Loin d’un fait historique ou géographique…

L’euro-métropole de Lyon est un projet politique… de droite ! Enregistrer au format PDF

Lundi 20 mai 2013 — Dernier ajout mardi 21 mai 2013

Depuis des semaines, toutes les directions de la communauté urbaine de Lyon sont mobilisées sur la préparation de la future euro-métropole, sans attendre que la loi ne soit votée et qu’on ne connaisse son contenu final. Tous les décideurs font comme si tout était réglé, les questions de constitutionnalité résolue, la liste des compétences établie, le statut futur des communes clarifié…

On mesure à quel point la volonté politique des promoteurs de cette loi est déterminante pour bousculer tous les obstacles, les règles délibératives, les inquiétudes et incertitudes, et tous les calendriers. Ce projet aurait pu être le cœur du débat des élections municipales, donner ainsi toute légitimité à des décisions aussi fortes et permettre un calendrier de mise en œuvre maitrisé durant le prochain mandat pour arriver à une élection légitime de cette métropole en 2020. La justification répétée de cet empressement à avancer à marche forcée serait la nécessité de reconnaitre le « fait métropolitain » dans un contexte de concurrence qui rendrait nécessaire une décision courageuse, transcendant les partis, bousculant les habitudes et les rythmes électoraux, seule capable de « réformer » la France. Mais de quel « fait » géographique et de compétences parte-t-on ?

Quelle est la réalité géographique de ce « fait métropolitain » ? La réponse actuelle est qu’il s’agit de la communauté urbaine et ses 58 communes. Pourtant, la loi prévoyait d’accorder le statut de métropoles aux agglomérations « avec un aéroport ». Il faudrait donc étendre à l’Est la métropole. Et tout le monde sait que ce sera une très prochaine étape comme le montre bien le périmètre du SCOT actuel qui regroupe lui 72 communes et les communautés de communes de l’Est Lyonnais, apportant l’aéroport de St-Exupéry à la métropole, et celle des pays de l’Ozon, traversée par le futur tracé Sud du CFAL. Pourquoi ne pas le dire toute de suite ? Parce que cela soulèverait de trop nombreuses oppositions ! Tant qu’on est indépendant du grand maire de Lyon président de la communauté, on peut encore lui dire non, une fois dans la communauté urbaine, c’est beaucoup plus difficile…

Mais le périmètre naturel de la métropole est-il alors celui du SCOT ? Pas du tout ! Le SCOT publie de nombreuses études et cartes qui montrent au contraire que, selon le sujet étudié, le « fait métropolitain » s’étale de manière différente, jusqu’à « l’aire urbaine de Lyon » qui regroupe 296 communes et frôle Villefranche, Ambérieu, Bourgoin, Vienne, Saint-Chamond et Tarare ! Mieux encore, les interactions avec ces villes voisines et leur propre SCOT conduit à une « aire métropolitaine lyonnaise » regroupant 804 communes avec un « chapitre commun métropolitain » !

Si le projet Collomb-Mercier avait reconnu une telle ambition, il aurait été mort-né, regroupant contre lui la région, les départements voisins et la majorité des communes concernées… la grenouille qui se voyait plus grosse que le bœuf. Mais entre la communauté urbaine actuelle et l’aire métropolitaine, y-a-t-il un périmètre géographique naturel de ce si célèbre « fait métropolitain » ?

  • Pour le « réseau des espaces de nature périurbaine », le SCOT étudie les balmes viennoises, le Sud de la Dombes, les Monts d’Or et le Sud du Beaujolais, les Monts du Lyonnais, le Pilat…
  • Pour les infrastructures de transport, il évoque les projets régionaux dont le contournement Ouest de Lyon, un enjeu essentiel, une condition dit officiellement le Grand Lyon, du projet d’anneau des sciences ! Il situe les pôles logistiques majeurs de la métropole lyonnaise avec Lyon Sud-Est dans la communauté urbaine, mais aussi le Parc des Chesnes, la Plaine de l’Ain ou la plaine du Forez, et organise l’inter-modalité fer-fleuve sur Grenay et Salaise-Sablons, dans un maillage avec les trois grandes gares de la métropole dont Saint-Exupéry !
  • Quand le SCOT étudie l’accroissement du besoin de logement, il en place 150 000 dans son périmètre, pour l’essentiel celui proposé de la communauté urbaine, et 350 000 dans « l’aire urbaine », bien au-delà donc du périmètre annoncé de « l’euro-métropole ».

Résumons. Selon qu’on regarde les espaces naturels, le transport et la logistique ou le logement, le périmètre du « fait » métropolitain est différent. On peut poursuivre la comparaison pour l’économie, les bassins filtrants, les réseaux bleus… Le bassin d’emploi de la vallée de la Chimie déborde très largement de la communauté et du département, notamment sur l’Isère. C’est le cas de toute l’économie lyonnaise dont les emplois se diffusent dans la grande « aire métropolitaine ».

En quelque sorte, à chaque domaine, et donc à chaque compétence, un périmètre pertinent pour porter les questions collectives de la « métropole ». Il n’existe aucun fait métropolitain « naturel », il existe des réalités géographiques, économiques et sociales, des réalités d’interconnexions entre des territoires variés, à une échelle qui dépasse largement le périmètre de la communauté urbaine.

Qui peut justifier les compétences prévues dans le projet de loi pour l’euro-métropole de Lyon ? On y trouve les concessions de distribution d’électricité, mais pas les concessions de distribution de gaz, la gestion des espaces aquatiques, mais pas celle des espaces naturels (alors qu’elle est une des politiques existantes du Grand Lyon !). Les réseaux de chaleur, que demandait le Grand Lyon, n’y sont pas, ni le très haut débit que le Grand Lyon a pourtant pris en 2010 !

Ni la géographie, ni les compétences ne permettent de définir « naturellement » un périmètre métropolitain. La réalité est que le projet d’euro-métropole est d’abord et avant tout un projet politique de renforcement d’un « pouvoir » à travers une nouvelle institution. Il se met en place de manière pragmatique et limitée mais, une fois le pas franchi, il sera logiquement conduit à s’étendre, à se renforcer. Il deviendra de plus en plus difficile à un maire, et bien sûr à un habitant, de peser sur ce nouveau pouvoir. Dans un article prémonitoire « Des métropoles ingouvernables aux métropoles oligarchiques », le professeur de Sciences Politiques Lyonnais Gilles Pinson conclut : « Contrairement à la vulgate en vogue, une ville compétitive n’est pas nécessairement, loin s’en faut, une ville où règne la cohésion sociale. La construction d’une capacité d’action publique urbaine se fait aussi au prix de l’opacité politique, de la construction d’une pensée unique métropolitaine et de la marginalisation politique des groupes sociaux les plus modestes ! »

Bien entendu, ce projet de recentralisation autoritaire autour d’un pouvoir métropolitain interrogeait la place historique des communes en France. On se rappelle les échanges entre Gérard Collomb et Michel Mercier en 2009 dans une rencontre publique à Lyon sur le projet Balladur autour de cette question, et les difficultés en 2011 à faire accepter la suppression des syndicats dans le schéma départemental de coopération intercommunale. Les deux protagonistes ont donc fait profil bas « la commune reste le socle de la démocratie locale » répète Gérard Collomb. Et l’euro-métropole ne sera pas un monstre centralisé, elle va au contraire se « territorialiser » en renforçant les responsabilités des « conférences des maires », structure informelle de concertation qui deviendrait le « territoire » électoral futur de l’euro-métropole au suffrage universel, son outil de la proximité.

Mais à quel « fait métropolitain » correspondent ces futurs territoires de proximité ? De nombreux témoignages au club du développement durable montrent que selon les projets, l’espace de décision est différent, et ne correspond malheureusement pas aux « conférences des maires ». Pour ne prendre que des exemples que je connais autour de Vénissieux :

  • Pour la Vallée de la Chimie, Vénissieux discute avec Pierre-Bénite, qui n’est pas dans la conférence des maires de Vénissieux
  • Pour les réseaux de chaleur, Vénissieux discute avec St-Fons et Lyon mais pas avec Corbas
  • Pour les Grandes Terres, Vénissieux parle avec Feyzin et Corbas, mais pas avec St-Fons…

Bref, la métropole n’a pas de périmètres « naturel ». Elle n’est pas la reconnaissance d’un « fait » métropolitain. Il s’agit d’un projet de pouvoir politique concentré, aux moyens budgétaires supérieurs à ceux de région Rhône-Alpes toute entière, prélevant une part décisive des ressources fiscales locales et devenant donc totalement dominant dans les relations avec les communes, pour « peser » dans la concurrence mondiale. Mais cette concurrence se fait au profit de qui et contre qui ? Si aujourd’hui, un maire peut refuser une délibération du Grand Lyon concernant sa commune, il devra demain se plier à la décision de l’exécutif métropolitain.

Son organisation territoriale par « conférence des maires » n’a pas plus de pertinence géographique, économique ou sociale ! Les communes qui sont le vrai lieu de citoyenneté historique où organiser une concertation, où les élus peuvent être connus et accessibles, où ils peuvent se mobiliser pour un projet, affronter les contradictions d’intérêt et faire progresser l’intérêt général… Certes, tous ne le font pas. Certains favorisent au contraire le « pas dans mon jardin » renvoyant les problèmes sur leurs voisins… Mais les citoyens peuvent s’en saisir, et s’il faut interpeller un maire, ils savent le faire, alors que tenter d’interpeller un président d’agglomération ou de région… !

Enfin n’oublions pas l’arrêt récent du conseil constitutionnel donnant un coup décisif pour les communes à l’ancien principe de libre administration des collectivités locales. Devant les réticences de communes à se regrouper en communautés, préférant leurs syndicats intercommunaux dans lesquels elles gardent leur autonomie de décision, devant le constat que l’ancienne loi facilitant la « fusion » de communes, n’était pas utilisé (quand on demande l’avis aux habitants et à leurs élus proches, la réponse est claire « on veut garder nos communes »), le conseil constitutionnel vient de décider qu’il n’était pas illégal à un préfet d’imposer l’adhésion d’une commune à une communauté, contre l’avis du maire, de son conseil municipal et de ses habitants…

Et le projet de loi de l’acte III commence, dans un chapitre intitulé « Le rétablissement de la clause de compétence générale » à considérer que les collectivités locales s’organisent librement « dans le cadre d’un pacte de gouvernance territoriale débattu au sein de la conférence territoriale de l’action publique. » Bref, il va falloir jouer des coudes dans cette conférence pour négocier les limites de cette « libre administration » d’une commune !

La logique du projet d’euro-métropole est bien la digestion des communes dans ces « territoires » de 100 000 habitants issus des conférences de maires, pour la mise en œuvre de politiques métropolitaines décidées centralement, supports d’une déconcentration technique de certaines missions, mais sans plus de pouvoir politique que les mairies d’arrondissement. Le pragmatisme poussera à commencer par les plus petites communes, et le reste viendra dans le temps.

Un projet alternatif doit articuler les différentes échelles de décision, nationales pour garantir l’égalité et la solidarité, régionales pour l’équilibre des territoires entre urbanité et ruralité, centralité et mobilité, départementales pour garantir localement les solidarités nationales, communales pour enraciner toute politique publique dans la mobilisation citoyenne. L’intercommunalité peut alors s’organiser de manière adaptée aux réalités géographiques selon les missions et sur la base du choix des communes, la communauté urbaine assurant la cohérence des stratégies d’agglomération et la mutualisation technique nécessaire à leur mise en œuvre dans chaque commune. Une révolution institutionnelle est nécessaire pour une toute autre articulation entre les échelles, loin de la déconcentration technique de pouvoirs centralisés ou de la décentralisation concurrentielle des territoires, inventant une coresponsabilité des différents niveaux politiques de souveraineté.

Le lancement d’une pétition pour un référendum par l’association départementale des élus communistes et républicains est une bonne chose. Car il est de plus en plus clair que ce projet d’euro-métropole comme tout l’acte III de la décentralisation se place dans la continuité de la loi Sarkozy de 2010. Le consensus élargi d’une majorité départementale centre et droite et d’une majorité communautaire gauche et centre, nous révèle la nature politique de ce projet, un projet de droite présenté et défendu par la gauche gouvernementale. L’intervention citoyenne est indispensable et urgente. Comme en Alsace, elle peut bousculer bien des certitudes !

Nous sommes nombreux à sentir la nécessité d’une autre conception de la république, en tout cas pour ceux qui restent partisans de la souveraineté nationale, d’une république qui retrouve le sens de l’état, se libère de son carcan technocratique en portant la démocratie et l’autogestion à une nouvelle échelle, qui retrouve le sens de l’aménagement de la France, la libère de son carcan centralisateur avec l’ambition d’un développement harmonieux de tout le territoire, du re-développement de ces zones présentées comme perdantes de la concurrence, par une urbanisation distribuée apportant les services de grandes villes dans un réseau de villes à taille humaine.

Et nous travaillons à une autre communauté urbaine, fondée sur la solidarité, la redistribution, loin de cette concurrence dont l’acte III fait la clé du succès malgré les dramatiques convulsions économiques et sociales qu’elle génère, une communauté outil des communes pour "faire ensemble ce qu’une commune ne peut faire seule" et non pas pour "faire elle-même ce qu’une commune ne doit plus faire", qui organise l’inter-communalité et non pas la supra-communalité, une communauté outil du la citoyenneté, mettant des compétences humaines mutualisées au service de la proximité nécessaire à l’appropriation citoyenne avec les conseils de quartier, une communauté outil de la coopération régionale et internationale contre la concurrence au Sud, à l’Est comme au Nord.

Nous imaginons une autre « métropole », loin des villes-état allemande ou des zones spéciales chinoises, s’inscrivant dans une république Française à refonder. Construisons-nous la ville pour les canuts ou pour les soyeux ? Même si, dans l’organisation actuelle de la société, on ne peut penser les uns sans les autres, c’est le cœur de toute politique publique. Une démarche républicaine peut transcender les clivages gauche-droite sur des projets partagés par de larges majorités et construits dans une démarche citoyenne, pas dans la confusion politique d’un accord secret de dirigeants, une lyonnaiserie diront les commentateurs, mortifère pour les progressistes et les républicains dans un contexte de crise ou partout, les nationalismes, les intégrismes et les fascismes s’affirment !

Vos commentaires

  • Le 21 mai 2013 à 09:09, par Pierre-Alain En réponse à : L’euro-métropole de Lyon est un projet politique… de droite !

    j’ai oublié un élément de référence géographique pour identifier un périmètre potentiel… La notion d’agglomération, issue du code de la route qui la définit comme « un groupement d’immeubles sinon contigus, du moins suffisamment rapprochés, situés en bordure de la voie publique et donnant à celle-ci l’aspect d’une rue ». Un décret de 1958 ajoute l’intervention du maire pour défini « la limite des agglomérations » sous approbation du Préfet. De ce point de vue, "l’agglomération" est plus petite que la communauté urbaine actuelle !

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