Scénarios énergétiques et débat public Enregistrer au format PDF

de retour des assises de l’énergie
Dimanche 29 janvier 2017 — Dernier ajout lundi 30 janvier 2017

J’ai découvert aux assises de l’énergie ce 26 janvier à Bordeaux le nouveau scénario « negawatt » proposé par l’association du même nom. Ce scénario est très souvent présenté dans ce type de rencontre institutionnelle et influence beaucoup de communication de l’ADEME, agence gouvernementale, autour de l’affichage 100% renouvelable. Il avait dans ces assises organisées par le ministère, le statut de scénario « presque » officiel.

Ce scénario depuis ses premières versions cherche à concilier une réduction massive des émissions de gaz à effet de serre, donc la sortie des énergies « fossiles », avec la sortie du nucléaire, donc de l’énergie « fissile ». Ce double choix est compliqué, car bien sûr, le nucléaire existant est justement ce qui permet à la France d’émettre beaucoup moins de gaz à effet de serre que l’Allemagne…

Cette nouvelle version du scénario negawatt va au bout de sa démarche et rejette totalement l’énergie « fissile » (nucléaire) en 2035, et l’énergie « fossile » (charbon, fuel, gaz…) en 2050 pour arriver à un scénario 100% renouvelable (biomasse, solaire, éolien…).

L’exercice est utile, mais mérite un débat contradictoire… malheureusement absent des assises de l’énergie, si ce n’est le syndicat CGT qui manifeste devant les assises pour la défense de l’emploi et du service public… Mais à l’intérieur, pas de débat ou presque… Très poliment, quelques personnalités disent au milieu d’une intervention qu’ils pensent que le nucléaire a sa place, mais au total, tout le monde fait comme si le sujet était clos…

Il y a pourtant des questions assez simples qui méritent discussion…

  • Negawatt transforme radicalement les secteurs du logement et du transport avec une ambition de « sobriété » qui mérite débat… Par exemple, il propose de diviser par 3 les kilomètres parcourus en voiture, très bien, mais pas en les remplaçant par autre chose, mais en réduisant de 20% la mobilité totale, il faut se déplacer moins… Mon expérience, c’est que beaucoup d’habitants des banlieues, dont beaucoup n’ont pas de voitures, ou de vieilles voitures, ne se déplacent que très peu, restant dans leur quartier, une sortie périodique à la Part-Dieu ou Bellecour, un voyage tous les deux ans dans leurs pays d’origine… Et si toutes ces familles avaient le droit de voyager plus ? Pourquoi la mobilité serait-elle « mauvaise » ? Il faut réduire les trajets inutiles, ce qui suppose notamment de l’emploi dans les villes, mais il y a sans doute des besoins utiles à développer…
  • Sur le logement, Negawatt prévoie la rénovation complète de tous les logements collectifs et des deux tiers des maisons individuelles… ce qui suppose un rythme 3 à 4 fois plus élevé qu’aujourd’hui… Quand on connait dans le PIG Energie à Vénissieux, la difficulté de décider de travaux malgré les subventions pour une copropriété, on peut s’interroger sur l’impact social d’un tel objectif…
  • Negawatt suppose que l’industrie en reste à son niveau actuel (pas plus de délocalisation, mais pas de relocalisation), autrement dit, il prend acte de la désindustrialisation de la France en la considérant comme définitive ! Alors que monte l’exigence sociale d’une « réindustrialisation », que grandit le refus de cette illusion d’une France du tourisme et de la finance qui a marqué les politiques publiques depuis des décennies, le scénario negawat fait un choix brutal et inquiétant pour le monde ouvrier…
  • Negawatt conduit à supprimer en 20 ans une filière industrielle et technologique complète et ses 410 000 emplois… la filière du nucléaire. Il promet de créer des millions d’autres emplois, mais nous avons l’habitude des promesses, et on sait d’expérience que les créations d’emploi du solaire se sont évanouies dans un échec industriel retentissant, comme le confirme les mauvaises nouvelles de Sillia ex Bosch à Vénissieux… Question complémentaire, il propose en moins de 20 ans d’arrêter 58 réacteurs nucléaires… il faudra un pouvoir « fort » pour imposer 58 fois ce que Hollande n’a pu faire une fois en 5 ans. Le scénario n’évoque d’ailleurs pas leur démantèlement [1] !

Au total, cette « sobriété » conduit à une forte baisse de la consommation énergétique totale (-50%) qui suppose une baisse des besoins de -30% ! On ne peut que partager les objectifs d’efficacité énergétique (faire autant avec moins d’énergie), mais il faut un vrai débat politique sur l’objectif de 30% de « sobriété » dans une société où tant de gens se privent de tout. Dans notre ville, que dire aux 32% de foyers en dessous du seuil de pauvreté… qu’ils consomment trop d’énergie, qu’ils se déplacent trop ?

En fait, ce scénario se heurte aux limites des énergies renouvelables. Il essaie d’en faire le maximum, mais doit constater qu’on ne dépassera pas en 2050 ; 462TWh de renouvelables électriques, 418 TWh de biomasse, et 121 TWh d’autres renouvelables… soit 1001 Twh au total… à comparer aux 3000 Twh actuellement consommés… et aux 2400 Twh prévus en 2050 si on suit la tendance actuelle des économies d’énergies… Admettons que des progrès techniques permettent d’améliorer plus rapidement l’efficacité énergétique pour aboutir à 2000Twh de consommation, il restera encore 1000 TWh à trouver… Et comme ce scénario veut en même temps la sortie totale du nucléaire, il a impérativement besoin de cette « sobriété » qui est donc de fait une sobriété imposée par son objectif.

Je ne sais jamais quand on me parle de « sobriété » s’il faut entendre « ne rien gâcher » ou « se serrer la ceinture », autrement dit s’il y a, derrière le mot, une valeur sociale de « bon usage » des ressources, ou une valeur anti-sociale de « rigueur » ou « austérité ».

L’histoire de nos sociétés, c’est une tendance longue à plus de mobilité, plus d’échanges, plus d’aménagements de notre cadre de vie, ce qui se traduit par une hausse continue de la consommation d’énergie… et une hausse en même temps de l’efficacité énergétique ! On utilise de plus en plus, et de mieux en mieux l’énergie. Le capitalisme n’a d’ailleurs pas besoin d’incitation particulière pour chercher à dépenser moins d’énergie et augmenter ainsi ses marges… Et ce sont les guerres ou les crises graves comme la chute de l’URSS qui font pour un temps baisser les consommations d’énergie totale.

Dans les pays occidentaux, la courbe s’est inversée récemment pour une tendance à une baisse de consommation. C’est certainement l’effet des efforts technologiques sur l’efficacité énergétique, mais c’est peut-être aussi l’effet de décennies de crise économique qui impose austérité et pauvreté… L’espérance de vie a elle aussi baissée dans les pays développés ces dernières années !

On ne peut dire -30% des besoins sans un grand débat sur ce qui doit être réduit, mais aussi ce qui doit être développé, or cette réflexion est totalement absente des concepteurs de Negawatt… aucune analyse sociale de la précarité, de la pauvreté, et de leurs causes et conséquences…

Un site très utile propose de montrer sous forme de graphiques animés l’évolution du mondeen croisant de nombreuses caractéristiques économiques, technologiques et sociales de chaque pays. On peut ainsi comparer la consommation d’énergie par habitant de chaque pays, avec l’espérance de vie dans ce pays. La comparaison de 1971 avec 2009 est instructive…

Sur cette carte, on voit l’énorme écart en 1971 entre la consommation d’énergie d’un chinois ou d’un indien et celle d’un états-uniens ou canadien, mais aussi de l’écart d’espérance de vie… On voit aussi l’écart entre la consommation énergétique de l’Amérique du Nord et du Japon qui a une meilleure espérance de vie en consommant beaucoup moins..

On constate en comparant avec 2009 que ce n’est pas la consommation d’énergie qui fait la qualité de vie, pour les plus riches… mais qu’il y a un effet de seuil et que l’espérance de vie pour dépasser les 70 ans est associée à une forte hausse des besoins en énergie. C’est l’exemple du Sénégal ou de la Chine, et le contre-exemple du Qatar qui double sa consommation d’énergie sans faire progresser son espérance de vie… Le cas du Luxemboug qui divise sa consommation par deux sans faire baisser son espérance de vie nous dirait sans doute autre chose sur les échanges inégaux entre pays, car ce pays tire certainement sa richesse actuelle de sa « plateforme financière »…

Ce détour par ces cartes mondiales de la consommation d’énergie et de l’espérance de vie me conforte dans la nécessité d’un vrai débat sur la société que nous voulons. Ce ne peut pas être le modèle des USA du Qatar ou du Luxembourg, mais ca ne doit pas être non plus le modèle de l’Amérique latine, qui consomme deux fois moins d’énergie par habitant que la France, mais avec une espérance de vie inférieur de plus de 6 à 8 ans…

Il me semble que le débat ne devrait pas commencer par la décision de sortie du nucléaire, mais par l’évaluation de la réponse aux besoins « réels », aux besoins de la grande majorité, et notamment de tous ceux qui se privent, et en définissant des objectifs de réduction plus fort pour ceux qui se gavent… Or dans la démarche negawatt, rien n’est dit sur les inégalités derrière les consommations de chauffage, de transport, de nourritures, de biens culturels…

Oui, il doit y avoir un vrai débat citoyen, politique, et je suis stupéfait de voir à quel point un scénario très « militant » est officiellement mis en avant sans qu’aucun cadre contradictoire ne soit proposé pour en discuter. Il existe de nombreux scénarios, comme le scénario negatep qui priorise la sortie des fossiles, maintient le nucléaire et propose un critère de décision clair permettant un vrai débat politique, le coût de la tonne de carbone évitée pour arbitrer entre les priorités et les technologies.

Le grand débat préparatoire à la loi de la transition énergétique proposait 4 scénarios :

  • DEC, qui sort des fossiles en développant une électricité décarbonée répondant à une demande forte (le scénario Negatep)
  • DIV, qui repose sur la diversification des supports d’énergie avec une demande moyenne
  • EFF, qui insiste sur l’efficacité énergétique
  • SOB, qui impose une forte sobriété pour sortir du nucléaire (le scénario negawatt)

Les assises de l’énergie auraient vraiment du donner leur place à ces 4 scénarios pour aider au débat citoyen…

[1il est vrai que le démantèlement d’une centrale nucléaire commence très longtemps après son arrêt, on peut donc supposer qu’il commencera après 2050…

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