L’eau, le vote, l’usager, le citoyen et la politique… Enregistrer au format PDF

explications de vote…
Vendredi 16 novembre 2012 — Dernier ajout lundi 19 novembre 2012

La délibération sur la gestion de l’eau du Grand Lyon a fait couler beaucoup d’encre, à vrai dire, beaucoup plus dans le petit monde médiatique et militant que chez les usagers de l’eau… Les diverses réunions publiques organisées dans l’agglomération ont réunis quelques centaines de personnes au total, et le rassemblement organisé par beaucoup de syndicats et partis politiques de gauche une centaine de personnes, 150 selon les plus optimistes, au Grand Lyon ce Lundi 12 Novembre.

On entend souvent dire que l’eau est un enjeu essentiel, un bien commun de l’humanité qui est indispensable à la vie, une ressource à défendre et à gérer avec attention pour garantir le droit de tous à l’eau…

Pourquoi alors un tel écart entre le buzz politique et la mobilisation citoyenne ?

Les réponses sont bien sûr multiples.

  • la situation politique quelques mois après la défaite de Sarkozy est surprenante et très différente de la folie de la victoire de la gauche en 1981. Le gouvernement annonce des mesures de rigueur face à la crise, les licenciements se multiplient dans l’industrie et les services, la pauvreté s’aggrave et tout le monde s’attend à ce que ça continue… Mais contrairement à la Grèce ou l’Espagne, en dehors des fermetures industrielles, la dégradation est plutôt lente. Pour la fonction publique et les grandes entreprises, pas de baisse brutale de salaires pour l’instant, et donc pas de grandes manifestations de colère… Attention d’ailleurs, ça pourrait venir quand on écoute le MEDEF…
  • si l’eau est indispensable à la vie, il faut bien dire que le développement de la France garantit aujourd’hui ce droit à l’eau à presque tout le monde… dans les cas extrêmes avec des équipements publics. La facture de l’eau reste limitée par rapport à d’autres charges. Pour une famille, l’eau coûte en moyenne 30€ par mois, alors que le transport et le chauffage coûte 2 à 10 fois plus cher…
  • le succès médiatique de la campagne du Front de Gauche aux présidentielles et la multiplication des groupes et courants politiques qui s’y inscrivent, d’origines communistes, trotskystes, alternatifs, citoyens, altermondialistes… a masqué la faiblesse du rapport de forces réel, dont chacun mesure aujourd’hui la réalité.

Tous ceux qui ont viré Sarkozy, y compris ceux qui l’ont fait en choisissant le vote utile sans illusion sur ce que ferait François Hollande, sont confrontés à ce constat : La crise frappe dur, mais les forces syndicales et politiques ne savent pas comment faire grandir un mouvement social à la hauteur de la situation historique.

La question n’est pas que Française. En Grèce ou en Espagne, si le mouvement social est beaucoup plus fort, il reste sans issue politique, et les « troïkas » et autre « directives » européennes s’appliquent, imposant une austérité qui non seulement ravage les salaires, les pensions et les services publics, mais aggrave la crise et ouvre la porte à des crises de société à l’échelle de ce qu’avait connu l’Amérique Latine sous la coupe du FMI il y a 20 ans…

C’est dans ce contexte que s’est posé la question de l’eau au Grand Lyon, et si les discussions ont été difficiles, et les votes divisés, c’est parce qu’au delà du dossier lui-même, aucune force politique n’a dit la vérité sur cette situation historique.

Concernant le dossier, il faut bien constater deux choses tout aussi vraies l’une que l’autre

  • d’un coté, pour la première fois, l’institution communautaire a ouvert le débat sur le mode de gestion de l’eau, et d’un point de vue technique, la réponse est claire et positive : Oui, il est possible de choisir la gestion en régie, cela demande un peu de temps, mais c’est économiquement possible, et le choix est donc purement politique. Les élus, notamment du groupe communiste, qui ont travaillé pour ce résultat sont donc légitime à le valoriser
  • de l’autre, la délibération telle qu’elle a été rédigée, et de plus telle qu’elle a été présentée par le président oralement en séance ou dans la presse, reporte une éventuelle décision au-delà du mandat suivant, et ne prend que l’engagement « d’étudier les conditions » d’un passage en régie. Sans aucune affirmation du président positive sur ce choix, les élus, notamment communistes, qui ont refusé cette délibération ont raison de le dire clairement…

Mais si une position unie des élus communistes n’a pas été possible, c’est bien aussi que le choix des autres partis du Front de Gauche de se faire entendre sur ce dossier pour marquer leur opposition au président du Grand Lyon, transformait le dossier en une action politique pour l’organisation de cette « gauche de la gauche ». J’ai entendu ainsi des élus communistes se demander s’il fallait dorénavant voter contre tout ce qui nous déplaisait, alors que depuis des années, le groupe communiste vote, souvent à mon grand regret, de nombreuses délibérations qui mettent en œuvre des politiques nationales que nous combattons : pôles de compétitivité qui donnent le pouvoir aux entreprises sur les laboratoires de recherche avec de l’argent public, restructuration de l’université…

Si je suis le premier à alerter sur la conception de l’agglomération que porte Gérard Collomb, critiquant notamment son inscription dans la concurrence entre grandes villes, son approche centralisatrice autour d’une super-administration qui prend toutes les compétences, son choix de laisser filer l’industrie du centre de l’agglomération, et les risques actuels sur la vallée de la chimie, le choix de poursuivre le développement historique à l’Est en contradiction avec l’objectif du SCOT et en passant sous silence les potentialités des portes du Sud aux portes de Lyon [1], je n’oublie pas que pour construire une alternative réelle, il faut évidemment ouvrir une issue politique, c’est à dire s’inscrire dans une perspective populaire majoritaire. Pour les communistes, c’est un double piège : soit la soumission aux choix conservateurs du parti socialiste, soit la confusion avec l’extrême gauche dans une position de simple « pression » sur un parti socialiste seul capable de porter les institutions. Dans les deux cas d’ailleurs, il n’y a plus de place pour un grand parti communiste autonome et reconnu par le monde du travail.

Ceux qui suivent l’actualité en Grèce me diront. Le mouvement Siriza est bien passé devant le parti socialiste ? Mais justement, ce qui est frappant, c’est qu’il le fait car le PS grec s’est totalement déconsidéré dans sa gestion loyale des diktats européens. Si ce mouvement reprend l’électorat socialiste, il le fait contre une part déterminante du mouvement social qui exige avec le parti communiste le refus de ces diktats. C’est pourtant quand ce que portent les communistes comme perspective de changement de société rencontre un mouvement majoritaire du peuple qu’une rupture politique est possible. Siriza en Grèce est devenu… le nouveau parti socialiste, annonçant sa gestion loyale dans le cadre des règles de l’Union européenne…

En fait, je ne m’éloigne pas de la situation du Grand Lyon, car tous les peuples d’Europe sont confrontés à cette situation. La différence vient justement de la force ou non du mouvement social, et de la capacité des partis à porter dans l’unité une perspective majoritaire de rupture politique.

Je pense que pour les communistes du Rhône, l’expérience est utile. Leurs élus ont voté ensemble un amendement qui ouvrait la voie à un compromis avec la direction du Grand Lyon. Gérard Collomb aurait pu accepter de modifier légèrement la délibération dans cet esprit pour permettre un vote plus large pour une décision qui aurait alors concrétisé le choix politique du scénario de mixité avec mise en œuvre d’ici 2020… Si les votes du groupe communiste se sont divisés finalement, ce n’est qu’un effet de cette situation politique, pas d’un désaccord de fonds. Tous les élus communistes se sont exprimés pour un compromis sur une régie partielle dans un délai court à travers leur amendement.

Il faut donc tirer une conclusion de cette période, qui confirme ce que les militants expérimentés savent depuis toujours. La médiatisation facile est toujours un piège, elle transforme les citoyens en spectateurs, parfois supporters d’un match au stade, mais le plus souvent supporters des têtes d’affiche à la télé. Ce qui fait bouger les rapports de force réellement, c’est le travail de terrain, dans les quartiers et les entreprises, pour faire grandir le mouvement social en conscience et en organisation. Il n’existe pas de raccourci « il n’est pas de sauveur suprême » dit le texte de l’Internationale.

Ceux qui veulent être utiles pour bousculer l’institution du Grand Lyon et en faire après 2014 un outil plus proche du monde du travail et des intérêts populaires peuvent en tirer une conclusion. Ils ont tout intérêt à renforcer ce que représente le parti communiste et ses élus dans l’agglomération.

[1ce que j’ai proposé d’appeler le « trou noir » Grand Lyonnais…

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