L’USINE ALTEO : UN LONG COMBAT POUR PRODUIRE PROPRE Enregistrer au format PDF

l’affaire des boues rouges à Marseille
Jeudi 22 septembre 2016

Cet article ouvre à minima le débat sur la manière dont les médias nous permettent (ou justement ne nous permettent pas) de comprendre un enjeu du développement durable dans toutes ses composantes, environnementales, sociales et économiques.

Vous avez tous entendu parler des boues rouges de l’usine d’alumine de Marseille, mais sans doute jamais de ce que raconte cet article, fait par une jeune chercheur et un ingénieur, qui ne dépendent en rien des multinationales de l’aluminium…

C’est le même sujet que pour l’usine Carbone Savoie. Nous ne voulons pas fermer l’usine, et nous voulons qu’elle réduise fortement ses pollutions…et nous y sommes parvenus à Vénissieux, même si depuis la revente par le groupe Rio Tino, l’usine est en péril…mais c’est la mondialisation capitaliste qui est la cause, pas l’environnement…

Ségolène Royal se trompe totalement sur ce sujet, elle devrait faire le siège des actionnaires pour obtenir les financements nécessaires à la fin du rejet des eaux rouges…

L’USINE ALTEO : UN LONG COMBAT POUR PRODUIRE PROPRE

PAR AURÉLIE BIANCARELLI-LOPES [1] ET LUC FOULQUIER [2]

Comment concilier la production industrielle et la préservation de l’environnement ? Une analyse de cette controverse à partir du fameux cas des « boues rouges », issues de l’usine d’alumine Alteo, à Gardanne.

Depuis le 1er janvier 2016, l’usine Alteo, installée à Gardanne (Bouches du- Rhône) depuis 1893 et première productrice d’alumine technique au monde, n’est plus autorisée à rejeter les boues rouges dans la mer Méditerranée. Depuis cette date, des voix s’élèvent pour dénoncer l’existence de l’usine et de ses rejets. L’usine a été revendue plusieurs fois depuis 2004 (Alcan-Rio Tinto et, auparavant, Pechiney Ugine Kuhlmann). Elle appartient depuis 2012 au fonds d’investissement HIG Capital. Il va sans dire que le projet industriel a été abandonné au profit d’une logique de rentabilité financière et c’est bien d’ailleurs là une grande partie du problème.

L’USINE D’ALTEO, L’ALUMINE ET LES BOUES ROUGES

L’alumine est produite selon un procédé d’extraction chimique appelé procédé Bayer, du nom de son inventeur. C’est à ce jour la principale méthode d’extraction industrielle utilisée dans le monde, car la plus efficace ; elle induit cependant la production de boues rouges, qui sont des déchets polluants. Ces boues doivent leur nom à la présence d’oxydes de fer qui leur donnent une couleur caractéristique. La société Pechiney, qui exploitait l’usine à l’origine, avait obtenu en 1963 l’autorisation de rejeter en mer Méditerranée les effluents et les résidus de bauxite via une canalisation de plus de 55 km. La zone de rejets est située à 7 km de la côte et à une profondeur de 320 m ; les résidus se déversent dans le canyon de Cassidaigne, profond de plus de 2 000 m, aujourd’hui englobé dans le parc national des Calanques (créé par décret le 18 avril 2012).

VERS UNE GESTION MAÎTRISÉE DES DÉCHETS

En 1996, dans le cadre de la convention de Barcelone pour la protection de la mer Méditerranée, la société Pechiney s’est engagée à mettre un terme au rejet de boues rouges au 31 décembre 2015. Si le mode de production de l’alumine est toujours le même, la gestion des déchets a beaucoup évolué depuis l’ouverture de l’usine : c’est d’abord le stockage à terre des résidus qui a été privilégié, mais il fut abandonné à cause des risques sanitaires et écologiques associés ; par la suite, les rejets ont été déversés dans un canyon en mer Méditerranée après mélange avec de l’eau. Aujourd’hui, la réduction des volumes est possible grâce à des filtres-presses qui permettent de récupérer 40 % de résidus solides (appelés bauxaline), pour d’autres applications dans un processus d’économie circulaire. En 2015, le déversement des boues est arrêté, et l’usine Alteo ne rejette plus de déchets solides. Avec l’interdiction des rejets en mer, c’est le choix du stockage et de la valorisation des déchets qui a été fait ; des études sont conduites dans cet objectif, et une partie des déchets solides est déjà valorisée, en particulier dans le domaine du bâtiment et des travaux publics. Alteo a demandé à la préfecture de la région Provence-Alpes- Côte d’Azur une dérogation de dix ans pour mettre en œuvre les moyens nécessaires à la mise en conformité des installations. Après consultation par la préfecture des avis émis par les services publics et les organismes scientifiques compétents et indépendants, Alteo a obtenu l’autorisation de poursuivre la production à condition de régler les problèmes posés d’ici à 2021. Bien qu’il n’y ait plus de rejets solides, les procédés de retraitement utilisables actuellement ne permettent pas que les effluents liquides respectent intégralement les valeurs limites autorisées. Cela signifie en particulier que les eaux industrielles encore rejetées présentent un pH trop élevé (basique) et contiennent des particules métalliques ; en particulier, les concentrations d’aluminium, de fer et d’arsenic sont supérieures à celles autorisées par les normes environnementales en vigueur. C’est inacceptable. Il faut régler cette question et mettre en œuvre toutes les techniques adéquates pour obtenir de l’eau propre réutilisable dans le cycle industriel. Ce qui conduira à la suppression de la canalisation.

ALARMISME ET VOLONTÉ DE FERMETURE

L’ensemble des rapports et avis émis concernant cette question, qui a fait couler beaucoup d’encre, sont publics et consultables sur Internet. On peut ainsi pointer beaucoup d’incohérences entre des discours très alarmistes et la réalité scientifique des faits. Si certains ont agité, par exemple, le spectre de la radioactivité, on constate que les taux de radioactivité mesurée au niveau des déchets sont légèrement supérieurs à la radioactivité naturelle du site, et cette radioactivité, mesurée, est bien inférieure à celle des sols granitiques bretons ou limousins [3]. De même, près de deux cents tests réalisés entre 1998 et 2012 montrent l’innocuité générale des résidus en mer. Il a été observé dans la fosse de Cassidaigne une moindre richesse des espèces et de la population moyenne proportionnellement à la profondeur. Un tel phénomène est habituel sur la pente continentale et ne peut pas être attribué à une perturbation de l’éco – système. Bien que la situation actuelle en termes d’impact sur l’environnement ne soit pas satisfaisante, la remise en cause par différentes personnalités, soutenues par certaines associations et partis politiques, de la dérogation préfectorale signifie ni plus ni moins la fermeture de l’usine, qui emploie 443 salariés et environ autant de sous-traitants, sans compter les emplois induits en Europe. Le battage médiatique s’est fait sans jamais donner la parole aux salariés de l’usine menacée. Beaucoup considèrent, comme le PCF et ses élus, qu’il est possible de protéger le littoral méditerranéen et de préserver une filière économique pour maintenir l’emploi. Lors de son déplacement à Marseille au mois de mars 2016, Ségolène Royal, ministre de l’Écologie, a réaffirmé de manière démagogique son opposition au maintien de l’activité en posant un ultimatum de six mois pour la dépollution des eaux de rejets, ce qui est la négation des procédés de recherche déjà engagés, qui nécessitent plus de temps.

CONCILIER PROGRÈS INDUSTRIEL ET PROGRÈS ÉCOLOGIQUE

Il existe pourtant une solution alternative à la fermeture. La voie la plus respectueuse de la santé et de l’environnement consiste à exiger des actionnaires d’Alteo qu’ils investissent, d’une part, dans l’entretien et la modernisation de l’usine et, d’autre part, dans la recherche pour développer des procédés techniques innovants pour la mise en œuvre au plus vite d’une dépollution des eaux en toute transparence et sous le contrôle des personnes concernées : salariés, élus, populations, associations… Le tourisme ne doit pas être la seule perspective d’avenir pour l’emploi dans le département. Le savoir-faire des ouvriers est une richesse pour le développement de la région, et leur dire qu’ils n’ont qu’à se reconvertir est le signe d’un mépris manifeste. Il faut au contraire les écouter et travailler de concert avec eux pour construire l’industrie de demain. Un nouvel essor industriel est indispensable pour ouvrir des perspectives de développement humain durable. L’importance de l’alumine est telle que la production se fera à Gardanne ou ailleurs. La fermeture du site de Gardanne ne signifierait pas la fin de l’extraction de la bauxite et de la production de l’alumine. Nous ne donnons pas carte blanche aux industriels pour polluer ni ici ni ailleurs ! Aux délocalisations économiques ne doivent pas s’ajouter les délocalisations écologiques. Une production délocalisée sera source de plus de risques sociaux, sanitaires, professionnels et environnementaux. Ces questions ne doivent pas être abordées avec un prisme local car elles relèvent bel et bien d’enjeux humains et écologiques mondiaux. L’intégration des enjeux écologiques à nos ambitions industrielles ouvre de réelles perspectives de transformations des industries existantes – qui ont un fort potentiel de développement –, mais aussi de productions nouvelles (aéronautique, chimie verte, énergie, déconstruction navale…), de croissance alternative et durable (économie circulaire, plateformes industrielles, économie sociale et solidaire, nouvelles gouvernances) avec à la clé des créations d’emplois. Le combat des communistes est celui du rassemblement pour le développement social et économique qui émancipe les humains de la misère sociale et de leur propre exploitation tout en préservant l’environnement de la course aux profits, de la prédation du capitalisme.

[1Aurélie Biancarelli-Lopes est docteure en sciences des matériaux et nanoscience

[2Luc Foulquier est ingénieur chercheur en écotoxicologie.

[3La radioactivité mesurée représente 15 % de la radioactivité naturelle des sols granitiques bretons ou limousins.

Voir en ligne : lu dans la revue progressistes du PCF

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