Une vision politique non consensuelle des enjeux d’un réseau de chaleur Enregistrer au format PDF

Intervention dans un cours de l’ENTPE à Vaulx-en-Velin
Jeudi 15 janvier 2015

La ville de Vénissieux a des relations sur les questions de l’énergie avec l’école nationale des travaux publics d’état de Vaulx-en-Velin (ENTPE), qui développe des enseignements sur l’énergie et notamment les réseaux de chaleur. L’école recherchait des collectivités partenaires comme maitre d’ouvrage de services urbains de l’énergie, et la ville peut ainsi soumettre des sujets d’études que les étudiants explorent comme travaux pratiques…

J’ai ainsi participé à une présentation du réseau de chaleur Vénissian aux étudiants d’une promotion, avec un représentant de Dalkia, donnant un point de vue technique, l’ingénieur responsable du service énergie de la ville, donnant un point de vue de maitre d’ouvrage, ce qui me permettait en complément d’apporter un point de vue d’élu sur les enjeux politiques pour les habitants. Les notes que j’avais préparé me paraissent après coup utiles, je les ai donc mis en forme pour cet article.

petite histoire d’une découverte…

Quand je suis devenu adjoint en 2008, je ne connaissais l’énergie et les réseaux de chaleur pour l’essentiel que comme tous les usagers du réseau de chaleur de Vénissieux : quand il y a un problème, ou quand on discute de la facture… Et l’aventure a commencé…

  • En 2008, le directeur du patrimoine me présente une note interne… catastrophique. La chaufferie bois fonctionne de moins en moins, et on va vers un litige majeur… L’action judiciaire est lancée avec une expertise qui dure…
  • Fin 2009, l’expert nous autorise enfin à intervenir et on prépare la décision de la reconstruction..
  • En 2010, année noire, la chaufferie bois est en reconstruction, le pétrole est au plus haut, et l’année est très froide.. C’est un choc pour des milliers de familles qui voient leur facture exploser…
  • En 2013, année froide aussi, le travail de la ville a payé. La nouvelle chaudière dépasse ses objectifs, 44% de biomasse, le réseau a un très bon rendement, la justice a donné raison à la ville… Cela se sent sur les factures, le tarif est stable !
  • 2014, un nouveau contrat de délégation est décidé qui permet de dépasser les 50% de renouvelables dès 2015, avec une baisse prévisionnelle de 10% de la facture, puis d’atteindre 60% de biomasse avec une chaudière supplémentaire, et une nouvelle baisse de 7%..

Il y a bien sûr beaucoup d’autres sujets que le réseau de chaleur, et c’est une aventure qui a été d’abord une occasion de découvrir tous ceux qui font le service public, directeurs, ingénieurs, techniciens, agents, de la ville et des entreprises, mais aussi de multiples occasions de rencontres avec des habitants, souvent légitimement en colère, et souvent démunis devant la complexité des choses…

un élu, un militant…

C’est ce point qui domine, au-delà de la connaissance technique acquise, les colères des locataires qui voient leur facture exploser… Que dire à des familles qui sont au RSA et qui reçoivent un rappel de charges de chauffage de 500€… impossible bien sûr à assumer ?

Cette volatilité des tarifs, et la difficulté à les expliquer est le premier problème politique dans la relation avec les habitants. Dans la longue durée, le tarif de la part énergie (R1) passe de 30€ avant 2005 à presque 70€ à l’été 2010 ! La ville réussit à le stabiliser à 48€ sur 2012-2014, et elle obtient dans le nouveau contrat un tarif à 46€. Succès réel, mais demi-succès si on pense à la baisse des revenus des usagers…

Le deuxième sujet repose sur les incompréhensions sur la qualité de service… Des habitants appellent « mon radiateur est froid… » Mais c’est parfois normal ! Quand la température extérieure est douce, et qu’un batiment a atteint sa température cible, la régulation arrête de chauffer… et les radiateurs… refroidissent. C’est toute la question de la température « objective », celle que les appareils vont mesurer, et la température « vécue », celle dont parlent les habitants. Les spécialistes disent même qu’il faut parler de la température du sol, des parois… et bien sûr, on peut avoir chaud dans un appartement au milieu d’une barre coté Sud, alors qu’un autre appartement du même batiment sur un pignon nord a froid..

Le troisième type d’inquiétudes porte sur les cheminées et les pollutions… La fumée se voit et quand elle devient noire, l’élu est interpellé… Comment expliquer les progrès extraordinaires réalisés sur la pollution depuis 20 ou 30 ans ? Tous les polluants émis par la chaufferie ont été réduits drastiquement, parfois d’un facteur 10… Ce qui ne veut pas dire qu’il n’y a plus de pollutions, mais montre qu’on va dans le bon sens…

Ces questions illustrent le difficile exercice démocratique, entre deux pièges, le populisme, qui n’existe pas que pour les élections, mais conduit souvent à considérer que les citoyens ont toujours raison, qu’il faut simplement porter leur parole.. et le technicisme, cette loi de la technocratie qui réduit la démocratie à la communication, car « seuls les techniciens savent »…

Les enjeux d’aménagement du territoire

Mais bien entendu, l’énergie, c’est aussi l’aménagement du territoire, avec la lourde tendance depuis des décennies à réduire le rôle de l’état et à laisser les « territoires » s’organiser selon leurs moyens.. Pourtant, il y a de vrais enjeux nationaux autour notamment de la filière bois :

  • l’économie de la forêt, et l’intérêt des petits propriétaires à l’exploiter, la faire vivre
  • le besoin d’infrastructures de stockage et transport
  • la gestion de la concurrence des usages, entre bois énergie, gazéification, bois d’œuvre, besoin agricoles…
  • le plan d’urbanisme, le PLU-H, le classement des réseaux qui permet d’affirmer une politique publique favorable à des réseaux de chaleur à énergie renouvelable…
  • Pour Vénissieux, concrètement, ce sont les dossiers du raccordement à la station d’épuration de St-Fons, aux énergies fatales de la vallée de la chimie…

Il est essentiel de défendre un état organisateur face aux concurrences entre métropoles, face au marché dont les coups de boutoir peuvent désorganiser et déstabiliser des filières. A Vénissieux, nous avons fait l’expérience de trois négociations successives pour le bois-énergie, premier contrat à 14€ en 2005, puis 24€ en 2010, et enfin 34€ en 2014… heureusement, ce contrat est pour 20 ans… Le bois énergie était un nouveau marché et on peut comprendre que son développement conduit à des besoins d’investissements croissants. Mais si l’état affirmait une politique de long terme, en finançant les infrastructures nécessaires, on se prémunirait de ce que tout le monde craint, un tarif bois qui devienne aussi spéculatif que les autres tarifs énergie…

les enjeux publics de l’énergie

Car le yoyo des prix de marché de l’énergie sont injustifiés et ne reposent que sur la guerre que se livrent les « rentiers » de l’énergie, ceux qui sont assis sur un tuyau et qui font payer un droit de passage… comme les péages du moyen-age…

Quel est le vrai coût du pétrole ? L’histoire géopolitique nous apprend que Reagan et Saoud s’étaient mis d’accord pour faire chuter le prix du baril en 85-86 pour faire tomber l’URSS… Et on ne peut que constater en 2014 que Obama et Saoud (ttoujours !) tentent de reproduire cette guerre de l’énergie contre la Russie. Les conséquences sur l’énergie et nos objectifs du plan climat sont terribles..

Pour le gaz, l’expérience de Vénissieux est tout aussi éclairante. La première négociation s’ouvre sur un tarif autour de 40€, le contrat est signé à 44€, et un an après, le jeu des indices l’ont porté à 60€… Qui peut planifier un investissement dans ces conditions ?

Il y a bien deux approches de la réponse aux besoins des plus bas revenus dans une société d’inégalités.

  • chercher du « low cost » dans une offre segmentée allant du très haut de gamme au service « de base ». Pour l’électricité, par exemple, le temps moyen de coupure est excellent en France jusqu’à aujourd’hui et assuré à tous, mais il se dégrade. Il est beaucoup plus mauvais aux USA, mais les riches ont tous un groupe électrogène…
  • assurer un service stable pour tous… avec une péréquation tarifaire, un tarif unique figé annuellement, un contrôle public de la performance et des résultats. Cela peut se faire avec un service géré en régie publique ou en délégation selon les compétences nécessaires, mais dans tous les cas, ce sont les politiques tarifaires et d’investissements qui doivent être sous maitrise publique.

C’est bien sûr un choix politique, mais le choix d’un service standard avec péréquation tarifaire n’est pas un choix politiquement correct, mais techniquement mauvais…Au contraire, parfois ce sont les acteurs privés qui choisissent ce modèle, comme Free pour la téléphonie mobile et internet, pourtant symbole de la privatisation !

L’impact climatique et sur la qualité de l’air…

Une politique favorable aux réseaux de chaleur urbains se justifie complètement comme moyen efficace de remplacer du fossile par de la biomasse, de la géothermie ou de l’énergie fatale, dans des conditions qui réduisent massivement le carbone, mais aussi la plupart des polluants… Mais il faut répéter que l’investissement biomasse reste plus risqué et au total plus coûteux que le gaz… Donc la condition de son développement est dans une réelle politique d’investissement public.

Malheureusement, l’essentiel de la loi de transition énergétique porte sur l’électricité et non pas sur le transport et le logement, qui sont pourtant en France le seul sujet pour le climat, car notre électricité, principalement nucléaire, n’émet (presque) pas de carbone. On sait désormais ce que produit ce type de transition en Allemagne, le retour à la hausse des émissions de gaz à effet de serre, le contraire de l’objectif affiché !

Quelle transition ?

C’est tout l’enjeu du débat sur la transition énergétique, car la France a connu depuis des années une dérèglementation accélérée de ce qui faisait sa force, un service public de l’énergie efficace techniquement, économiquement, et environnementalement. Depuis, tout est fait dans l’optique d’une réponse de marché, donc inégale, segmentée, instable…

Les vendeurs vont comme dans la téléphonie multiplier les offres alléchantes, faire apparaitre commercialement des remises, des rabais, des baisses… et les factures vont augmenter ! C’est pourquoi on entend si souvent dire que le prix de l’électricité doit augmenter, va augmenter… Et plus les discours politiques dénoncent la précarité énergétique, plus les politiques réelles l’aggravent. Les réseaux intelligents, les « Smart Grid », le compteur Linky.. sont faits pour permettre la segmentation commerciale du marché et accepter les conséquences des productions intermittentes locales, c’est à dire pour organiser la dégradation de la qualité de service pour tous.

Ce grand écart entre les discours et le réel ne concerne pas que l’énergie. On peut par exemple prendre la politique de la ville, très affirmée dans l’agglomération Lyonnaise, et qui a permis des projets très positifs à Vaulx en velin comme à Vénissieux… mais qui ne changent rien à l’évolution des inégalités sociales, à une ségrégation urbaine qui se renforce (voir le cahier nr 6 de l’agence de développement urbain sur ce sujet…)

La conclusion est claire. La réalité de la transition énergétique, c’est la volonté de casser le service public pour permettre à de grands groupes privés de se partager une part du gâteau, et tout le monde sait que cela aura des conséquences négatives pour la majorité des salariés, terribles pour les 10 millions de pauvres…

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