Linky, les usagers, le marché et la commune Enregistrer au format PDF

Jeudi 3 mars 2016 — Dernier ajout vendredi 4 mars 2016

On lit beaucoup de choses sur le déploiement des compteurs « Linky », ces nouveaux compteurs électriques dits « intelligents » parce-qu’ils sont numériques… Il y a les promesses d’une meilleur maitrise des consommations électriques, les craintes du coût de ce changement, celles concernant l’impact environnemental… A tel point que quelques communes ont délibérées pour refuser le déploiement…considérant que le réseau de distribution d’électricité appartient aux collectivités locales qui en donnent une concession à EDF [1]. C’est ainsi depuis la nationalisation de 1945 [1]. Les concessions sont désormais confiées à ERDF, seule structure de service public restante encore dans la dérèglementation… Et depuis début 2015 et la loi MAPTAM, les concessions sont de compétences métropolitaines…

Cependant, il y a des critiques très différentes de ce compteur Linky ;

  • des critiques « environnementales », sur les risques liés aux ondes, la dangerosité liée à des défauts techniques.
  • des critiques « anti-surveillance », contre un capteur numérique de plus qui observe nos consommations et dirait « tout sur nos modes de vies », avec les questions « à qui appartiennent les données, qui y a accès, a quoi servent-elles » ?
  • des critiques économiques… avec le coût évalué à 5 milliards qui a fait l’objet de beaucoup de discussions, avant de décider qu’il serait financé par ERDF… autrement dit, payé sur la partie abonnement de nos factures…

Concernant les risques environnementaux, comme pour les réseaux de téléphonie mobile, la commune n’est évidemment pas compétente pour se prononcer sur les risques de telle ou telle technique. Elle ne peut que favoriser la transparence et l’information des citoyens. Il faut toutefois rappeler que les risques du compteur Linky sont ceux d’un téléphone qui passerait chaque jour moins de 10 appels… Et chaque fois que la ville a fait des mesures de champs électromagnétiques chez un particulier, c’était les équipements électriques anciens qui étaient le plus émetteurs, et parfois au dessus des normes (télévision ancienne, micro-ondes…), sans compter les portails électriques !

Concernant la protection des données personnelles, c’est bien sûr la CNIL qui est compétente, et qui a d’ailleurs imposé que les données restent propriété de l’usager. Mais l’usager sera de fait contraint de signer un contrat avec son fournisseur qui autorise ce dernier à utiliser ces données… Cependant, si le profil de consommation électrique peut dire des choses sur la vie d’un usager (à quelle heure il se lève et se couche…), les opérateurs internet et de cartes bancaires en savent déjà beaucoup plus sans émouvoir beaucoup ! De ce point de vue, le compteur Linky ne pèse pas grande chose dans le grand univers des « Big Data », ces données qui sont collectées de partout sur chacun d’entre nous, et que tant de citoyens mettent eux-mêmes sans aucune limite dans les réseaux sociaux… Et bien sûr, c’est la loi qui devrait être « l’expression de la volonté générale » et proposer les règles de la société numérique…

Enfin, pour le coût, s’il n’est pas facturé à l ’usager, il sera financé par ERDF et donc pris sur la taxe dite « TURP » qui finance le réseau et qu’on retrouve sur la part abonnement de nos factures d’électricité… [2]

Mais comme toujours, les questions économiques révèlent la vérité des décisions… quand on les étudie de manière critique !

Car pourquoi dépenser 5 G€ dans un contexte de crise budgétaire et alors que tout le monde voit le prix de l’électricité augmenter ? Pas pour aider les consommateurs bien sûr, mais pour permettre d’aller au bout de la dérèglementation du marché de l’électricité :

  • en permettant à un fournisseur de débrancher un client sans avoir besoin d’envoyer un technicien… fini les robins des villes, ces techniciens EDF qui refusaient les coupures électriques pour dettes… et bien sûr, encore moins de contacts entre l’usager et les agents EDF (pardon, les "collaborateurs" du fournisseur que le client aurai choisi !)
  • en permettant aux fournisseurs de se différencier avec des offres commerciales variées, adaptées à différents types de client, avec différents niveaux de services.. Cela a conduit à installer dans le compteur Linky plusieurs "compteurs" qui permettront de mesurer séparément différentes tranches horaires de consommation, avec donc différents tarifs ! C’est la généralisation des heures creuses/heures pleines, avec autant d’horaires que d’offres commerciales… Dans quelques années, comme pour le transport ou la téléphonie, personne ne pourra dire quel est le prix d’un KWh électrique… Chacun aura le sien et la créativité des experts du marketing dépenseront sans compter pour nous convaincre que chez eux, c’est moins cher…
  • et en facilitant ce qu’on appelle "l’effacement", autrement dit la coupure temporaire d’un usager pendant les pointes de consommation. Car le développement de l’électricité solaire et éolienne a une conséquence énorme sur les réseaux qui doivent encaisser de fortes variations de production. On les compense avec des installations gaz [3], mais il faut aussi pouvoir jouer sur la consommation… Certains affairistes proposent déjà d’acheter de "l’effacement", autrement dit de payer (un peu) si vous ne consommez pas pendant certaines heures… sans dire qu’en fait, si vous arrêtez votre congélateur de 18h à 20h, vous allez consommer plus après 20h, et donc au total, vous pouvez payer plus pour un service moindre !

Au total, il y a de vraies questions sur le déploiement de ces compteurs

  • qui pourra contrôler sa facture s’il faut un logiciel spécialisé pour reconstituer le calcul ?
  • quel impact au final sur le coût de l’électricité ?
  • qui pourra décider des coupures à distance, selon quelle procédure ? comment se défendre d’une erreur ?

Bien loin d’ouvrir la voie à des économies d’énergie, encore moins à des économies, les « Linkys », très coûteux en eux-mêmes, préparent l’individualisation des situations dans une perspective de marchandisation totale de la distribution d’électricité.

Pourtant, la numérisation des réseaux est un processus qui à long terme se développera sur tous les réseaux. Le nouveau contrat du réseau de chaleur le prévoit par exemple à Vénissieux.

Mais il faudrait un tout autre "Linky", conçu pour permettre à l’usager de maîtriser sa consommation par un pilotage fin de ses équipements. Il devrait pour cela communiquer non pas seulement à l’extérieur avec le fournisseur, mais surtout à l’intérieur de l’appartement avec des boîtiers domotiques. On aurait pu imaginer des prises "intelligentes" pilotées par courant porteur par le compteur… C’est finalement ce qui sera possible prochainement avec un élément "radio" [4] qui a été ajouté au compteur Linky pour pouvoir installer un afficheur déporté dans l’appartement. Cet afficheur est d’abord prévu pour les "bénéficiaires" du tarif social, qui ont une consommation maximum autorisée. L’afficheur leur permet ainsi de savoir où ils en sont.. Et ce système est au final généralisé pour tout autre usage.

Au total, les études juridiques sont nombreuses et semblent confirmer que la commune n’a pas autorité à s’opposer à l’obligation imposée par l’état à ERDF de déployer ces compteurs, d’autant plus pour Vénissieux puisque c’est désormais une compétence métropolitaine. Mais comme pour les antennes relais, l’essentiel n’est pas dans ces peurs que certains utilisent, mais dans la transparence pour les usagers, et dans leur appropriation des vrais enjeux des réseaux électriques :

  • le principe du service public et de la péréquation tarifaire qui ne fait pas payer le prix réel à chacun, mais qui finance de manière solidaire les besoins de tous
  • la recherche de la plus grande efficacité technique globale pour réduire au maximum les coûts donc les prix facturés, ce qui suppose l’intervention de l’état pour permettre le financement à long terme des infrastructures nécessaires

Ce n’est donc pas le principe de la numérisation des compteurs qui est en cause, ce sont les objectifs que les gouvernements successifs lui ont fixés. Et ils ne peuvent être modifiés qu’en remettant en cause profondément les politiques énergétiques, notamment celles de la dernière loi de "transition énergétique"…

[1sauf dans les communes qui avaient à l’époque des régies municipale d’électricité

[2un décret du 31 août 2010 relatif aux dispositifs de comptage sur les réseaux publics d’électricité prévoit que « les coûts effectivement engagés liés aux dispositifs de comptage mis en place dans le cadre de l’expérimentation et à ceux qui sont mis en œuvre par les gestionnaires des réseaux publics conformément aux prescriptions de l’arrêté prévu à l’article 4 entrent dans les charges à couvrir par les tarifs d’utilisation des réseaux publics de transport et de distribution d’électricité » sans préciser que cela les fait augmenter… mais les études indiquent que le financement représente pour les consommateurs une augmentation du TURPE (tarif d’utilisation des réseaux publics d’électricité) de 1 à 2 euros par mois prélevés sur les factures d’électricité… jusqu’à atteindre le coût du compteur Linky (de 120 à 240 euros)

[3ce qui fait que contrairement à ce qu’on dit, ces énergies sont beaucoup moins vertes que prévues, et qu’en fait, au total, elles contribuent à émettre plus de gaz à effet de serre que l’électricité nucléaire…

[4on se demande pourquoi ne pas l’avoir réalisé en CPL, qui aurait évité les questions sur les ondes…

Vos commentaires

  • Le 22 avril 2016 à 09:20, par Pierre-Alain En réponse à : Linky, les usagers, le marché et la commune

    a noter que les responsables d’ERDF affirment qu’ils se sont engagés à n’organiser aucune coupure pour impayé de loyer à distance… et qu’un agent doit toujours rencontrer l’habitant

    Voila un bon sujet à travailler avec nos communes pour le travail contre les coupures d’énergie…

    pam

  • Le 4 novembre 2016 à 13:21, par Pierre-Alain En réponse à : Linky, les usagers, le marché et la commune

    Un élément supplémentaire sur les tarifs suite à une présentation au SIGERLY (syndicat d’électricité de la région de Lyon). L’étude des factures des bénéficiaires du tarif social de l’électricité montre que certains avec des abonnements heures pleines/heures creuses sont perdants, car ils consomment trop en heures pleines… ils auraient intérêt à revenir au tarif de base…

    Plus les tarifs seront diversifiés, moins les usagers les maitriseront, et plus ils seront perdants… quelques soient les politiques « sociales » mises ne œuvre pour suppléer aux inégalités générées par le marché…

Vos commentaires

Forum sur abonnement

Pour participer à ce forum, vous devez vous enregistrer au préalable. Merci d’indiquer ci-dessous l’identifiant personnel qui vous a été fourni. Si vous n’êtes pas enregistré, vous devez vous inscrire.

ConnexionS’inscriremot de passe oublié ?

Suivre les commentaires : RSS 2.0 | Atom

Revenir en haut