustrer les incertitudes de la science.

Puis, page suivante, encore quelques points discutables.

Dans cette page, les deux points critiquables sont :

  • La présentation du Fonds Français pour l’Environnement Mondial comme un acteur ayant la moindre influence sur la performance thermique des bâtiments en Chine, ce qui ne va pas aider les élèves à comprendre les ordres de grandeur. La construction en Chine représente chaque année de 1 à 2 milliards de mètres carrés, pour un coût de construction de l’ordre de quelques centaines de milliards d’euros au bas mot. Or, le budget des opérations financées par le FFEM (tous pays d’intervention confondus) est de 20 millions par an. Même si tout allait sur l’efficacité énergétique des bâtiments en Chine, cela ferait moins de 0,01% du chiffre d’affaires de la construction dans ce pays, ou encore le coût de construction d’un petit immeuble par an ! Comment peut-on laisser croire aux élèves que cela peut « améliorer l’isolation thermique et les systèmes de chauffage » ? C’est comme si on leur expliquait que l’on allège le poids des voitures en vidant le cendrier !
  • le fait que Copenhague, c’est-à-dire la 15è édition de la Conférence des Parties de la Convention Climat, ait été un échec. Savent-ils, nos chers auteurs de manuels, que l’objectif des 2°C, les 100 milliards du Fonds Vert et la clause de dommage pour les pays du Sud sont justement nés à Copenhague en 2009 ? Sans Copenhague, il n’y aurait jamais eu d’Accord de Paris, qui n’a fait qu’entériner dans des formes « classiques » ce qui avait été acté à Copenhague entre 27 chefs d’état dans la nuit du Jeudi au Vendredi de la deuxième semaine. Et si ces objectifs – 2°C, 100 milliards etc – sont apparus à Copenhague, c’est entre autres sous l’impulsion des USA et de la Chine… (je le sais, j’y étais). Le manuel dont je viens de commenter quelques pages n’est évidemment pas le seul disponible pour les élèves de Seconde, et il faut espérer que les autres pages sont d’une qualité plus élevées que celles qui figurent ci-dessus. Il n’empêche : on se demande bien comment de telles bêtises – dont on peut se demander si elles sont uniquement le fruit du hasard ou de l’ignorance – peuvent échapper à la vigilance de ceux qui sont chargés de vérifier que nos élèves apprennent des choses vraies, et ni des racontars médiatiques transformées en légendes urbaines, ni des énormités scientifiques. Pourquoi personne ne vérifie que le manuel est scientifiquement orthodoxe, quitte à l’envoyer au pilon si il contient des choses grossièrement fausses ? Peut-être que les éditeurs seraient un peu plus vigilants en pareil cas ?
Revenir en haut