Politique, donc non partisan ? Enregistrer au format PDF

Après les manifestations du 22 mars
Samedi 24 mars 2018

On connait tous les blagues sur le comptage des manifestants, selon la police et selon les organisateurs… Depuis quelques temps, des médias organisent des comptages s’appuyant sur les capacités des technologies d’observation des foules, et ce 23 mars, France Inter interviewait Assael Adary, président d’Occurence, un cabinet d’études et conseil en communication qui « développe une technologie innovante de comptage des manifestants ».

Une phrase de cet expert m’a frappé, tellement elle révèle la conception dominante de ce qu’est la politique

Un chiffre est politique, il faut qu’il soit non partisan…

Et France Inter le reformule d’une manière journalistique dans le titre de l’interview

« Dans le comptage des manifestants, il faut retrouver l’innocence du chiffre »

Non partisan, innocence… Ce vocabulaire est illustratif de la position de ces professionnels des médias dans notre société toujours plus inégale, injuste, violente… Le plus important est de ne pas prendre partie, de rester « innocent » de tous les drames dont ils doivent malgré tout parler de temps en temps…

Certes, les faits sont têtus comme on dit chez les marxistes, et trop souvent, les militants se sont faussement rassurés en se faisant croire à de « beaux chiffres » sur le rapport de forces. La dure expérience des échecs des luttes sociales ces dernières décennies est là pour leur rappeler que cela ne les aide pas…

Mais aucun chiffre n’est innocent, et tous les statisticiens savent qu’on peut « faire parler les chiffres » comme on le veut.

D’abord parce que tout chiffre est imparfait, imprécis, ce que reconnait d’ailleurs l’expert expliquant pourquoi il peut y avoir un écart important pour la manifestation des cheminots…

Il nous faut un point fixe, et il y a eu des échauffourées vers la place de la république, cela a pu dissuader certains de poursuivre jusqu’à la place de la bastille, on a peut-être perdu des manifestants

Tous les militants vous diront qu’on ne peut pas se contenter d’un point fixe pour avoir une idée de la mobilisation, et personnellement, j’ai toujours l’habitude de parcourir au moins une fois une manifestation à rebours de la tête à la queue pour me rendre mieux compte… Car il y a des manifestants qui arrivent en retard et rejoignent la manifestation au milieu du parcours, d’autres qui ont des raisons de ne pas rester jusqu’au bout, d’autres qui font une pause et la reprenne… Difficile d’ailleurs de ne pas compter certains deux fois, et de ne pas en oublier. C’est pourquoi avec l’expérience, on regarde surtout la durée de la manifestation et sa « densité » apparente, avec des repères selon les parcours…

Les jeunes communistes en pleine forme ce 22 mars…
pam google

Alors l’expert veut prouver le sérieux du travail en valorisant à la fois la technologie et le rôle de l’homme qui la contrôle…

On a incorporé de la technologie, qui existait pour mesurer les foules dans les aéroports, les musées, pour la sécurité de ces lieux

Un capteur qui créée une image fixe sur une ligne d’arrivée virtuelle, toute personne qui franchit la ligne est comptée…

Mais bien sûr,

On en laisse pas la technologie toute seule, … on fait des micro-comptages à la main pour redresser la machine, elle est beaucoup plus fiable que des outils manuel pour décompter en cliquant (mais il faut parfois la redresser…)

Mais pourquoi cette campagne médiatique pour tenter d’imposer un comptage « innocent » face aux contradictions des chiffres « selon la police et selon les manifestants » ?

C’est là que la réponse de l’expert en communication est le plus intéressant

Tous les chiffres sont politiques, ils décrivent une chose publique, notre démarche est citoyenne. Un chiffre est politique, il faut qu’il soit non partisan, il ne doit pas être idéologisé, le chiffre est innocent, il faut retrouver cette forme de virginité du chiffre… il ne doit pas être instrumentalisé, ni d’un coté ni de l’autre…

Et le journaliste lui demande son avis sur le niveau de mobilisation, il insiste

c’est important que le mesureur ne soit pas le commentateur, c’est important de ne pas être juge et partie…

Il espère que ce comptage deviendra inutile parce qu’à force de le faire connaitre, les manifestants et policiers vont finalement publier des chiffres convergents…

Mais la journaliste montre bien quel est l’enjeu véritable du chiffre de manifestants, en posant la question.

Est-ce que cette journée est un demi-échec ou un demi-succès ?

En fait, est-ce que c’est un échec ou un succès… Et d’ailleurs dans tous les médias, le lendemain, on aura droit au sondage qui affirme que « les Français majoritairement pensent que la mobilisation est un échec »

Alors, l’expert ne veut surtout pas être accusé de jouer un rôle dans ce débat, il est « innocent » ! Il est un expert qui met la technologie au service des citoyens… Bon, il se trouve qu’il donne des chiffres inférieurs à ceux de la police, mais ce n’est pas toujours le cas ! Il ne faut pas « avoir l’impression qu’on tende à minorer le chiffre »

Et bien non, le politique, c’est au contraire de prendre parti, de faire un choix, et que ce choix nous conduise à porter un regard sur le réel qui cherche la vérité, une vérité qui est toujours plus qu’un chiffre. Et on ne cherche pas la vérité pour être innocent des drames de ce réel, mais pour en chercher les coupables, pour en comprendre les causes, pour identifier les forces qui le font bouger et pour prendre parti entre ces forces, pour aider celles qui préparent l’avenir et freiner celles qui défendent le passé, ce qu’on appelait avant les progressistes et les réactionnaires…

On sait bien qu’il y des habitudes populaires d’exagération, d’exacerbation du ressenti, de l’empathie devant un évènement. « C’était extraordinaire, je n’ai jamais vu cette ambiance, on était comme des fous.. ». Ce vécu ne se résume pas dans un chiffre, et ne peut jamais être perçu par une technologie, et c’est pourtant celui qui compte, celui qui fait les mobilisations, celui qui fait les révolutions… et pour le 50e anniversaire de Mai 68, les médias devraient y réfléchir !

Je conseillerai toujours aux militants d’être réalistes dans leur appréciation d’un niveau de mobilisation, mais je ne regarderai toujours qu’un seul chiffre… celui des progressistes. Je ne suis pas innocent, j’ai pris parti !

Vos commentaires

  • Le 7 mai 2018 à 14:15, par Ferréol En réponse à : Politique, donc non partisan ?

    Le communisme c’est le mensonge disait Soljenitsyne. Vous lui donnez raison, en bon communiste que vous êtes. Vous justifiez que l’on travestisse la réalité pour garder intacte la foi. Iriez-vous jusqu’à prôner la diffusion de fausses nouvelles, ou le contrôle des journalistes par les politiciens comme c’est le cas dans le socialisme ? Pour vous la propagande prime l’information. Qui vous suivra ? Derrière vous il n’y aura que vos concitoyens incapables de faire la différence entre les deux, c’est-à-dire les imbéciles, et que ceux pour qui manipuler l’opinion publique ouvre la voie du progrès, c’est-à-dire les pervers.

  • Le 28 mai 2018 à 14:56, par Pierre-Alain En réponse à : Politique, donc non partisan ?

    Soljenistsyne a dit beaucoup de choses, et si on les répétait toutes, beaucoup de gens seraient surpris… Ainsi de son analyse intitulée « deux siècles ensemble » parue chez Fayard en 2002, et qui fait un lien étroit entre juif et communistes. Soljenistsyne considère que plus de 50% des dirigeants du bolchevisme était juifs (comité central-Commissaires Politiques. NKVD, etc.). Donc ce sont pour lui les juifs qui ont créé ce malheur de la Russie que fut l’URSS…

    Qui travestit la réalité ? Soit vous pensez que la vérité ne peut être que "révélée", affirmée par ceux qui sont autorisée à le faire et que nous ne pouvons que répéter avec docilité le discours dominant, soit vous être un tout petit peu scientifique et vous réalisez qu’il n’y a pas de vérité en dehors de la confrontation partagée à l’expérience, et qu’il faut donc accepter la critique, la contradiction…

    De fait, Soljenistsyne est un nationaliste conservateur qu’on qualifierait d’intégriste dans une communauté chrétienne progressiste, et je vous le laisse comme référence !

    Quand aux journalistes aujourd’hui, ce ne sont évidemment pas les communistes qui risquent de les "controler" comme vous dites. Par contre, les grandss oligarchies économiques qui possèdent la plupart des médias exercent bien plus qu’un contrôle, une direction et de plus en plus une véritable censure qui conduit à cette uniformité journalistique appauvrissante…

    C’est pourquoi je maintiens que tout discours "officiel" sur le niveau de mobilisation dans notre société inégale et violente est un discours partisan… C’est pourquoi je conseille aussi aux militants de ne pas se faire plaisir en "grossissant" les chiffres ce qui ne sert à rien, car ce n’est pas dans les médias que se construit le rapport de forces, mais dans le réel, et on en triche pas longtemps avec le réel…

    Il n’y a pas de science sans expérience, il n’y a pas de vérité politique sans engagement…

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