Métropolisation ou aménagement du territoire ? Enregistrer au format PDF

Suite à une émission de radio avec Laurent Davezies, économiste et géographe….
Jeudi 20 avril 2017

Au hasard d’un déplacement en voiture, j’ai eu l’occasion d’entendre l’économiste Laurent Davezies, souvent cité par Gérard Collomb, et dont les travaux avaient été repris dans une étude de la métropole vantant son rôle de redistribution, donc de solidarité. J’avais eu l’occasion d’en montrer l’artifice bien trop facile dans une intervention en conseil de métropole sur la création de richesses et sa distribution dans la métropole

Je pense utile de faire connaitre quelques unes des « perles » de cette émission de radio intitulée « Les territoires en campagne » avec Laurent Davezies (et Anne Nivat, une journaliste publiant une enquête de terrain sur ce sujet…)

En début d’émission, Laurent Davezies reprend l’argument déja utilisé pour vanter la contribution de la métropole de Lyon à la redistribution… La production de richesse se concentre dans les métropoles, et notamment l’Ile de France qui a produit 31% du PIB, % en forte hausse, alors qu’elle ne « consomme » que 22% des revenus, % en baisse… Laurent Davezies en conclut qu’il ne faut rien reprocher à la concentration métropolitaine. Au contraire, les métropoles produisent de plus en plus, mais ces richesses se répartissent partout…

J’avais [déjà souligné →https://pierrealainmillet.fr/de-la-production-et-la] le vide ce cet argument, car bien évidemment, ni l’Ile de France, ni la métropole de Lyon, ne sont des « principautés » indépendantes, et depuis la révolution Française et l’invention de l’impôt public et de l’assemblée nationale, la république assure bien évidemment une redistribution qui permet (enfin, qui permettait) d’assurer une égalité de droit et d’accès aux services publics… Au plan économique, ce raisonnement conduirait à dire que les plus « solidaires » seraient les ouvriers de la raffinerie de Feyzin, qui ne touchent eux comme revenus, qu’une infime part du chiffre d’affaire réalisé sur ce site par TOTAL, moins de 5%… Constat qui n’a pas attendu Mr Davezies, c’est un des apports de Marx d’avoir montré que les producteurs ne reçoivent qu’une part de la valeur de leur travail, souvent une petite part…

Donc, Mr Davezies joue à Lapalisse avec un discours « scientifique » pour dédouaner la métropolisation de toute responsabilité dans les inégalités, alors qu’en fait, il ne fait que reprendre le discours d’extrême-droite bien connu que j’évoquais dans l’intervention citée… un très ancien débat politique, revenu dans l’actualité avec la ligue du nord en Italie « ne payons pas pour le Mezzogiorno », ou avec la Catalogne qui en veut pour son argent, ou encore la Flandre qui se demande à quoi sert l’état belge. Contre ces discours qui en France rejettent une république une et indivisible, nous défendons la socialisation d’un part importante des revenus pour organiser leur redistribution territoriale et sociale.

Mais il faut écouter la suite… notamment sur l’emploi.. Mr Davezies donne deux chiffres qui, pour lui, dédouanerait la mondialisation… on a supprimé 1,3 millions d’emplois industriels, mais on a créé 1,5millions d’emplois de cadres et d’ingénieurs Autrement dit, la mondialisation aurait créé plus d’emplois qu’elle n’en a détruit. Bon, il précise quand même qu’il y a des gagnants et des perdants [1].. Ça, tout le monde avait compris !

Et il insiste lourdement quand on lui demande pourquoi il y aurait alors un tel décalage entre la réalité qu’il décrit et la perception des habitants…. avec un profond mépris pour les incultes qui ne comprennent pas…

je ne suis pas psychosociologue, (…) il y a un rapport assez lointain entre la réalité des problèmes d’insécurité, et le sentiment qu’en ont les gens, de la même façon, il y a un rapport assez lointain entre le sentiment qu’ont les gens d’être oublié, et je vous sais gré de ne pas avoir utilisé le terme d’abandonné, utilisé par l’extrême-droite et l’extrême-gauche, de territoires abandonnés ce qui est totalement faux.. Quand je vous dis que 57% de la dépenses publiques passent dans les dépenses publiques et sociales, ça ne va pas à Paris, ça va dans les territoires…

Il y a des problèmes de compréhension des mécanismes, des gens qui sont parfaitement intelligents,qui lisent les journaux peuvent parfaitement penser des choses totalement fausses…

Un économiste devrait en 2017 avoir appris que certes, les gens peuvent se tromper, mais que les économistes très compétents aussi, et même très souvent, puisque leurs prédictions sont en général démenties rapidement, et que le principe même de la démocratie, c’est que le débat politique n’est pas un débat d’experts et qu’il faut donc faire l’effort de comprendre ce que pensent les « gens »…

Au contraire, à aucun moment, il n’utilise ses connaissances pour éclairer les inquiétudes sur la mondialisation, car il reste prisonnier de son présupposé, totalement non scientifique et très politique : la mondialisation n’est pour rien dans nos difficultés… Or s’il y a bien des politiques Françaises depuis des décennies dont le résultat fait exploser la crise politique, elles sont justement toutes destinées à adapter la France à cette mondialisation, au profit de certains, et en perte pour beaucoup… Mais il ne cherche pas à nous dire en quoi les politiques conduites ont été mauvaises, seulement qu’il ne faut pas accuser la mondialisation, autrement dit, qu’il faut l’accepter… ce qui est le fonds de son engagement politique.

Par exemple, cette obsession de la mondialisation, (…) la France ne s’est toujours pas dépêtrée de cette mondialisation, mais elle s’est beaucoup mieux dépêtré qu’on ne le dit… Par exemple, on dit que la France ne crée pas assez d’emplois à cause de la mondialisation, c’est totalement faux. De 1982 à 2010, croissance de la population, + 15%, croissance des emplois +21%… les emplois ont augmenté plus vite que la population, il y a plus d’emplois par habitants en 2010 qu’en 1982.. donc ce n’est pas la mondialisation, on a fait face… Ca tient à l’explosion démographique, le nombre de ménages a augmenté de 38% et 82% des créations nets d’emplois sont l’emploi des femmes… c’est la demande d’emploi qui a augmentée. C’est pour cela que le chômage augmente. La cause du chômage, c’est la révolution démographique et sociale, ça n’a rien à voir avec la mondialisation

Il arriverait à nous faire croire que les 1,3 millions d’emplois industriels perdus, ce serait à cause de la révolution démographique ! Et que s’il est difficile de créer de l’emploi en dehors des métropoles, c’est à cause de la demande d’emploi des femmes ? Quand on veut tuer son chat… Ce que Mr Davezies veut tuer, c’est l’exigence d’égalité, de république une et indivisible, c’est le principe même de l’aménagement du territoire…D’ailleurs, il est sans ambiguïté dans son raisonnement sur les territoires…

  • Premier temps, le problème, ce n’est pas la destruction des emplois industriels…

Quand vous expliquer ça sur les territoires, on vous dit "nous on est tué par la mondialisation, on est les victimes de la désindustrialisation, on a détruit nos emplois industriels. Doublement faux, quels sont les départements qui ont le plus perdus des emplois industriels ? Paris, les Hauts de seine, la Seine-st-Denis, et très loin derrière le Nord-Pas de calais. Qu’est ce qui fait la crise du Nord-Pas de calais, ce n’est pas qu’ils ont détruit de l’emploi, c’est qu’ils n’en ont pas créés. C’est la même chose depuis 2008, on a toujours pas retrouvé le niveau d’emploi de 2007, on est en 2017,on a perdu 10 ans, mais ce ne sont pas les destructions d’emplois qui nous ont mis à genoux, les emplois ont été détruits au même rythme qu’avant, ce qui a changé, c’est qu’on ne créée plus, ou qu’on ne créée qu’à certains endroits, et pas à Lons le saunier,ni à Montluçon…mais en revanche,on créée en Ile de France,

Voila encore une sacrée découverte, on supprime des emplois industriels partout et notamment dans les métropoles [2], et on ne crée pas d’emplois en dehors des métropoles… Encore une lapalissade, il n’est pas facile de créer des emplois de cadres en dehors des métropoles, qui font justement tout de plus pour les attirer (Lyon est passé de 4% de cadres à 31% en 20 ans…)

  • Et deuxième temps, faire cesser l’exigence d’égalité des territoires et faire accepter la seule réponse que le capitalisme connaisse aux inégalités de développement… l’émigration…

La question, ce n’est pas celle des territoires comme stock de population immobile, c’est la question de la mobilité notamment des jeunes. Arrêtez de dire, je colle un IUT à Montluçon, et tous les jeunes pourront y aller, on les envoie dans le mur, ce qu’il faut, c’est les aider à voyager, à avoir un choix de formation… Qui a lancé quand il était ministre un grand rapport sur la mobilité, avec une commission dont j’ai fait partie d’ailleurs, c’est Macron.. Macron s’intéresse plus à la mobilité comme solution pour les populations..On s’en fout des territoires, ce qui compte c’est les gens,

On a bien compris, ce qu’il appelle la mobilité, en général, on l’appelle émigration, et les auvergnats en sont des experts… comme tous ceux dont la mondialisation inégale détruit les conditions de vie dans leur pays et envoie sur les routes de l’occident dans l’illusion d’un monde meilleur…

La journaliste lui fait remarquer que s’il y a moins de chômage des jeunes à Laval qu’à Montlucon, c’est qu’il y a une grande mobilité à Laval, que les jeunes en partent et donc qu’ils ne sont pas comptés dans les statistiques du chomage de Laval.

Ssa réponse est terrible pour tous ceux qui se rappellent de la revendication des luttes sociales du midi dans les années 70 « volem trabare el pays »

Quand un président de conseil général me dit, aidez-nous à permettre à nos jeunes de rester, je lui réponds, non, il faut les aider à partir… les élus ne sont pas élus par des km2 de territoires, mais par des gens… (…) Le maire de St-Dizier (LR) dit brutalement, St-Dizier c’est no futur, mon job, c’est d’aider les jeunes à partir, à faire des études ailleurs, il est remarquable !

Et le journaliste insiste :qu’est-ce que deviendra St-Dizier après ? La réponse est glacante de cynisme…

un territoire ne se vide jamais complètement, il y a aura toujours des gens qui restent, des gens qui sont captifs, des vieux, mais il y a une maintenance du territoire qui est nécessaire, une maintenance sociale et de services que vous serez obligé de mettre.

Il y a des territoires qui descendent au fond du trou, au fonds de la piscine, on l’a bien vu à Detroit [3], à Baltimore, dans d’autres villes très sinistrées au niveau industriel, il y a un niveau ou ça devient intéressant de venir s’installer, car le logement ne coute plus rien…

Je ne parle pas d’uberisation ou d’autoentrepreneur, mais on a une montée des travailleurs non salariés qualifiés qui ont besoin de travailler dans leur logement, et dans les métropoles, les prix sont inabordables. Si vous avez un peu de transprot, vous pouvez vous installer à Montluçon, vous aurez une maison avec deux garages, un jardin…

Le projet de société sous-jacent au discours de Mr Davezies est clair… le marché, le marché, le marché… Que les pauvres ne se plaignent pas, ils n’ont qu’à être qualifiés, mobiles et créateurs… Tant pis pour les vieux pour lesquels il faut assurer une « maintenance » des territoires… On suppose qu’il se prononce aussi pour la réforme des retraites par répartition qui est un des vecteurs de cette redistribution qu’il dénonce…

On comprend mieux pourquoi Gérard Collomb cite si souvent ces travaux, comme le chiffre qui justifie selon lui la métropolisation, les 300 plus grandes villes du monde réalisent 50% du PIB mondial… Il oublie de dire que c’est le pendant d’un autre constat, les 500 plus grandes multinationales réalisent 60% du PIB mondial… et cette concentration capitalistique et géographique ne fait que s’aggraver [4].

La conclusion diamétralement opposée est claire. Si la politique a un autre but que de s’adapter au marché et à ses inégalités, elle doit se donner les moyens d’affirmer qu’il y a un intérêt général, un intérêt public, qui justifie de mener des politiques d’aménagement du territoire et des politiques économiques publiques, autrement dit, qu’il faut réinventer la république.

[1rappelons que les emplois industriels détruits en France n’ont pas disparus, ils ont été recréés en Allemagne (voir le groupe Bosch bien connu à Vénissieux) ou en Chine, devenue l’atelier du monde…

[2il ne cite pas Lyon, mais tout ceux qui connaissaient le 3e ou le 8e des années 1980 peuvent le confirmer…l’emploi industriel a été chassé des métropoles…

[3voir un article terrible avec des photos prises par google street au fil des anssur cette descente aux enfers de cette ville de 2 millions d’habitants en 1950.. et 600 000 en 2013…

[4bien que certaines études semblent indiquer un ralentissement de la mondialisation depuis 2015…

Voir en ligne : l’émission sur France culture

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