La chimie, la production, l’emploi, la vallée… Enregistrer au format PDF

Jeudi 27 octobre 2016

Tout le monde le sait, la chimie est un des cœurs économiques de Lyon, dans la longue histoire de la soie et des roses, d’une relation particulière à l’Asie que ces deux produits ont tissée, sans jeu de mots… La vallée de la chimie est connue de ceux qui empruntent cette autoroute du soleil qui traverse la colline où l’on prie et son tunnel au bouchon célèbre. Mais elle est aussi au cœur de la vie de milliers de familles des villes de Pierre-Bénite, Irigny, St-Fons, Feyzin, et jusqu’au Roussillon… un des creusets de militants ouvriers qu’on a retrouvé avec ceux de la métallurgie un peu partout dans l’agglomération au parti communiste et la CGT…

Cette vallée est bousculée depuis de nombreuses années par les restructurations économiques, et la vie locale semble interroger sa place. On a entendu des élus métropolitains écologistes évoquer le jour où ses cuves seront transformées en atelier d’artiste. Les inquiétudes sur les risques industriels conduisent certains à souhaiter sa fin, jusqu’au maire de Chaponay qui considère la raffinerie vieillissante et « s’interroge » sur sa durée de vie.

Si les terribles conséquences de la désindustrialisation de la France a conduit a revenir, officiellement, sur le discours des années 90 d’une France de la banque et du tourisme, personne ne constate de renversement de tendance. C’est le cas dans l’agglomération Lyonnaise où les restructurations se poursuivent (Bosch, Brandt, Kem’One, Volvo Trucks…), tout comme la transformation continue de zones industrielles en logement ou tertiaire dans la ville de Lyon. L’évolution sociologique est marquante ; une baisse continue des ouvriers et employés qui se concentrent dans les villes ouvrières historiques, et une forte hausse des catégories sociales supérieures qui se concentrent dans Lyon.

Les initiatives de la métropole Lyonnaise autour de la vallée de la chimie affirment vouloir un renouveau de la vallée de la chimie, point crucial pour maintenir, comme l’annonçait le vice-président de la métropole, 18% d’emplois de l’agglomération dans le secteur industriel. Il veut remettre sur le marché 60 hectares de foncier délaissé dans la vallée pour réimplanter des activités nouvelles dans la chimie, l’énergie, l’environnement, en lien avec les industriels de la vallée… Le journal Les échos parlent de 300M€ en 4 ans. Et les grands groupes continueraient à investir, TOTAL, 110M€ pour la modernisation de la raffinerie, BlueStar 35M€ dans les élastomères…

Mais quoi après les annonces ? Pendant que les bureaux d’études et les groupes de travail planchent sur « l’appel des 30 », le PPRT, le développement durable de la vallée, les projets des pôles de compétitivité, on ne peut mesurer l’impact en terme d’investissements privés et de création d’emploi. Pendant que les millions d’études et de subventions s’accumulent, l’emploi continue de reculer…

Une vallée de la chimie intégrée, de la recherche à la production

L’histoire économique de la vallée est complexe, de la formation de grands groupes comme Rhône-Poulenc ou Total, aux restructurations dans la mondialisation qui voit l’introduction de capitaux US ou chinois et de grands sites historiques divisés en de multiples entreprises. Mais la vallée est toujours marquée par l’origine pétrolière des produits, et donc la place de la raffinerie à l’origine des solvants, de l’éthylène… et donc à la fin du nylon, de l’aspirine, du paracétamol, des aromatiques…

Il faudrait faire l’historique des activités abandonnées. Un communiste ancien de Rhodia me cite : En 2010, la coumarine à Rhodia St-Fons Sud, en 2011, le salicylate de méthyle, l’hydroquinone pyro-catéchine partie en chine, et bien avant, le paracétamol réinvesti à Roussillon avant de partir en Thaïlande. Quel bilan pour l’emploi ? Les anciens parlent d’usines avec des milliers de salariés, et aujourd’hui on parle de sites avec des centaines de salariés, et pourtant un chiffre d’affaire bien supérieur… Comme partout, la productivité a fait de véritables bons. Il reste pourtant 11 000 salariés, un enjeu considérable.

La recherche a toujours joué un rôle important et le lien entre la recherche et la production est crucial. On commence à étudier une réaction en laboratoire dans une éprouvette, puis dans des volumes de plus en plus grand pour industrialiser le procédé, on parle de quart, puis de demi, avant le processus industriel lui-même. Les techniciens de production prenant de l’expérience passent au laboratoire et peuvent évoluer vers des activités de recherche-développement. Mais combien de brevets développés dans la vallée sont industrialisés ici ?

Une vallée industrielle en péril ou en transformation ?

C’est la question sous-jacente aux débats sur les risques industriels, avec la concertation sur le PPRT, aux débats sur le contournement ferroviaire de Lyon et la place de la gare de triage de Sibelin, au sud de la vallée justement, et qui voit passer de nombreux wagons de matières chimiques, et aussi des débats liés au conflit contre la loi dite « travail », qu’il faudrait appeler loi « précarité », quand le patron de TOTAL, comme le président de la métropole menacent les grévistes de fermeture…

Oui ou non, la vallée de la chimie a-t-elle un avenir ? et lequel ? Peut-on raisonnablement rêver d’une grande marina fluviale de confluence à Givors ? C’est le député socialiste Yves Blein qui déclare que la gare de Sibelin pourrait être déplacée, compte tenu de la valeur foncière potentielle du lieu… Mais la gare est complètement liée à la vallée, et faut-il étendre cette proposition alors à la raffinerie ? Tiens, c’est justement le maire voisin de Chaponay qui considère la raffinerie comme dépassée et qui s’interroge sur sa fermeture. Patrick Pouyanné, le PDG de TOTAL doit se frotter les mains, lui qui doit se demander quelle raffinerie il pourrait fermer en France, quand et comment… La France avait 24 raffineries en 1975, 12 en 2009, 8 aujourd’hui après la fermeture de Dunkerque… Et il profite de la grève en cours pour menacer, avec l’aide de Gérard Collomb qui dénonce lui aussi les grévistes !

Les raffineries françaises produisent trop d’essence et ne répondent pas au marché français du diesel qui doit être importé. Ça tombe bien, il parait qu’il faut réduire drastiquement le diesel pour les particuliers… Notons aussi que TOTAL vient d’investir pour transformer sa raffinerie de La mède près de Martigues en « bioraffinerie »… un des nombreux projets de substitution du pétrole par des produits issus de biomasse.

L’avenir de la vallée de la chimie n’est donc pas inéluctablement scellée par la fin annoncée [1]du pétrole, et ceux qui pensent qu’il faut supprimer toute activité chimique parce qu’elle serait dangereuse et en plus qu’elle ne serait pas naturelle devrait aller parler à ceux qui font vivre ces activités chimiques. Et au fonds, qu’est-ce que le pétrole, si ce n’est du bois transformé par la terre au fil des siècles ? tout comme le charbon ! Alors pétrole ou biomasse, qu’est-ce qui est « naturel » ? qu’est-ce qui est « écologique » ? Le marxisme nous dit, ni le bois ni le charbon n’existent comme une idée éternelle, ils ne sont qu’un rapport historique entre une ressource naturelle et un usage social, et le charbon abondant utilisé avec récupération du carbone peut être beaucoup plus « vert » qu’un bois surexploité par la déforestation !

L’expérience de la chaufferie du réseau de chaleur de Vénissieux est instructive. Historiquement à base de fuel, elle émettait il y a 20 ans beaucoup de souffre et de dioxyde d’azote. L’amélioration des procédés ont fortement réduit ces émissions, et l’arrêt de l’utilisation de fuel les a quasiment fait disparaitre. Mais le développement des chaudières biomasse en remplacement aurait pu faire augmenter les émissions de poussière sans les investissements lourds nécessaires pour les filtrer et obtenir une chaufferie meilleure que les normes pourtant exigeantes du dernier plan de protection de l’atmosphère du préfet (PPA)

Ce ne sont jamais les techniques qui sont les causes des dégâts sociaux ou environnementaux, mais toujours les décisions politiques et économiques qui privilégient les intérêts privés sur l’intérêt général, le court-terme sur le long-terme… La raffinerie comme la vallée de la chimie peuvent se développer vers plus d’activité, plus d’emploi et moins d’impact environnementaux, mais cela suppose d’ouvrir tous les dossiers des choix de production, d’investissements, de protection de l’environnement et d’en faire un grand débat public associant les salariés et les riverains

Spécialisation intelligente ou développement des savoir-faire ?

Les politiques économiques inspirées par l’Union Européenne dans l’esprit des économistes de « l’école de chicago », reposent toutes, au niveau national, régional, comme métropolitain, sur la soumission au « marché ». Seuls les chefs d’entreprise seraient capables de décider, ce seraient les seuls « créateurs d’emplois ». Mais si on jugeait les patrons sur leur bilan pour l’intérêt général, il faudrait en virer beaucoup ! Sauf que ce sont les actionnaires qui sont les seuls juges, et ils ne jugent que de… leurs dividendes !

Cette logique du marché pousse toujours à la concentration dans de grands groupes mondiaux qui optimisent leurs sites en les spécialisant dans quelques secteurs. La « concurrence » vise toujours à faire émerger les « meilleurs » en laissant mourir tous les autres, et bien sûr on ne peut pas être meilleur partout, et donc il faut se « spécialiser ».

Il faut discuter le projet métropolitain des « cleantech » !

Cela a conduit à la conception de développement territorial par la « spécialisation intelligente ». C’est ce que fait la métropole de Lyon dans son programme de développement économique. Tous les financements des pôles de compétitivité, des appels à projets, de la recherche, ont pour but d’identifier les secteurs à développer, mais on ne dit jamais qu’il s’agit donc de laisser mourir les autres. Et tant pis pour les savoir-faire qui ne sont pas dans la bonne « spécialisation »… ils n’ont qu’à aller chercher le territoire que leur compétence intéresse… Cette logique se traduit au niveau universitaire par la démarche dite « d’excellence » qui valorise les « LABEX », laboratoires d’excellence, qui auront des financements publics [2], mais sans rien dire des autres laboratoires, les plus nombreux, qui voient leurs moyens publics se réduire sans cesse, les poussant à chercher désespérément des financements privés vers des entreprises dont les budgets de recherche et développement fondent aussi…

Au contraire, les salariés, des opérateurs aux ingénieurs peuvent porter une autre approche du développement, fondé sur la réponse aux besoins, et sur la coopération entre acteurs, locaux comme nationaux ou mondiaux. On a en besoin tous les jours de la pharmacie, de la parfumerie, de de matériaux divers qu’on retrouvera dans les biens d’équipements de la maison, de l’automobile, de la construction… L’économie devrait avoir pour objectif de répondre à ces besoins.

Quand l’expérience locale conduit à des brevets, seuls les actionnaires ont intérêt à vendre ces brevets pour qu’ils soient exploités ailleurs. Au contraire, les salariés doivent chercher comment ces brevets peuvent permettre de mieux répondre aux besoins en développant les savoir-faire…

Non, la solution n’est pas dans la « spécialisation intelligente », mais dans le développement des compétences dans leur diversité. C’est souvent le croisement de compétences qui n’avaient rien à voir, qui permet une innovation utile. A force de se spécialiser dans des secteurs réduits, on s’affaiblit ! Un proverbe de chercheur le fait bien comprendre… on peut toujours chercher à améliorer la bougie, on n’inventera jamais l’ampoule électrique !

Le discours métropolitain des « cleantech » [3] ou écotechnologies qui veut évoluer vers une chimie durable, accompagner la mutation des entreprises vers les énergies renouvelables pour répondre aux enjeux environnementaux, peut être terriblement réducteur. Que deviennent les métiers historiques de la vallée ? Citons les promoteurs de ces « cleantechs »

En plein boom, ce secteur chimie-environnement devrait dynamiser le marché du travail. « On prévoit la création de 25% de postes supplémentaires, d’ici 2030. On va avoir besoin de compétences de plus en plus ciblées », détaille Pierre Gréau, développeur économique Grand Lyon Vallée de la Chimie et chargé de mission chimie-environnement. . Quid de la main-d’œuvre ouvrière, présente dans la Vallée ? « Pour ne léser personne, on investit dans le retraitement des déchets (écopôle de Grand Lyon – Feyzin), les transports, la logistique et l’agroalimentaire (Portes du Sud, pôle agroalimentaire de Corbas) », rassure le chargé de mission. Toute la difficulté est là : restructurer une industrie lourde, de pointe – génératrice de risques et de nuisances – en évitant tout déclin économique.

Autrement dit, on va créer de nouveaux emplois qualifiés, mais l’industrie lourde va être restructurée et ses emplois ouvrier iront se reconvertir… quel bilan à la fin pour l’emploi, pour nos savoir-faire ? Et qui va produire ce qui est produit aujourd’hui dans la vallée, et où ?

Le débat sur la politique économique et industrielle au plan national comme au plan métropolitain est urgent. Une grande conférence métropolitaine associant les syndicats, les travailleurs de la production et de la recherche est indispensable pour une évaluation critique du projet des 30 pour la vallée, du discours métropolitain d’une « chimie durable ».

[1bien que sans cesse reportée

[2à condition de travailler sur les sujets qu’imposeront les décideurs privés dans les pôles de compétitivité

[3les anglicismes sont le plus souvent utilisés pour faire croire à une modernité justifiant de bousculer ce qui existe… sans compter son caractère de domination géostratégique des initiatives US

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