La précarité et la métropole Enregistrer au format PDF

Vendredi 27 février 2015

Un rapport récent de l’INSEE sur la précarité dans la région Rhone-Alpes confirme et actualise mon intervention au dernier conseil communautaire de 2014 pour le rapport annuel sur le développement durable, « là ou l’écart entre le vécu et le discours est le plus éclatant, c’est sur la dimension sociale du développement durable ». Je m’appuyais sur le cahier nr 6 de l’agence d’urbanisme sur les inégalités sociales qui soulignait l’aggravation de la ségrégation sociale à l’intérieur de l’agglomération. Le rapport publié par l’INSEE ce 21 février 2015 vient confirmer ce constat…

Il y a quelques jours, le premier ministre a utilisé le terme d’apartheid pour souligner la situation de ces quartiers que l’état dit pourtant prioritaire. Si ce mot d’apartheid qui a fait du bruit est discutable quand on pense à ce qu’ont vécu les noirs en Afrique du Sud, il a le mérite d’attirer une nouvelle fois l’attention sur des inégalités profondes et anciennes. Il devrait conduire à interroger toutes les politiques « de la ville », dont l’objectif affirmé est au contraire de permettre à des quartiers en difficulté de se rapprocher de la moyenne…

Or, ce n’est pas ce qu’on constate et il est urgent de dire la vérité sur ces ségrégations urbaines notamment dans la construction de cette métropole, espace ouvert à la concurrence mondiale dont les promoteurs promettent qu’elle va relier « l’humain et l’urbain ». L’INSEE constate que cette métropole « attire des activités fortement créatrices de valeur ajoutée (…) Ainsi, le revenu net imposable médian annuel par unité de consommation est de 19 800 euros en 2010, supérieur à la médiane nationale. ». Mais elle est aussi un lieu d’inégalités plus fortes avec dans le Grand Lyon, près d’un ménage sur 5 à bas revenus ( (110 000 ménages), un quart des allocataires CAF dépendant à plus de 50% de leurs allocations…(58 000 ménages)…

Et bien entendu, ces difficultés sociales se concentrent dans certains quartiers, que tout le monde connait car ce sont les quartiers « populaires », ceux qui possèdent des logements sociaux.

L’étude de l’INSEE calcule 11 indicateurs (sur les revenus, l’emploi et la situation familiale) en les localisant par l’adresse sur des « carrés » de 200 m de coté, permettant une analyse très fine. Ainsi, si la ville de Bron ne semble pas en difficulté globalement, les quartier des « UC » au Sud et de Terraillon au Nord sont bien des quartiers en grande précarité.

La carte ne fait que confirmer, dans le détail chiffré des statistiques, ce que tout le monde sait, ceux qui vivent dans ces quartiers et qui le plus souvent n’ont pas le choix car ils ne peuvent trouver de logements ailleurs, comme ceux qui vivent ailleurs et qui, le plus souvent, ne songerait pas à venir y vivre. Elle montre que « Les espaces de précarité sont principalement à l’est de Lyon » (sic !), avec des quartiers de Rillieux, Vaulx, Villeurbanne, Meyzieu, Bron, Lyon 8e, Vénissieux, St-Priest, St-Fons et Givors à l’Est, et … Lyon 9e à l’Ouest, même si « de petites poches de précarité se distinguent dans des secteurs plus aisés, notamment à Caluire-et-Cuire, dans le 5e arrondissement de Lyon ou à Albigny sur-Saône »

Mais le fait important de cette étude est bien dans l’aggravation de ces difficultés sociales pour Vénissieux, Saint-Fons, Givors et Rillieux-la-Pape, alors que Vaulx-en-Velin est stable, tout en restant la ville la plus pauvre de l’agglomération. Mais« à l’inverse, la situation du 1er et du 9e arrondissement de Lyon semble s’améliorer. ».

Faut-il en conclure que la politique de la ville a été plus efficace à Lyon que dans les villes de première couronne ? C’est une question puisqu’elle est conduite dans tous les cas par la communauté/métropole. Mais si, plus grave encore, la politique de la ville à Lyon 1er ou 9e a conduit à envoyer des familles pauvres à Vénissieux, Saint-Fons, Givors et Rillieux-la-Pape, il s’agirait alors d’une aggravation volontaire de la ségrégation, en créant les conditions du report des difficultés hors de la ville centre.

Il faut donc pour bien comprendre ce rapport le compléter sur deux questions essentielles auxquelles il ne répond pas.

  1. le nombre de familles pauvres a-t-il augmenté ou diminué, en France, dans la région, dans l’agglomération ?
  2. les politiques de logement dans l’agglomération ont-elles favorisé ou freiné la ségrégation d’agglomération au profit de la ville centre ?

L’aggravation de la précarité concerne-t-elle uniquement les villes populaires ?

Tout le monde connait la réponse a cette première question, les inégalités se sont aggravées de manière nette en France comme le montre le site inégalités.fr Le mouvement de hausse (de la pauvreté) constitue un tournant dans l’histoire sociale de notre pays depuis les années 1960. La dégradation économique enregistrée depuis 2008 pèse tout particulièrement sur les moins favorisés. Pour la seule période de 2008 à 2012, le nombre de pauvres au seuil de 50 % comme à celui de 60 % a augmenté de 800 000 Ce site publie de nombreuses études qui montrent que L’immense majorité des pauvres logent dans les grandes agglomérations et leur banlieue proche, où se concentrent les inégalités mais aussi qui sont les privilégiés d’une France en crise ?

Mieux, un article récent mesurant l’impact de la crise pour les communes confirme sans ambiguïté l’aggravation générale de la ségrégation sociale avec un exemple marquant « A Rennes, les revenus des plus riches ont augmenté de 5,5 % entre 2008 et 2011, ceux des plus pauvres ont diminué de 11,8 % ». Mais l’article donne une analyse générale, qui s’applique aussi à l’agglomération lyonnaise

ces données font apparaître la profondeur de la crise. Les plus pauvres des communes déjà en difficulté économique décrochent, avec des baisses de niveau de vie parfois sévères, heureusement en partie compensées par notre système de protection sociale, (…). Les communes où les revenus progressent le plus sont souvent les plus favorisées de la banlieue ouest parisienne.

Ce décrochage constitue un changement social majeur. Jusqu’à 2008, les inégalités augmentaient par le haut avec l’envolée des hauts revenus. Désormais, elles s’étirent aussi par le bas avec une baisse des bas revenus.

Autrement dit, l’étude de l’INSEE sur l’agglomération lyonnaise ne peut se comprendre en dehors de ce constat de l’aggravation globale de la pauvreté ici comme ailleurs. Compte tenu que de l’autre coté, la richesse Lyonnaise progresse aussi, la ségrégation sociale ne peut que se renforcer dans l’agglomération !

Il faut alors regarder de plus près comment la communauté devenue métropole gère cette aggravation des inégalités.

Quelle politique de logement dans l’agglomération Lyonnaise ?

Car l’étude de l’INSEE repose sur une comparaison des écarts à la moyenne de l’agglomération. Son titre est donc trompeur « Précarité dans le Grand Lyon : vers une réduction, mais plus de concentration » , car si elle montre bien une concentration de la précarité dans l’agglomération, elle ne dit pas comment le Grand Lyon se stiue dans le contexte national de l’aggravation de la précarité et de sa concentration, si ce n’est qu’on sait qu’il y au total plus de richesses à Lyon qu’ailleurs !

L’étude des revenus fiscaux montre que Lyon « perd » des pauvres et « gagnent » des plus riches… De 2008 à 2013, le nombre de foyers avec un revenu fiscal le plus bas baisse de 67 005 à 62 099 [1],tandis que celui de la tranche la plus haute augmente de 28 888 à 37 559 [2] ! Autrement dit, il y a en 6 ans 5000 ménages pauvres de moins à Lyon et près de 9000 ménages très riches de plus ! Qui peut croire que ce sont les mêmes ménages qui se sont mis à gagner plus… ? ;-o)

Cela a des conséquences sur tous les quartiers, car les très riches n’iront jamais habiter dans des quartiers de rénovation urbaine, mais occupent les quartiers les plus « huppés », repoussant les ménages à revenus intermédiaires ailleurs qui peuvent profiter alors des constructions neuves des quartiers en rénovation urbaine…

On connait le phénomène de « gentrification », notamment à la Croix-Rousse dont la population populaire est de plus en plus réduite au profit de couches aisées… C’est un des aspects de cette ségrégation sociale qui impacte aussi les villes de première couronne. De jeunes couples salariés qui n’ont pas d’héritage pour pouvoir acheter dans Lyon intra-muros, regardent avec intérêt les constructions neuves en première couronne. Nous l’avons constaté à Vénissieux lors de la réception des nouveaux habitants, où, à coté d’anciens Vénissians qui profitent du dynamisme retrouvé de la ville pour y revenir, on rencontre de jeunes couples qui ont pu acheter grâce aux prix nettement plus bas qu’à Lyon… Bien sûr, tous tiennent compte aussi des infrastructures, des équipements et de la qualité des services publics, et cela ne fait que renforcer l’attractivité de Vénissieux.

Dans ce contexte qui pousse à la ségrégation, comment la diversification du logement dans la rénovation urbaine freine ou pas cette ségrégation ? Quand la Duchère passe de 80% à 55% de logement sociaux, qui peut croire que les 25% de locataires sociaux perdus ont eu accès à du logement privé sur place ? Donc, il y a bien eu des transferts de population entre grands quartiers…

Et quand la construction en acquisition à Vénissieux attire des populations Lyonnaises, ce ne sont évidemment pas les plus riches, mais au contraire, les moins pauvres qui ne peuvent se payer un logement privé à Lyon.

Une politique de la ville qui défend une diversification nécessaire des logements mais sans imposer la reconstitution à proximité du logement social détruit ne peut inverser la ségrégation urbaine à l’échelle de la métropole. La décision de ce début d’année de mutualiser les objectifs de logement sociaux entre les 28 villes qui sont en dessous de l’objectif de 25% ne fait que conforter ce constat. Et les objectifs de construction de logement sociaux actuels, conduisant à freiner la construction de logements sociaux dans les villes populaires, ne permet ni de combattre la ségrégation sociale, ni bien sûr de répondre aux besoins…

Autrement dit, il y a des mouvements internes à l’agglomération et avec l’extérieur, qui sont le résultat des politiques d’urbanisme et de logement. Derrière le discours qui justifie de construire du privé en banlieue et de prioriser le social à Lyon, se cache en fait une poursuite de la ségrégation à l’échelle de l’agglomération. L’étude de l’INSEE ne fait que confirmer ce constat qui pèse fortement sur les villes les plus populaires, Givors, St-Fons, Vénissieux, Vaulx-en-Velin et Rillieux !

C’est le contexte dans lequel l’ancien vice-président au logement Olivier Brachet a décidé qu’il n’était décidément plus possible de diriger avec Gérard Collomb, d’autant que la métropole qui a désormais toute la compétence logement devra assumer les conséquences de sa politique, dont l’INSEE nous dit en gros qu’elle est favorable principalement pour Lyon.

C’est pourquoi avec Michèle Picard, la majorité municipale défend la place du logement social dans la ville, en défendant l’objectif de conserver 50% de logements sociaux, donc de continuer à construire 50% de logements sociaux dans les constructions neuves. Ce n’est pas une question de « seuil », mais une question très concrète pour les Vénissians. Comment allons-nous répondre aux 2000 demandes de logement de personnes et familles résidant déjà à Vénissieux, mais mal logées ou dans un logement inadapté à leur situation, hébergés dans la famille, voulant décohabiter… La plupart ne peuvent acheter dans le privé, et même ceux qui le pourraient peut-être hésitent devant les incertitudes liées la précarité de leurs revenus. Ce sont des milliers de Vénissians qui ont besoin de nouveaux logements sociaux !

A l’échelle de l’agglomération Lyonnaise, c’est en fait 70% des familles dont les revenus donnent droit à un logement social. Bien sûr, si un logement social veut dire un logement de faible qualité où se concentrent les problèmes sociaux, beaucoup chercheront l’éviter. Mais un logement social de qualité, à faible consommation énergétique, sécurisé, accessible… serait un choix réel pour des milliers de familles partout dans l’agglomération !

La priorité politique devrait être à gauche de relancer réellement une vraie politique de logement social, au niveau national avec une politique foncière, d’aide à la pierre, de grand programme de subvention énergétique…

Des villes populaires à respecter !

Au fonds, cette réalité de la ségrégation sociale dans l’agglomération ne fait que confirmer le grand écart entre les discours politiques et les réalités. Lors d’une rencontre de travail, un cadre de la métropole disait (en l’absence de journalistes… !) « il y a bien une forme de spécialisation des communes dans l’agglomération. Certaines assurent une mission d’accueil des populations les plus pauvres, et quand une famille pauvre s’en sort et accède à de meilleurs revenus, elle cherche à se déplacer ailleurs dans l’agglomération… »

Il disait en privé la vérité des politiques publiques, de tous ceux qui acceptent la société telle qu’elle est, inégale, violente, injuste, et qui, au mieux, veulent faire croire qu’ils tentent d’en atténuer les conséquences.

Au contraire, le projet Vénissian, loin d’oublier l’histoire de la ville pour faire croire qu’on pourrait en faire une ville « comme les autres »… affirme que Vénissieux est une ville pour tous, une ville qui unit les catégories sociales, qui répond aux besoins de logement de tous, ceux qui ont besoin de logements sociaux, ceux qui souhaitent acheter, en collectif comme en individuel, en menant bataille en permanence pour une offre de logements de qualité, accessible, en location comme en accession.

C’est cela que la métropole devra apprendre à respecter !

[1(tranche < 9400€ en 2008, 10000€ en 2013), les données fiscales proviennent de l’INSEE, http://www.impots.gouv.fr/portal/dgi/public/statistiques.impot;jsessionid=Q0QBH0EPXP40TQFIEIQCFFA?espId=-4&pageId=stat_donnees_detaillees&sfid=4503

[2tranche supérieure à 48750€ en 2008, et 50000€en 2013

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