IDEX, LABEX… outils de division des enseignants-chercheurs au service de la LRU Enregistrer au format PDF

Mardi 29 novembre 2011 — Dernier ajout jeudi 8 décembre 2011

Pour une fois sur ce blog, un article qui ne concerne pas la ville de Vénissieux, mais ma situation d’enseignant-chercheur. Les universités, comme tous les services publics sont restructurées de plus en plus violemment dans un processus de réduction des dépenses publiques, de privatisation accélérée, d’inégalités croissantes entre les gagnants et les perdants de la concurrence…

Ce texte a été mis en forme après une intervention en assemblée générale de mon établissement.

Les projets IDEX peuvent être vus de deux manières différentes ; comme une mise en œuvre des réformes structurelles de l’enseignement supérieur vers les objectifs de la LRU, de privatisation et de réduction du budget de l’Etat, mais aussi comme des dossiers portés par des enseignants-chercheurs, donc par certains de nos collègues. Ils sont ainsi un outil de division des acteurs de l’enseignement supérieur et notamment des enseignants-chercheurs.

Car certains d’entre eux, et notamment ceux qui ont des responsabilités d’établissements ou d’unités, sont fortement engagés dans ces projets. Ils peuvent être de manière déterminée les porteurs des objectifs gouvernementaux comme la directrice de la recherche à Reims Management School qui demande « de plus en plus à des profs d’être des leaders », ou encore celui de l’Université Technologique de Troyes, qui demande aux enseignants de choisir entre « se lancer davantage dans la recherche ou alors dans le management ».

Mais d’autres tentent de construire de vrais projets scientifiques en espérant ainsi développer une recherche et un enseignement de qualité. Ceux-là sont mis en avant par les institutions notamment les collectivités locales qui s’engagent elles aussi dans la mise en œuvre de ces projets, en les présentant comme positifs pour l’enseignement supérieur et sans jamais les situer dans le cadre des objectifs gouvernementaux de la LRU.

Le large mouvement social de 2009 dans les universités qui portait à la fois le refus de ces réformes et l’engagement pour la défense de la recherche et de l’enseignement supérieur public a été ainsi placé dans une impasse : comment en sortir ?

Les discours et les faits

D’abord en rappelant le plus souvent possible l’incroyable divorce entre les discours et les faits. Ce qui était une pratique connue des grandes entreprises privées dont les dirigeants font des conférences de presse assurant qu’il n’y a pas de licenciements prévus tout en engageant les dossiers concrets de restructurations est devenu le mode normal de « gouvernance » des institutions européennes ou nationales.

  • La stratégie de Lisbonne devait faire de « l’Europe l’économie de la connaissance la plus compétitive et la plus dynamique au monde ». 10 ans après, les faits sont catastrophiques pour tous les peuples européens soumis à ces plans d’ajustement structurels qui ont fait le renom désastreux du FMI dans les pays du Sud.
  • Le "Plan Licence" de Valérie Pécresse, présenté aux étudiants en 2007 dans le cadre de la LRU, annonçait réduire de moitié le taux d’échec en première année universitaire. Le constat du rapport du sénateur UMP Christian Demuynck cet automne cherche les « raisons du décrochage », sans bien sûr faire référence au constat qu’il y a « deux fois moins de moyens dans le premier cycle universitaire que dans les classes prépas » (Stéphane Tassel (Snesup) MEDIAPART, Nov 2011) .
  • L’objectif central de la LRU était « l’autonomie des universités », présentée comme une condition pour le plein exercice des compétences reconnues des enseignants-chercheurs. Mais deux ans après avoir choisi l’autonomie totale, Jacques Fontanille, président de Limoges explique que « malgré ses efforts pour rogner, sabrer, annuler des dépenses, il doit mettre son université sous tutelle ». Et les PRES ont tous été construits sur l’exclusion des enseignants-chercheurs de la gouvernance, 3 sur 30 pour Lyon et Grenoble, 0 sur 18 à Toulouse, 2 sur 25 en Bretagne, sans compter le « Board of directors » de Saclay…

La réforme et le budget

Tout le monde a retenu que les milliards du Grand Emprunt allait booster l’université française, et ceux qui travaillent sur les projets IDEX, LABEX et autres cherchent à accéder à ces financements apparemment « supplémentaires ». L’objectif global de réduction des dépenses publiques est pourtant affirmé dans le détail des mesures.

  • La présentation du Grand Emprunt fin 2009 par l’Elysée précise que « les intérêts de l’emprunt seront compensés par une réduction des dépenses courantes dès 2010 et une politique de réduction des dépenses courantes de l’Etat sera immédiatement engagée ».
  • La loi rectificative de Janvier 2010 supprimait 500 M€ au budget 2010 voté quelques semaines plus tôt et le ministre annonçait que « les opérateurs de l’Etat devraient baisser dans les prochains budgets l’emploi de 5 % et les crédits de 10 % ».

Dans ce contexte, la situation financière grave de l’INSA n’est plus une anomalie locale, mais bien une situation répandue, connue du rectorat qui a la tutelle du budget depuis 2 ans, et qui devient une opportunité pour accompagner les projets de restructurations qui vont maintenant pouvoir s’afficher comme des nécessités objectives :

  • Le budget primitif 2011 de l’INSA (de l’ordre de 60M€, hors salaires fonctionnaires), déjà très serré (- 40% de fonctionnement sur la formation par rapport au budget 2010), masquait un déficit estimé de -3M€ en sous-estimant des postes essentiels comme les salaires sur ressources propres ou les loyers 2009/2010 des résidences impayés à l’OPAC.
  • Le manque de trésorerie accumulé dépasse sans doute -5M€ et le rectorat demande aujourd’hui que l’établissement retrouve rapidement un fonds de roulement de l’ordre de +15 M€.
  • La faiblesse de gestion interne qui se révèle par l’accumulation de dépenses non budgétisées, dépassant 1M€ en 2011, est un excellent prétexte pour culpabiliser le personnel et masquer les responsabilités réelles de la direction. Les compétences et l’énergie de tout ceux qui travaillent sur les projets PRES auraient été bien utiles pour renforcer la collégialité de la gestion de l’établissement lui-même.

Agitations, stratégie et démocratie…

Pour beaucoup d’acteurs de l’enseignement supérieur, le constat d’un échec du mouvement de 2009 comme l’apparente inéluctabilité des réformes conduit à un sentiment d’impuissance. Le contexte politique le favorise. Le non au traité constitutionnel n’a pas empêché son application, les plus fortes journées de manifestation pour les retraites n’ont pas freiné leur réduction, et la crise qui s’aggrave promet à tous austérité et rigueur… Ne faut-il pas sauver ce qui peut l’être et tenter de tirer son épingle du jeu ?

Mais la crise pose justement une question nouvelle. Qui peut dire ce que le Grand Emprunt va rapporter effectivement à l’Etat ? Qui peut assurer que le Grand Emprunt ne sera touché par aucune « décote » ? Faut-il le placer en dette grecque ou en dette italienne, en pétro-dollar ou chez Areva ? Car pour qu’existe une « carotte » pour les bons élèves, il faut des intérêts positifs du Grand Emprunt ! Sinon, il ne restera à tout le monde que les restrictions, celles qu’on connaît déjà et celles qu’on ne connaît pas encore !

L’accélération des réformes, des projets, des décisions donne le tournis. Les PRES ne sont pas encore vraiment mis en œuvre qu’ils sont déjà dépassé pour le gouvernement, qui les considère comme encore trop porteur de l’existant universitaire et préfère désormais le statut de grand établissement (ou d’EPSCP avec statuts dérogatoires) adossé à une fondation de coopération scientifique (de droit privé), accélérant le travail de séparation entre l’excellence et la base… Comme l’écrit le journal La tribune, « Cette succession de mesures depuis 2006 conduit à une confusion générale, en mélangeant les logiques d’autonomie, de territoire et de regroupement. »

Mais comment savoir ce qui se décidera demain ? Sans évoquer l’incertitude politique de 2012, il est clair que nos pays vont vivre des restructurations accélérées, que ce qui a été dit hier et qui n’est plus vrai aujourd’hui, le sera peut-être demain, à moins qu’autre chose ne soit mis en avant… Peut-on fonder une stratégie d’établissement, en enseignement comme en recherche sur de tels sables mouvants ?

De fait, cette agitation est bien un mode de gouvernance qui interdit justement la démocratie ! Dans un milieu universitaire symbole dans toute l’histoire de la liberté de pensée, de recherche, de connaissance, l’agitation des réformes sert surtout de masque à la dépossessions des universitaires de leur responsabilité professionnelle, scientifique, et même sociétale.

Le simple fait de réaffirmer collectivement une exigence forte de démocratie, de collégialité, de transparence dans les projets est un renversement complet des choses.

D’autant que l’enjeu fondamental est bien celui de l’emploi public dans la recherche et l’enseignement supérieur ! La réduction globale des dépenses est certaine dans le cadre actuel, et son rythme peut s’accélérer rapidement. Mais le statut de fonctionnaire, la garantie de l’emploi elle-même peuvent s’évaporer rapidement ! La loi sur la mobilité transforme ainsi le fonctionnaire en agent de l’établissement. Son indemnité qui apparaissait dans le budget de l’état est désormais intégré dans le budget global de son établissement. Et il suffit de quelques adaptations réglementaires pour permettre son licenciement en cas de suppression de poste… (c’est déjà le cas pour le ministère de la défense avec l’article 43 de cette loi, que certains ont tenté d’appliquer dans d’autres secteurs)

Ce mois de juillet 2011, un élément du refus de Paris 6 Jussieu de faire partie de l’IDEX était la volonté du président de transférer 58% du budget de l’université dans l’IDEX, donc une grande part de la masse salariale, les personnels devant signer un contrat avec l’IDEX…Si ce point n’est pas évoqué pour l’IDEX Lyon-St-Etienne, il faut rappeler que la loi LRU assure le paiement des fonctionnaires de l’enseignement supérieur par le trésor public jusqu’en 2013… Après ce seront les établissements, qui seront autonomes bien sûr…

A nous de dire ce que nous voulons !

On nous promet de perdre des droits et des statuts, pour que certains gagnent peut-être et que beaucoup perdent sûrement.

Et pour cela, les dossiers, les sigles, les décisions se multiplient sans cesse, organisant un émiettement apparent de l’université, qui masque une très forte concentration des décisions.

Nous pouvons au contraire, choisir de faire vivre la démocratie imparfaite de nos institutions, de la renforcer de notre mobilisation, pour faire apparaître une alternative dans laquelle les projets scientifiques et pédagogiques pourront trouver une place comme projets des équipes de terrain, portés par les personnels, pour le développement de la recherche et de l’enseignement supérieur public.

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