L’informatique, la démocratie et les réformes… Enregistrer au format PDF

Jeudi 13 mars 2014

L’annonce récente du ministère des finances de « suspendre » le grand projet de centralisation des paies des 2,5 millions de fonctionnaires est un exemple de plus des « ratés » des grands projets informatique. Cela ne concerne pas que le secteur public, il y a eu aussi des échecs retentissant dans le privé. Aux USA la faillite d’une grande entreprise pharmaceutique a débouché sur un procès retentissant, les actionnaires accusant l’éditeur du logiciel SAP d’être responsable de la faillite. L’entreprise a perdu son procès, mais cet exemple illustre une situation plus fréquente qu’on ne croit. Une étude d’un cabinet d’experts évalue à 31% la part des grands projets informatique abandonnés aux USA !

Mais quand cela concerne l’état, c’est aux citoyens de s’interroger car le service rendu est le service public dont les citoyens ont besoin, car ce sont nos impôts qui paient les dépenses, car on ne met pas un état en faillite, les « marchés » le contraignent à une cure d’austérité… pour ses habitants…

D’autant que cet échec s’ajoute à l’abandon fin 2013 après deux ans de « mauvais » service, du projet « Louvois » du ministère de la Défense qui centralisait les paies de militaires, et aux difficultés du plus grand des projets informatique de l’état, le projet CHORUS qui concerne tous les acteurs de la comptabilité publique, qui avait fait l’objet en 2011 de rapports très critiques de la cour des comptes, dénonçant 1a hausse du budget de 1 à 1,5 G€, et que le Figaro appelait fin 2013 le « logiciel maudit » de l’état en ses termes :« Chorus m’a tuer ». Le cri s’échappe, un peu partout en France, de PME aux abois qui, sous contrat avec l’État, en particulier avec l’armée, accusent l’administration d’avoir provoqué leur faillite. En cause : Chorus, le logiciel comptable et financier de l’État, chargé de la facturation des prestataires privés et sous-traitants civils, qui a généré de nombreux impayés depuis son installation en 2009-2010.

Pour tenter de comprendre ces gâchis, l’annonce du ministère des finances de l’abandon du projet « ONP », qui promettait une « réduction des dépenses publiques » évoque un coût de 290 M€, (jusqu’à 1 milliards selon les syndicats [1]) mais contient un mot clé : « le rapport réalisé par Jacques Marzin (le DSI de l’Etat, NDLR) pointe clairement les risques de ce projet en matière de production de la paie et de coûts. On a donc décidé d’arrêter les frais d’un projet né sous l’égide de la RGPP »

On peut chercher des responsables chez les informaticiens (des coupables toujours très faciles !), les gestionnaires de projet, les prestataires et les entreprises partenaires… mais le fait majeur est bien que ces projets ont été décidé dans l’esprit de la « RGPP », (révision générale des politiques publiques), de la « LOLF », (loi organique des lois de finance), c’est à dire de la restructuration de l’état pour la réduction des dépenses publiques, et donc la suppression de postes de fonctionnaires… Comme on le sait, par définition, un fonctionnaire, c’est un coût et il faut le réduire…

D’où cet objectif central du projet ONP : supprimer 3800 postes sur 10 000…

Pourquoi ce chiffre ? Mystère, sans doute que des experts ont calculé qu’un agent de paie de l’état ne faisait la paie « que » de 250 fonctionnaires, et qu’il devrait en faire 500 comme dans telle ou telle grande entreprise. Mais qui a vérifié ce que faisait réellement ces agents ? qui a vérifié tout ce qui tourne autour de la paie et qui est très différent selon les secteurs.. la carrière, le régime indemnitaire, la gestion des absences, la maladie… ? Sauf à rayer d’un trait de plume les droits conquis depuis des décennies, qui font qu’il y a au total près de 2000 régimes indemnitaires différents… un seul système centralisé était une usine à gaz !

Ce n’est pas la centralisation technique qui pose problème. On peut très bien aujourd’hui avoir de gigantesques serveurs informatiques « dans le nuage » [2], mais si on centralise l’outil de gestion des régimes indemnitaires, des absences, des carrières,… de 2,5 millions d’agents, alors on s’attaque au dialogue social qui n’est possible qu’au niveau des gens concernés. Et ceux qui doivent au plan central prendre en compte cette diversité des situations ne peuvent que s’arracher les cheveux…

Un objectif de convergence par le haut des situations sociales de tous les fonctionnaires afin de rechercher des économies d’échelle aurait été totalement différent. C’est bien la logique de la RGPP initiée par Sarkozy en 2007, et renommée par hollande en 2013 sous le nom de « MAP » Modernisation de l’action publique" qui est au cœur de ces échecs.

Ce n’est donc pas du tout un problème des informaticiens, même s’ils devraient être les premiers à s’interroger sur la finalité des projets qu’ils réalisent, sur les conditions d’efficacité des usages de l’informatique… C’est bien un problème de la démocratie de savoir comment est organisé et géré l’état !

Car l’état, c’est nous ! enfin, ça devrait être nous tous ! La démocratie, c’est l’organisation de l’intérêt général par l’ensemble des citoyens et comme le disait les révolutionnaires de 1789, chacun doit pouvoir vérifier lui-même les dépenses de l’état…

  • Article 14 : Tous les Citoyens ont le droit de constater, par eux-mêmes ou par leurs Représentants, la nécessité de la contribution publique, de la consentir librement, d’en suivre l’emploi et d’en déterminer la quotité, l’assiette, le recouvrement et la durée.
  • Article 15 : La Société a le droit de demander compte à tout Agent public de son administration.

Or, aucune « réforme » de l’état ne cherche à rendre ce droit pourtant constitutionnel réalisable en pratique, alors même que l’informatique permet aujourd’hui de fournir à tous les citoyens, toutes les informations possibles sur les dépenses et les recettes de l’état ! Il y a au contraire une bataille politique et idéologique intense pour que les citoyens se détournent de cet état pourtant essentiel pour notre vie, mais qui serait trop centralisateur, trop jacobin, et qu’on découvre au fil des affaires de plus en plus « pourris » par le haut…

Bizarrement, toutes les réformes de la gauche comme de la droite ont toujours pour but de réduire le rôle de l’état « social », l’état qui rend des services aux citoyens, au nom de la « décentralisation », de la « diversité », de la « souplesse », du « droit à l’expérimentation »… Dernier exemple connu : il faut adapter les horaires des enfants ? C’est aux communes de payer… ! Mais derrière la façade, les mêmes décideurs font des choix hyper-centralisé, comme ces multinationales géantes qui externalisent largement auprès de prestataires locaux précarisés et sous-payés, mais dont les directeurs de sites apprennent leur fermeture dans la presse… Ces choix conduisent toujours à « privatiser », « externaliser » le maximum de services. Car c’est bien connu, une dépense publique qui fait vivre un fonctionnaire est une mauvaise dépense, alors qu’une dépense publique qui fait vivre une entreprise privée est une bonne dépense… Les patrons hurlent contre les impôts mais font pression pour augmenter sans fin les subventions (enfin les leurs !)

Ces échecs des grands projets informatiques de l’état pourraient être une occasion d’un vrai débat politique sur leurs objectifs, et donc sur la conception de l’état. Or, ceux là-mêmes qui défendent la RGPP/MAP vont se saisir de ces échecs pour expliquer qu’il faut encore plus réduire le périmètre de l« état, externaliser toujours plus de missions, et donc les privatiser… On va nous dire qu’avec deux fois mois de fonctionnaires, ce serait plus simple… on va nous expliquer qu’il faut »décentraliser", en fait laisser chaque région et métropole gérer avec ses moyens ce dont l’état se délaisse, c’est à dire en finir avec le principe d’égalité républicaine, et donc les droits et les acquis du statut des fonctionnaires… Il est vrai que les salariés précaires de la poste ne peuvent plus défendre pas le régime indemnitaire que les postiers avaient il y a 30 ans ! et dans la cascade de sous-traitance, plus besoin d’un grand système de gestion des paies de fonctionnaires !

Et dans le contexte de crise et de dettes, le réflexe individuel est souvent « je ne veux pas payer pour la crise des banques, donc je me bas contre les impôts… » Résultat, les grands patrons qui sont experts pour payer le moins d’impôts possibles se frottent les mains, et les hommes politiques de droite demandent « plus de réforme », plus vite plus loin…et les chiffres s’envolent… Hollande a déjà décidé 3 milliards de réduction des dotations aux collectivités, il annonce maintenant 10 Milliards, et le MEDEF répond « ce n’est pas assez » ! Et la commission européenne en rajoute « les mesures prises ne suffiront pas »… Il n’y a pas de limite à la remise en cause de l’état… Il suffit de demander aux grecs ! Même la police peut être privatisée !

Mais derrière les discours, la gestion par les gouvernements successifs des « réformes » de l’état vont d’échecs en gabegies, d’affaires en écoutes illicites…Ceux-là même qui nous demandent de nous serrer la ceinture accumulent les millions perdus…

C’est donc aux citoyens de se lever pour dire "l’état c’est nous, et nous allons nous en occuper directement, nous voulons voir les comptes, tous les comptes, et nous allons réaliser un audit complet de l’état, non pas un audit par des experts qui viennent ensuite nous expliquer qu’il faut plus de réformes, mais un audit citoyen, transparent, du local au national, et nous voulons que l’informatique de l’état soit d’abord un outil de la transparence ! Car nous voulons des dépenses publiques, mais nous voulons des dépenses publiques utiles, efficaces, qui répondent aux besoins de tous, des dépenses pour l’intérêt général. Et nous voulons donc des impôts justes, que chacun paie selon ses moyens, nous voulons cette réforme de la fiscalité locale que tout le monde promet mais que personne n’engage, nous voulons une réforme fiscale basée sur un impôt sur le revenu fortement progressif qui soit la première recette de l’état et une forte baisse de la TVA sur les produits de consommation courante…

Oui, ces grands projets informatiques sont révélateurs et les citoyens devraient s’en saisir ! C’est vrai d’ailleurs de toutes les questions technologiques. Il faut laisser les techniciens travailler, personne n’a besoin de devenir informaticien pour chercher à comprendre l’échec de ces projets, mais tout le monde doit connaitre et comprendre les objectifs des projets technologiques, en quoi ils concernent les missions, l’intérêt général. C’est une grande question dans un monde technologique, ne nous laissons pas hypnotiser par les vendeurs de merveilles ou de catastrophes, organisons-nous pour que ce soit les usages des techniques, et donc les usagers, qui définissent les objectifs et vérifient les résultats !

[1A noter que les entreprises qui ont travaillé sur ce projet seront payées…

[2Google ou Facebook centralisent encore beaucoup plus de données

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