Lotfi, Ben Khelifa, LBK… Enregistrer au format PDF

Mardi 1er avril 2014

Lotfi était un enfant des Minguettes. Comme la plupart des enfants de cette ville mélange de tant d’immigrations et de luttes ouvrières, il a été sensible aux injustices, aux inégalités, aux discriminations. Mais comment est-il devenu le syndicaliste Ben Khelifa, puis LBK, ce candidat très médiatique cherchant à en finir avec l’histoire communiste ?

Beaucoup de jeunes de banlieues ne trouvent pas le chemin de l’engagement militant. Ce n’est pas propre aux jeunes, encore moins aux quartiers populaires. Pour tout le monde, l’engagement est un chemin difficile car les idées dominantes et les médias nous poussent toujours vers le futile, vers l’illusion qu’on peut s’en sortir et au fonds, nous poussent toujours vers la concurrence et le chacun pour soi.

Mais Lotfi est devenu syndicaliste [1]. C’est souvent une première étape dans la prise de conscience qu’on ne peut pas laisser faire, qu’on doit s’unir avec d’autres pour imposer ses revendications. Dans la foulée, il a choisi le parti socialiste, sans doute parce qu’il parait un parti efficace, capable de peser sur l’état, donc sur les réalités, capable, comme le disent ses communicants de « changer la vie », « changer maintenant ». Le syndicaliste Ben Khelifa sait bien que ce n’est pas si facile, et que le parti socialiste au gouvernement fait souvent (toujours ?) le contraire de ce qu’il a promis.

  • Lotfi sait que Mitterrand avait promis aux immigré le droit de vote aux élections locales, et que tous les gouvernements socialistes ont toujours repoussé cette promesse à plus tard, jusqu’à Hollande qui n’hésite pas à reprendre la promesse en 2012 pour la reporter encore une fois quelques mois plus tard.
  • Lotfi se rappelle aussi les suites de la « marche des beurs », cette marche des quartiers populaires détournée et récupéré par les dirigeants socialistes ce qui laissera tant de militants des quartiers désabusés, aigris, ou revanchards. Mais il y a toujours un dirigeant socialiste pour redire la grandeur de ce mouvement des banlieues, l’importance de la lutte contre les discriminations… Il y a toujours des dirigeants socialistes pour venir dans les quartiers mettre en valeur les « jeunes de banlieues », même si leurs gouvernements multiplient les réformes qui précarisent, divisent, appauvrissent, stigmatisent le monde du travail.

Le syndicaliste Ben Khelifa est donc un socialiste « de gauche »’, il dénonce les réformes que la majorité du parti socialiste impose au gouvernement et dénonce quand c’est la droite qui les met en œuvre. Il n’hésite pas comme syndicaliste à s’opposer au président socialiste de la communauté urbaine de Lyon…

Et Lotfi devient Mr Ben Khelifa, adjoint au maire et participe pendant 6 ans à la gestion municipale dans une ville où il a l’occasion de montrer cet engagement « de gauche ». La tradition de nombreux élus socialistes de Vénissieux est effectivement un travail loyal avec les communistes, même si des questions nationales les opposent parfois. Les projets de la ville, le soutien aux luttes sociales sont partagés à gauche. On peut croire que Ben Khelifa, le Lotfi des Minguettes va s’inscrire dans cette tradition. Il a en effet voté toutes les décisions du conseil municipal pendant 6 ans…

Et pourtant, devenu la tête de liste des socialistes Vénissians, il se transforme en « LBK », multiplie les déclarations agressives contre les communistes, menaçant de rompre cette union qui tient depuis 80 ans à Vénissieux… Finalement, prenant prétexte d’un tract du PCF dénonçant entre autres la réforme des retraites, il annonce la décision du parti socialiste de mener une liste autonome aux élections municipales. Et les dirigeants et ministres socialistes se déplacent ! Et Gérard Collomb que certains disait ennemi de ce syndicaliste remuant, lui apporte tout son appui pour défendre sa métropole… Et voilà le gamin de quartier devenu la coqueluche du système, des médias qui lui forgent un costume de star « l’Obama des Minguettes ».

Ces surnoms, autant LBK que Obama ne viennent sans doute pas de rien, car le Lotfi des Minguettes avait déjà participé à un programme financé par le gouvernement des USA, pays dont on sait qu’il intervient sur toute la planète militairement et diplomatiquement, mais dont on mesure moins comment il intervient aussi politiquement. On connait les interventions de la CIA sur toute la planète, mais on connait moins le programme du gouvernement US de détection de « leaders » [2] dans tous les pays, dont les bénéficiaires, les « Alumni » [3] deviennent membres de cercles de prestige comme le « cercle Jefferson ». Ce programme a des participants qui sont devenus célèbres, Tony Blair, Nicolas Sarkozy… En France, deux présidents de la République et trois Premiers ministres parmi les anciens, et des noms « d’hommes et de femmes appartenant à la politique, la haute fonction publique, la magistrature… », des « personnalités ayant toutes vécues l’expérience unique de la diplomatie citoyenne aux Etats-Unis » comme le dit le site officiel.

C’est sans doute suite à ce stage politique aux USA que le futur LBK a renvoyé l’ascenseur en invitant aux Minguettes le consul des USA… Quel retournement pour un arabe noir des quartiers populaires ! Inviter le représentant du pays où il y a plus de noirs en prisons en 2011 que d’esclaves il y a 150 ans, qui bat les records mondiaux de population incarcérée, plus de 1%, dans lequel plus de 20% des jeunes noirs sont passés en prison [4], plus de 50% de ceux qui n’ont pas obtenu un BAC ! Ce pays qui enferme toujours le journaliste noir Mumia Abu Jamal condamné à mort depuis 30 ans par un procureur raciste !

Est-ce le consul des USA qui lui a conseillé de s’attaquer aux communistes ? Peu importe, c’est la cohérence de la trajectoire personnelle… On ne peut pas rêver de devenir « Obama » sans ranger ses idéaux de jeunesse au placard du pragmatisme politique et sans comprendre que pour « réussir » dans cette société, il faut accepter les règles du système, celui de la guerre de tous contre tous, de la loi du plus fort dont les USA sont le symbole et le maitre, et dont l’utopie communiste est l’adversaire déterminé.

C’est donc un LBK décomplexé qui se prend au grand jeu de la politique spectacle, de ses petites phrases et de ses bons mots, de ce parti socialiste où tous les coups sont permis pourvu qu’on soit du bon coté du manche, peut-être encore surpris des courbettes médiatiques qui le présentent dans la presse nationale comme celui qui va « faire tomber un des derniers bastions communistes » [5], activant les ressorts identitaires en se présentant comme « d’origine tunisienne, noir, musulman » tout en affirmant que « ce qui a une chance de nous réunir, ce n’est ni une origine, ni une couleur de peau, ni une religion », faisant dire dans la presse qu’il aurait pu être communiste, et dénonçant les « 80 ans de communisme »,… Il avait réussi à éliminer une jeune adjointe socialiste de la section locale, elle aurait pu le gêner. Il a réussi à prendre la section PS malgré les conflits avec tous les arrivistes qui surfaient sur la vague rose anti-sarkosyste, il rompt avec le PS local historique, dont la presque totalité des anciens élus socialistes. Et il reproduit sans vergogne les pires pratiques politiciennes du système si peu démocratique de la 5e république.

  • Il a tout voté pendant 6 ans avec les communistes ? il ne savait pas, il n’avait pas les dossiers, les communistes lui cachait tout…
  • Il est officiellement un socialiste de gauche qui dénonce les accords du PS avec le MODEM de droite ? soyons pragmatique, le MODEM Vénissian a une élue sortante, elle prépare une liste avec des socialistes dissidents, mais il va la récupérer pour faire une liste PS-MODEM. Que lui a-t-il promis ? Mystère…
  • Il est bien placé comme syndicaliste de la collecte du Grand Lyon pour savoir a quel point le président du Grand Lyon est favorable au privé pour les services publics, mais pour dénoncer les communistes, il se présente comme le promoteur de cette métropole qui va renforcer encore le poids de la présidence du Grand Lyon dans les décisions de modes de gestion…

Bref, LBK est devenu un « réaliste politique ». S’il est encore de gauche, c’est comme DSK, à la gauche de la droite, mais tout juste à gauche, un petit peu et pas trop, et sur ce qui ne fâche pas les patrons ! L’austérité ? Le gouvernement n’a pas le choix !

Dommage pour tous les Lotfi des minguettes. Avec LBK, ils ont un (contre)exemple d’insertion dans le système politique, ce système qui continuera à les appauvrir, les précariser, les stigmatiser… Finalement, la pub médiatique est assez juste, toute proportion gardée… LBK est bien un OBAMA des banlieues, un OBAMA qui promet l’égalité à ses frères noirs, surfe sur leur joie de sa victoire, mais gouverne ensuite avec les grands financiers blancs pour maintenir ce système violent et ses institutions, et aggraver les inégalités et les discriminations dont sont victimes les noirs…

La ressemblance s’arrête là. LBK a perdu son pari au premier tour des municipales de 2014. Malgré l’emballement médiatique, il est loin derrière Michèle Picard, et fait le résultat qui correspond à ce que la section PCF de Vénissieux lui avait proposé pour une liste d’union qu’il a refusé. En politique, il ne suffit pas d’avoir les médias dominants avec soi…

Résultat, LBK s’enferme dans son échec en appelant au deuxième tour à « battre l’extrême droite et l’extrême gauche », autrement dit à ne pas battre l’UMP qui est la seule menace contre le maire communiste. Après la victoire sans appel de Michèle Picard, il s’installe dans l’opposition, dans un cousinage avec la droite qui annonce de futurs accords, comme le parti socialiste l’a fait pour battre un maire communiste à Vaulx-en-Velin ou Villejuif.

Le PS a peut-être détecté un nouveau « leader », si la guerre des éléphants ne l’écrase pas au passage, mais les Minguettes ont perdu un jeune qui aurait pu porter la parole des banlieues… Lotfi devenu LBK l’américain s’est perdu dans le système…

[1à la CFTC, syndicat chrétien plutôt centriste et corporatiste, peu connu pour ses positions combatives, issu de la « doctrine sociale de l’église »

[2International Visitors Leadership Program

[3d’un mot latin qui signifie « élèves » utilisé par les universités des USA

[4selon une étude détaillée de la revue Sciences Humaines

[5on mesure d’ailleurs les connivences de ce 4e pouvoir si peu indépendant… avec des journaux qui n’ont jamais interviewé le maire de Vénissieux, ni mené aucun reportage sur la ville, mais trouvent subitement des pages pour un illustre inconnu…

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