Un campus industriel à Vénissieux ? pour de vrai ? Enregistrer au format PDF

Lundi 22 janvier 2018

L’annonce de la création d’un campus industriel sur le site de Bosch Vénissieux lors d’une conférence de presse du président de la métropole a étonné les Vénissians, contents d’une bonne nouvelle économique pour leur ville si souvent stigmatisée, comme tous ceux qui s’intéressent à l’industrie. Cela dit, les premiers concernés, les salariés qui travaillent encore sur ce site, ne savaient rien et ont du interpeller le groupe Bosch. Ils sont restés dubitatifs, ayant vu tellement de restructurations sur un site qui est passé en quelques années de 1000 emplois à moins de 100… Ils ne croient pas au père Noel en matière d’emploi !

Mais le projet est séduisant avec apparemment le maintien de Bosch Rexroth et de la recherche et développement Bosch, la création d’un lieu ressource avec des démonstrateurs vitrine des technologies du futur, d’une halle productive pour des jeunes entreprises innovantes dans la suite du fabricant de chaudière thermodynamique Boostheat, de quoi accueillir une dizaine d’entreprises… Le président de la métropole est optimiste «  Ce projet sera une vitrine du dynamisme et du savoir-faire lyonnais en matière d’industrie ».

La ville de Vénissieux accueille avec satisfaction ce projet en insistant sur la nécessité de création d’emplois, y compris en production pour répondre aux besoins des anciens salariés Bosch, mais aussi pour affirmer la vocation industrielle de Vénissieux, cœur historique de l’industrie mécanique de l’agglomération, et en lien fort avec l’énergie et la chimie. D’ailleurs, la ville a insisté dans le PLU-H pour conserver malgré les pressions de promoteurs leur vocation économique aux sites industriels existants fragilisés par les restructurations qui ne se limitent pas au site Bosch [1] La métropole évoquait souvent son pole numérique à Vaise, pharmacie à Gerland, chimie-environnement dans la vallée de la chimie… C’est une bonne nouvelle qu’elle ajoute l’industrie du futur à Vénissieux !

Mais que savons-nous de concret ? pas grand chose ! ni agenda, ni budget, et personne n’évoque l’engagement du groupe Bosch propriétaire du site. C’est un des plus grands groupes industriels mondiaux, réalisant 75G€ de chiffre d’affaires avec près de 5G€ de résultat net. Il investit plus de 6G€ par an, mais se développe en Europe principalement en Allemagne et Europe de l’Est, avec par exemple en 2017 un milliard à Dresde pour une usine d’électronique… Et il se désengage depuis des années de la France, n’y investissant l’an dernier que 50 millions !

Les salariés de Bosch, et de l’industrie lyonnaise en général, comme les Vénissians sont légitimes à poser des questions autant au groupe Bosch qu’à la métropole. Le groupe Bosch participait à la conférence de presse mais on ne connait pas ses objectifs dans ce projet, et la seule information concrète du dossier de presse concerne la “cession du site Bosch Diesel”… Autrement dit, on ne sait pas si Bosch compte investir dans ce projet, mais le groupe pourrait vendre ! Répondant aux salariés, la direction confirme qu’elle étudie la cession du foncier !

Si la métropole est légitime pour organiser les infrastructures de voirie et de transport, pour animer la vie économique… qui va réellement investir sur ce site ? Qui va financer les projets listés sur une belle carte. Nous avons l’expérience du site Brandt/Ciapem de Gerland. La métropole s’était fortement engagée dans la recherche de solutions industrielles, dans l’accompagnement des reprises successives avant de racheter le site pour un projet de véhicules électriques et au final de constater la désindustrialisation et de le laisser aux promoteurs immobiliers ! A Vénissieux, qui décide de maintenir sur le site ce qui reste de Bosch, le site de R&D et l’activité Rexroth ? Ce sont ceux qui décident pour Bosch, le comité de direction allemand… Et se sont-ils engagés à maintenir ces deux activités ? Personne ne le sait, en tout cas, la production des célèbres pompes de Rexroth a été entièrement délocalisée en Turquie, et le site connait un plan de réduction de coûts qui rappelle ce qui s’était fait il y a 10 ans sur la partie diesel !

Bien sûr, on peut en rester aux annonces et espérer… Mais nous avons une longue habitude des annonces politiques sur l’industrie ! Depuis l’aveu d’impuissance de Lionel Jospin en 1999 « il ne faut pas tout attendre de l’état », ses successeurs ont pris soin de défendre l’industrie… en parole.

En 2008, Nicolas Sarkozy lance les états généraux de l’industrie et le « grand emprunt » de 35 milliards pour tracer les grandes lignes d’une « nouvelle politique industrielle » de la France », pour « augmenter la production industrielle de 25% ». Son bilan ? Baisse de la production industrielle, fermeture définitive de Gandrange, 4300 suppression d’emplois chez Airbus, fermeture de Michelin à Toul avant celle de Continental et Molex… Le cabinet Trendeo [2] estime au total entre fermetures et ouvertures une perte de 329 sites industriels et l’INSEE annonce 350 000 emplois industriels en moins de 2007 à 2012…

En 2012, Hollande porte le grand emprunt à 45 milliards, créé la banque publique d’investissement avec l’ambition de la nouvelle France industrielle de Arnaud Montebourg qui lance 34 « plans de reconquête industrielle avec les entreprises » Un des chantiers est « l’usine du futur ». Après la robotisation, certains parlent de la 4e révolution de la transition numérique, ce qui conduit au slogan « industrie 4.0 ». Macron reprend la main comme ministre de l’économie et réduit à 10 solutions pour l’industrie du futur avec de lancer ses premières lois de libéralisation d’activités et la loi El Khomri. Bilan 2012-2017 de Hollande avec Montebourg puis Macron ? La production industrielle stagne, Fermeture de Florange, dernier haut-fourneau lorrain, de PSA Aulnay, de Goodyear Amiens, de Alstom Belfort, de Petroplus… Alstom Energy est bradé à General Electric qui devait créer 1000 emplois et annonce un plan de 2000 suppressions un an après. Le cabinet Trendeo estime une perte de 278 sites industriels et l’INSEE annonce 100 000 emplois industriels en moins de 2012 à 2016…

En 2017, Macron président termine ce qu’il avait commencé sous Hollande avec ses ordonnances travail, et multiplie les annonces, « French Tech », pour construire la “French Fab”, mise en avant des start-up devenues le cœur de l’économie. Le discours est parfois amusant comme cette déclaration du ministre Mounir Mahjoubi “La French Tech est un programme où l’on a fait des innovations très neuves mais qui pourraient être encore plus neuves en 2018”. Pour le bilan, il faut attendre si la petite reprise économique de 2017 se confirme, mais l’industrie a encore perdu 20 000 emplois en 2017…

Ces effets d’annonce sont répandus… Le Conseil européen de Lisbonne en mars 2000 voulait faire de l’Europe « l’économie de la connaissance la plus compétitive et la plus dynamique du monde d’ici à 2010’. Or en 2017, un vice-président de la commission européenne déclare « l’Europe est en retard, il va donc falloir agir et agir vite » (sic !). Qui se souvient des promesses pour Maastricht en 1992 ? Rocard « la monnaie unique, ce sera moins de chômeurs et plus de prospérité », Aubry « l’Europe, ce sera plus d’emplois, plus de protection sociale et moins d’exclusion », Sapin « Le traité d’union européenne se traduira par plus de croissance, plus d’emplois, plus de solidarité. », Giscard « une croissance économique plus forte, donc un emploi amélioré ».

Pour ceux qui ne se laissent pas impressionner par ces effets d’annonces, qui tiennent compte de l’expérience, pour tous ceux qui refusent de diviser le peuple entre modernité technologique et archaisme social, il faut étudier plus en profondeur le discours économique dominant sur l’industrie.

Les politiques publiques pour l’industrie

Toutes les politiques publiques font face à une contradiction, celle de la métropole, comme celle du ministère de l’économie. Elles disent répondre à l’intérêt général en acceptant les décisions du marché, c’est à dire en se soumettant aux investisseurs, à la rentabilité de leur capitaux, à leur intérêt privé qui se traduit en dividendes, primes de départ, retraites chapeau, parachutes dorés… sans parler d’évasion ou d’optimisation fiscale ! Elles reposent sur le célèbre “théorème de Schmidt” qui privilégie les profits, et conduit à la recherche de “spécialisation” autour de quelques innovations.

Les profits d’aujourd’hui font les investissements de demain et les emplois d’après-demain ?

Ce “théorème de Schmidt” affirmé en 1974 par le chancelier allemand est constamment démenti par les faits ! Les profits ne se transforment pas en investissement, mais en dividendes et luxe pour ceux qui les détiennent. Ils sont à la racine de l’écartèlement des revenus entre les salariés dont les revenus stagnent au mieux, et les 1% des plus riches, et même les 0,1% dont les revenus explosent !

En fait, l’investissement mondial est largement tiré par la croissance chinoise, c’est à dire par d’énormes investissements publics dans les infrastructures. Par contre, le niveau d’investissement des entreprises françaises reste historiquement bas, moins d’un quart de la valeur ajoutée, loin de son niveau des années 60, malgré la forte progression du taux de marge dans les années 80 !

Historique du taux investissement des entreprises en France

En 1996, le patron des patrons de l’époque, Yvon Gattaz, le père, avait promis 600 000 emplois pour obtenir la fin de l’autorisation administrative de licenciement. Son fils Pierre Gattaz, lui aussi patron des patrons, en a promis 1 million pour obtenir la loi Elk Khomri, puis la loi travail ! Tout le monde sait que ce sont des mensonges éhontés ! Et quand Hollande présente son pacte de responsabilité, le patron des patrons en rajoute en demandant un allègement de 50 milliards d’euros du coût du travail et d’autant de baisses d’impôts sur les entreprises ! Il a bien eu les allègements, personne n’a vu de progression des investissements !

C’est pourquoi le débat public ne peut se limiter à réclamer comme des personnalités de gauche début 2017 de « réorienter l’économie française vers les activités industrielles » et que la finance qui « continue d’étouffer l’industrie », soit « remise à sa place ». La question est de savoir qui décide des investissements, qui décide de l’utilisation des profits, et dans ce cadre quel rôle l’état peut jouer.

Car qui se souvient de la prime de retraite de 6 millions d’euros de Serge Tchuruk, promoteur de l’industrie sans usines (sic !), dirigeant de Alcatel avant d’organiser la désindustrialisation d’Alstom. Qui se souvient de celle de 10 millions de son successeur Patrick Kron qui bradera Alstom à Géneral Electric ! Et qui sait que Jack Welch, le gourou de l’industrie US qui dirigeait General Electric bat le record avec une prime de retraite de 417 millions de $ ! Il licenciait tellement que son surnom était “Neutron man”, la bombe à neutrons de l’emploi.

Si ceux qui décident sont ceux qui négocient les parachutes dorés, ça ne peut pas être bon pour l’emploi ! Si on jugeait les patrons sur leur bilan pour l’intérêt général, il faudrait en virer beaucoup ! Sauf que les actionnaires seuls juges ne voient que leurs dividendes ! Ceux qu’on appelle des capitaines d’industrie sont en fait des dictateurs de l’économie. Toutes les mesures politiques qui cherchent à leur faciliter la vie ne feront qu’amplifier leur tendance naturelle au court terme, au résultat financier, à la priorité aux dividendes sur l’investissement.

Une autre politique économique

Face à la logique du marché, qui est la logique de l’intérêt privé, il faut promouvoir une autre logique, de coopération, de complémentarité, de développement des savoir-faire. Et pour cela, il faut que la puissance publique ait les moyens de décider, bref, il faut nationaliser les grands groupes clés du développement économique d’un pays….

C’est le contraire de ce que propose le patronat, le ministre ou la métropole de Lyon et qu’ils appellent la “spécialisation intelligente”. Car la concurrence vise à faire émerger les meilleurs en laissant mourir les autres. Comme on ne peut pas être meilleur partout, il faudrait se spécialiser. C’était le discours de Gérard Collomb dans la métropole de Lyon défendant la « destruction créatrice » pour justifier les fermetures de sites industriels qu’il disait nécessaires pour permettre l’innovation. Cela conduit au choix de quelques secteurs jugés stratégiques, vers lesquels tout est tourné, pôles de compétitivité, appels à projets. Et tant pis pour les savoir-faire qui ne sont pas dans la bonne spécialisation… C’est la limite du projet de la vallée de la chimie car qui connaît les stratégies des industriels ? Qui a fait le bilan des productions délocalisées de la vallée, des rachats et reventes d’activité ? Et pourquoi les nombreux brevets développés dans la vallée de la chimie sont-ils vendus pour être exploité ailleurs, plutôt que de permettre des investissements sur place ?

Loin de la spécialisation intelligente, une stratégie industrielle devrait reposer sur le développement des compétences dans leur diversité, car c’est souvent leur croisement qui permet l’innovation. A force de se spécialiser, on s’affaiblit ! Un proverbe le fait bien comprendre… on peut toujours chercher à améliorer la bougie, on n’invente jamais l’ampoule électrique !

L’industrie en pleine transformation vers « l’industrie 4.0 »

Tous le reconnaissent, la France est en retard avec moins de 35 000 robots de production contre plus de 150 000 en Allemagne et près de 65 000 en Italie. Le plan « Usine du futur » devait permettre « à la France d’être au rendez-vous disent-ils, et de ce point de vue, si le site de Bosch Vénissieux peut être un des haut lieux de cette “usine du futur”, tant mieux, mais qui va investir ? Bosch est justement un des champions de cette industrie 4.0…

Car l’industrie mondiale connaît une vague d’investissement pour « l’usine du futur » intégrant robots, numérique, plateforme de services… Une étude du cabinet Trendeo liste 3600 projets pour 2270 G$ d’investissements et 1,2 millions d’emplois créés. Le projet type crée 250 emplois pour 100M€ avec beaucoup de petits projets et quelques très grands. Cela représente 12% des 19 000G€ de l’investissement mondial. Mais la France n’est pas dans les 20 premiers pays destinataires (Inde, USA, Chine, UK…) et n’est qu’au 16e rang des pays investisseurs, et encore, avec 80% de ses investissements dans quelques grands projets de l’énergie, en Angleterre et en Angola… La France fait 3,2% du PIB mondial, mais 1,3% de l’investissement !

L’étude du cabinet Roland Bergerest terrible. « Hormis les grands groupes, à la pointe des technologies de production, et de rares secteurs comme l’aéronautique, l’usine France a laissé son outil industriel dépérir” […], l’industrie française a baissé ses investissements de 40 milliards d’euros en dix ans.

Nous n’avons pas besoin de discours, il y en a déjà beaucoup comme ces “Assises du produire en France” qui mettent en avant le label “Origine France Garantie”, sous l’égide en 2017 de Bruno Le Maire et Yves Jego, encore un symbole macronien de gauche et de droite, tout à droite ! ”

Le projet de campus industriel sur le site Bosch de Vénissieux

Revenons au projet de campus industriel. Après les discours, ceux qui décideront demain des investissements industriels sont ceux qui décident depuis des décennies… A commencer par Bosch !

Car le site Bosch Vénissieux est un des plus grands site historique de l’industrie mécanique, un des fleurons de l’industrie française et tout à fait à son image…. 1000 emplois perdus, des machines modernes déménagées en Europe de l’Est, des accords de baisse du coût du travail imposés aux salariés par des syndicats réformistes, qui ne changent rien à la stratégie de désengagement du groupe. Bosch se débarrasse du site diesel avec un projet de photovoltaïque incapable de résister dans ce marché mondialisé, revendu pour le prix de la matière première. Et la filiale Rexroth connait des plans de « réduction de coûts » qui inquiètent. Oui ou non, le groupe veut-il se développer en France ?

C’est à propos de ce site que Gérard Collomb avait défendu le principe de la “destruction créatrice” en séance du conseil de métropole. S’il avait écrit au patron du groupe Bosch pour faire écho aux inquiétudes des salariés, son exigence n’était pas d’obtenir des investissements créateurs d’emplois.

Pourtant la mobilisation des salariés avec le soutien de maire PCF de Vénissieux avait conduit à une table ronde ou le préfet déclarait « On vous a donné en Crédit d’impôt compétitivité (CICE) et en Crédit d’impôt recherche (CIR) plus que vous n’investissez, (…) Et en retour, vous voulez licencier sur le site de Vénissieux. Je n’accepte pas, il y a pas de raison que j’y perde autant. Nous attendons un retour sur investissement, sur le territoire. ». Déclaration forte mais sans effet, aucun investissement n’a été annoncé par le groupe…

Si on en prend les données du cabinet Trendeo, pour recréer 500 emplois industriels sur ce site, il faudrait un investissement de quelques centaines de millions. Le groupe Bosch réalise chaque année plus de 4 milliards de résultat net sur un chiffre d’affaire de 75 milliards. C’est donc à sa portée !

L’annonce de la création d’un campus industriel peut être une formidable opportunité s’il ne s’agit pas d’offrir une porte de sortie au groupe Bosch, si l’ambition est bien d’assurer le développement de l’emploi et donc de productions nouvelles, s’appuyant sur les savoir-faire. Car l’innovation seule ne remplacera pas les emplois détruits ! Comme le montre l’exemple de Boostheat, entreprise innovante avec une nouvelle conception de chaudière thermodynamique, c’est le passage à la production qui permettra de créer un volume d’emploi significatif et qui offrira une issue aux anciens du site.

Bosch a donc une responsabilité majeure dans la réindustrialisation du site. Le président de la métropole présentant le projet de campus industriel n’a rien dit du rôle de Bosch. La CGT souligne que l’inquiétude sur les emplois du bureau d’étude et recherche comme sur l’avenir industriel du site Rexroth demeure. Or, le document présentant le camus industriel et “la cession de ses actifs de Bosch Diesel” précise que “ce sont ainsi 11 ha qui sont libérés et qui vont être dédiés à de futures implantations industrielles”. Si non seulement Bosch n’investit rien mais réalise une valeur foncière ce serait le summum !

Comme le souligne Serge Truscello, ancien délégué syndical CGT de l’usine et secrétaire de section du PCF Vénissieux, “Les pouvoirs publics doivent poser clairement leurs exigences auprès de Bosch. Exigence financière, exigence de maintien des emplois restants, exigence d’apport de technologie et de savoir faire, et donc d’investissement.”

[1sites Veninov/maréchal, St-Jean Industrie/Duranton, avenir de Carbone Savoie…

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