L’électricité, le grand froid et le climat… Enregistrer au format PDF

Une étude sur la production et la consommation électrique du mois de janvier
Vendredi 17 février 2017

L’étude de l’énergéticien Jean-Pierre Pervès est assez technique, mais les enjeux de l’énergie et du climat mérite de faire un effort pour remonter aux sources, si on ne veut pas se laisser entrainer par les vagues médiatico-politiques et leur simplifications publicitaires.

Pendant des jours, les médias nous ont alertés… Le réseau électrique français est en péril car l’autorité de sureté a fait arrêter de nombreux réacteurs nucléaires, et nous n’allons pas pouvoir gérer les pointes de consommation pendant une période de grand froid. Et la ministre de l’environnement a surfé sur ce discours médiatique pour valoriser la transition énergétique qui aurait permis avec les électriques renouvelables de passer le cap sans coupures…

Regardons donc précisément ce qui s’est passé et quelles sources ont répondu aux besoins électriques des Français pendant ces jours de grand froid… car on ne peut parler de transition énergétique seulement comme d’un débat d’idée, ou d’un débat médiatique. Il faut regarder les faits, et les très forts investissements dans l’éolien et le solaire depuis 10 ans devrait commencer à se sentir dans les résultats énergétiques… Or visiblement, heureusement que nous avons encore des restes du service public de l’électricité et un nucléaire important, sous contrôle d’une autorité de sureté indépendante, capable d’arrêter des centrales pour contrôle même au pire moment…

Comment le réseau électrique français a géré un mois d’hiver somme toute « normal » en janvier 2017

Depuis l’automne RTE (Réseaux de Transport d’Électricité, en charge de l’équilibre du réseau) s’inquiétait d’une fragilisation de nos moyens de production en raison de l’arrêt de plusieurs réacteurs [1], imposé par l’Autorité de Sureté Nucléaire (ASN).

Début janvier Météo France annonçait l’arrivée d’une vague de froid et, le 18 janvier 2017, Madame Ségolène Royal affirmait : "Aujourd’hui, avec les très bonnes conditions météorologiques, les énergies renouvelables, l’éolien et le solaire, vont produire l’équivalent de huit réacteurs nucléaires, huit gigawatts" , laissant entendre que les énergies renouvelables allaient assurer la stabilité du réseau. Vérité ou intox ?

Les courbes suivantes, extraites des données publiques de RTE (Eco2mix), devraient vous permettre d’en juger.

Janvier 2017 : comparaison consommation et production éolien + solaire
Figure 1 : Elle compare la production horaire cumulée de l’éolien et du photovoltaïque (en orange) avec la consommation (e n bleu) . Cette dernière suit une évolution journalière , avec des pics du matin et de la soirée , et hebdomadaire marquée par un appel de puissance plus faible pendant les week-ends

Quelles étaient en janvier 2017 les contributions de l’éolien et du solaire ainsi que de leur somme ?

Leurs puissances installées étaient respectivement de 11 ,7 e t 6,8 GW soit un total de 18,4.

En réalité les données de RTE indiquent que le 18 janvier à 12h30, comme le montre la figure 2, leur s production s horaire s cumulées était de 7,36 GWh pour une demande de 82,5 GWh à 12h30 , mais qu’elle n’était plus que de 4,8 GW h lors de la pointe du soir à 19h , quand la consommation horaire atteignait 93,3 GW h 2 .

L’affirmation ministérielle d’une contribution majeure de l’éolien et du soleil apparaît donc bien optimiste car sur un seul jour et pas à la pointe du soir.

Procduction ENR électrique horaire du 18 Janvier 2017
Figure 2 : Elle présente l’évolution de la production horaire, en MWh, de l’éolien (en bleu), du solaire (en orange ) , et de la somme des deux en gris pendant la journée du 18 janvier 2017 (données Eco2mix de RTE au pas de 1/4h)

Une période de grand froid s’est effectivement présentée entre le 17 et le 26 janvier. Cet épisode n’a cependant pas été exceptionnel puisque la puissance maximale appelée, proche de 94 GW, est considérée comme « médiane » par RTE, loin de ce qui s’était passé en 2012 avec un appel de 102 GW (soit une température plus basse de 3 à 4°C .

Mais le réseau était fragilisé car manquaient par rapport à 2016 environ 5 à 6 GW de nucléaire et 2 GW de centrales fossiles arrêtées. [2]

Quand on examine à la figure 3 l’éolien et le solaire en détail (par ¼ heure) pendant la période du 19 au 25, la plus froide, on constate que le niveau de puissance instantanée délivré par le cumul de ces deux énergies intermittentes , avec des maximums de 3 à 5 GW à midi et de seulement 1,5 à 3 GW lors des pointes du soir reste très inférieur à la puissance installée de 18,4 GW .

Puisssance instantanée ENR électrique du 19 au 25 janvier
Figure 3 : Evolution de la puissance instantanée en MW de l’éolien ( en bleu), du solaire (en orange) et de la somme des deux (en gris) du 19 au 25 janvier 2017

La puissance intermittente a été de 0, 79 GW le 2 janvier à 5h , soit moins de 1% de la puissance appelée. Lors du pic du soir, avec le seul éolien, la pr oduction n’ a couvert que 1,5 % de la demande le 22 janvier à 19h .

Les facteurs de charge (production réelle sur production à pleine puissance), si on observe les cinq jours consécutifs du 21 au 25 janvier, n’étaient que de 11,5 % pour l’éolien, 8,5% pour le solaire et 10,5 % pour cet ensemble intermittent. Sur l’ensemble du mois ils étaient respectivement 21,9%, 7,27% et 16,6%. Dans le même temps les centrales nucléaires opérationnelles ont fonctionné à quasi peine charge, entre 98 et 99%.

On voit clairement que la production d e s énergies intermittentes peu t être tr ès faible en hiver lors de pér iodes froides anticycloniques et que le réseau ne peut s’appuyer sur elles.

Les pays voisins nous auraient - ils sauvé ? La figure 4 ci - dessous compare les productions horaires intermittentes françaises et allemande s de janvier. Le parallélisme est flagrant et le vent était absent lors des périodes les plus froides en France comme au nord de l’Allemagne.

La situation de ce mois de janvier 2017 démontre une fois de plus que le foisonnement des productions en Europe de l’Ouest est très limité. Les cartes météorologiques montraient en effet un temps calme sur tout le nord de l’Europe.

Production électrique ENR France et allemagne, Janvier 2017
Figure 4 : Corrélation entre les deux production s éolienne et solaire française (en haut) et allemande (en bas) en janvier 2017

Globalement la France était cet hiver 2016/2017 fragilisée par la baisse temporaire du nucléaire français, en cours de résorption, l’arrêt de centrales fossiles anciennes, le manque de fiabilité de centrales fossiles encore opérationnelles car elles ne produisent plus de manière régulière pour laisser la place aux productions intermittentes.

Il a fallu faire appel au maximum aux centrales fossiles françaises, d’où des émissions de CO2 par kWh très sensiblement supérieures, passant en moyenne par rapport à janvier 2016 de 60 à 95 g/kWh, soit en augmentation de 58%. De plus nous avons basculé sur la même période d’une position d’ exportateur en 2016 (8 % de la production) à une position d’importateur ( - 3,7% de la production ), comme le dé montre la figure 5 ci - dessous :

Ecart consommation production électrique France Janvier 2017
Figure 5 : Comparaison de la production horaire en France en janvier 2017 en MWh en bleu et de la consommation en orange. La consommation a régulièrement dépassé la production et la France a dû faire appel aux importations. Celles-ci étaient très majoritairement d’origine fossile.

Equilibre des échanges avec les pays voisins…

Echanges électriques horaires France - Pays voisins
Figure 6 : De manière très inhabituelle la France a été très importatrice une bonne partie du mois de janvier 2017 pendant les périodes froides

Le cas de la Bretagne en janvier 2017

La Bretagne reste une région française très faiblement productrice d’électricité, qui repose massivement sur les productions du reste de la France, nucléaire et hydraulique essentiellement.

La contribution de la production bretonne à sa consommation a été de 11,6 % en janvier 2017 se répartissant pour les principaux moyens de production comme suit :

  • Fossiles : 3 ,3 %
  • Eolien : 4,9 % avec une puissance évoluant de 23 à 758 MW (la puissance installée était de 91 3 MW fin septembre 2016)
  • Solaire : 0. 3 % (la puissance installée était de 187 MW fin septembre 2016)
  • Hydraulique : 1.9 %

On constate, comme sur l’ensemble de la France , une contribution très faible de l’éolien lors des deux périodes froides. Par exemple du 20 au 25 janvier la contribution de l’éolien aux besoins a évolué lors du pic du soir de 1,1 à 1,9 % seulement du besoin, le solaire ayant eu un apport faible en milieu de journée .

Consommation électrique et production ENR en Bretagne (Janvier 2017)
Figure 7 : Comparaison des productions horaires cumulées de l’éolien et du solaire en Bretagne en janvier 2017 (en rouge) avec la consommation de la région (en bleu) , en MWh

La figure 8 ci-dessous présente en haut le détail des productions horaires de l’éolien et du solaire sur le mois. On constate la brutalité des évolutions de l’éolien pendant les perturbations atlantiques, évolutions qui doivent être compensées essentiellement par des centrales fossiles, et la modestie de la contribution du solaire en hiver. Les périodes anticycloniques (4 au 8 et 20 au 25 janvier) sont caractérisées par des productions éoliennes très faibles sur des journées et plus exceptionnellement des semaines (en 2012) . La courbe en bas présente en parallèle l’évolution des températures à Brest. On constate la faiblesse du vent lors des épisodes froids, et que les périodes ventées correspondent le plus souvent à des épisodes atlantiques plus doux. Il y a cependant eu deux épisodes courts de vent froid, avec un ressenti de froid accentué.

lien entre températures et production ENR électrique (Bretagne, Javnier 2017)
Figure 8 : Productions horaires en haut en MWh de l’éolien (en bleu) et du solaire (en rouge) en janvier 2017 en Bretagne et températures à Brest en bas

Les facteurs de charge (production réelle sur production à pleine puissance), si on observe les cinq jours consécutifs du 21 au 25 janvier, n’étaient que de 7,1 % pour l’éolien, 8,6% pour le solaire et 7,3% pour cet ensemble intermittent. Sur l’ensemble du mois ils étaient respectivement 19%, 5.7% et 16,8%.

On note de plus un profil éolien typique des mois d’hiver avec des épisodes de vents très violent, avec par exemple le 12 janvier une puissance éolienne qui a cru de 64 MW à 4h30 à 758 MW à 14h30 (82% de la puissance installée).

Faut-il vraiment conclure devant ces réalités !

La ministre lance une affirmation très inexacte puisqu’elle vante la production éolienne et solaire qui n’a dépassé une production horaire de 8 GWh que pendant 3 heures sur l’ensemble du mois, et s’est bien gardée de dire comment on gérait la crise le reste du temps !!

Contrairement à ce qu’affirment les promoteurs de l’éolien, on ne peut s’appuyer aveuglément sur un foisonnement à l’échelle de l’Europe en hiver. S’il avait fait quelques degrés de moins sur l’Europe (comme en février 2012), c’est tout le continent qui aurait pu disjoncter.

  • Le solaire était bien présent par un temps froid, sec et ensoleillé, mais avec un facteur de charge bien faible, de 8,5 % car c’était l’hiver !
  • Heureusement que le nucléaire était là malgré ses faiblesses temporaires ! Quelle idée de vouloir arrêter des réacteurs maintenant !!!
  • Quant aux allemands, faisant fi de leurs déclarations lors de la COP 21, ils se sont massivement replié sur charbon, lignite et gaz.
  • Et la Bretagne : le feuilleton de sa dépendance énergétique est loin d’être terminé.

[1Ces arrêts, liés aux effet d’une application rétroactive de nouvelles normes sur la composition des aciers de cuves et des générateurs de vapeur, auraient dû être mieux étalés dans le temps

[2Dans ce texte nous utilisons la puissance instant anée en MW ou GW et la production horaire en MWh ou GWh qui la production de 1 MW ou 1 GW pendant 1 heure

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