Edumix… un projet pour l’école ? Enregistrer au format PDF

Lundi 27 mars 2017

La visite possible de la ministre et la manifestation organisée devant le collège Elsa Triolet ont éclipsée ce qui s’était passé au collège… sous le nom un peu mystérieux de « edumix »… un mélange pour l’éducation ? Il faut dire que le « mix » est à la mode. En musique avec le « remix » quand on réarrange des extraits, souvent dans un autre style, en art en général où on mélange des extraits d’œuvres diverses, déja chez les surréalistes inventeurs du collage, mais aussi en gestion, ou les experts du « décisionnel » font des tableaux de bord qui « mixent » des données diverses et qu’on appelle aussi des « mashup », terme utilisé comme tous les anglicismes désormais dans les médias pour parler d’une petite émission qui mélange les genres…

Alors, ce « mix »… c’était pour quoi ?

L’actualité du collège était plutôt marquée par des actions de grèves des enseignants réclament plus de moyens, et en fait, peu de Vénissians ont entendu parler de cet « edumix » qui a mobilisé pourtant des dizaines d’élus, experts, enseignants, chercheurs… et dont on trouve le compte-rendu sur internet

En voici la présentation qui ne manque pas d’ambition déclarée… sur un site qui au détour des ses pages nous avertit… edumix, c’est une marque, un logo, une charte à respecter…

Un évènement créatif et participatif pour réinventer lieux et pratiques d’enseignement.

Edumix réunit des créatifs, pédagogues, artistes, chercheurs, développeurs, élèves… pour un sprint créatif dans un lieu d’enseignement.

Un moment privilégié où tout devient possible, où l’on peut s’autoriser à sortir du cadre, créer des expériences inspirantes et explorer des modes d’action nouveaux.

Nous souhaitons contribuer à la transformation en profondeur des lieux de transmission de savoir en mobilisant les innovateurs et créatifs qui relèveront les défis lancés par les opportunités d’un monde contributif et connecté.

On peut s’interroger sur cette ambition, dont on comprend dans la dernière phrase qu’elle concerne entre autres les technologies numériques, mais une ambition qui ne dit pas un mot sur le constat de ce qui fonctionne ou pas, rien sur l’état des lieux, qui ne contient aucune analyse des difficultés et de leurs causes…

Car s’il faut « transformer en profondeur », c’est que ca ne va pas, non ? Et beaucoup de parents, d’enseignants, d’élèves et de partenaires du collège peuvent être d’accord… Mais il est essentiel « d’étudier en profondeur » ce qu’on veut transformer, car le collège, c’est à la fois un échec terrible qui écarte le quart d’une génération se retrouvant sans réussite, mais aussi une institution qui, malgré la crise, permet à des milliers d’adolescents de se trouver une voie de réussite, d’accéder à un métier, une passion… Les milliers de jeunes Vénissians, y compris des quartiers des minguettes, qui se retrouvent dans des grandes écoles, des métiers prestigieux, des passions artistiques, sportives, culturelles, professionnelles… sont là pour en témoigner.

Quand ce sont les enseignants qui ont des projets, qui demandent des moyens, l’institution est plus que frileuse, mais là, soudainement, on a l’impression que les robinets budgétaires sont ouverts, et que des dizaines d’acteurs financés par divers organismes sont mobilisés pour venir créer l’évènement sur un collège, sans que les acteurs de ce collège soient informés ni même associés à la préparation [1]

edumix, l’autre lieu…

On trouve sur le site une vidéo d’une « animatrice » qui accueille une « enseignante » pour lui présenter le lieu… une des actions créées dans le cadre edumix… un lieu « convivial » dans le collège…

Après avoir fait badger à l’entrée, la gentille animatrice propose de se choisir un avatar (les avatars des présents s’affichent…) et insiste « ici, c’est chez nous »… on ne sait pas trop qui est ce nous, mais c’est une salle avec différents espaces, un lieu d’échange, un lieu de repos, et elle insiste « c’est cool », si tu n’as pas fini ton sandwich, tu peux le manger ici, si tu est fatigué tu peux dormir (il y a un coin avec des matelas fins type sport…)

L’enseignante qui visite s’étonne car d’autres sont en train de déplacer des gros cubes, et l’animatrice répond « mais là c’est chez nous, tu peux faire ce que tu veux, si tu veux déplacer les murs (de cubes), vas-y, ici, il n’y a pas de contraintes, sauf le respect des autres… »

Il faut payer 1€ qui est reversé au foyer socio-éducatif pour aménager ce « nouveau lieu », et il faut « une carte » pour être enregistré dans ce « nous » qui gère ce nouveau lieu… payant au milieu de l’école…

Le message est répété, franchement, avec une grande lourdeur : « ici, on fait ce qu’on veut… » au cœur d’un collège confronté comme toute la société à l’individualisme, aux incivilités, aux tensions sociales, aux violences même… Il faut croire que le travail consiste à « faire ce qu’on veut »… bizarre quand on connait l’origine du mot… et la réalité des souffrances au travail…

Mais ce message fait écho à des pratiques de concertation rencontrées ailleurs, cette « concertation bienveillante » qui doit dissoudre les conflits et les contradictions dans des pratiques innovantes où chacun doit avoir le sentiment de faire quelque chose d’utile, tout en étant incapable de comprendre le résultat d’ensemble de ce à quoi il a participé… C’était le cas lors de la « fabrique de la proximité » organisée par les bailleurs sociaux, un évènement dont j’ai déjà critiqué le grand écart entre ce qu’exprime autour de ces tables rondes les acteurs de proximité, et la complexité de l’installation globale, les dizaines, plus de cent peut-être, « animateurs » visiblement formés et qui doivent faire vivre une « méthode » dans laquelle les acteurs sont presque au final des figurants… pendant que les « premiers rôles » sont autour de la ministre dans son interview télévisée…

Quand on se promène sur le site edumix.fr, on est frappé par une caractéristique de ceux qui ont posé des messages et qui visiblement, semble être les promoteurs-acteurs de la démarche… D’abord les acteurs du laboratoire ERASME, dont il faut donc reparler, et des personnalités qui aiment à se présenter de manière décalée, mais qui ont un point commun, ce sont des acteurs « hors institution », une chef de projet d’une entreprise privée d’éducation, une enseignante qui rêve de créer une école « hors contrat »… bref, la liberté de la libre entreprise contre l’école publique pour tous ?

Qui sont les organismes qui soutiennent cette initiative…

La page d’accueil edumix déclare trois « sponsors ».. Erasme, l’ancien laboratoire du réseau haut débit du conseil général, devenu métropolitain depuis, la métropole de Lyon donc, responsable des collèges, et enfin le « LearningLab Network »… L’éducation nationale semble être absente, alors que le sujet est bien centré sur l’innovation pédagogique… Visiblement, c’est un croisement entre Erasme, le « living lab de la Métropole de Lyonlaboratoire faisant la promotion des nouveaux usages du numérique » et les « LearningLab Network », réseau européen créé entre autre par « L’Alliance Science & Business », entre l’Ecole Centrale de Lyon, EMLYON Business School [2] et l’Université Jean Monnet de Saint-Etienne. Ces établissements d’enseignement supérieur disposent chacun d’un espace innovant dédié aux nouvelles formes d’apprentissage utilisant notamment les possibilités offertes par les nouvelles technologies de l’information et de la communication. Afin d’accélérer leur développement, d’améliorer sans cesse leurs dispositifs de formation, d’échanger et d’étendre leurs innovations à d’autres établissements d’enseignement et centres de formation dans une logique de réseau, ces établissements fondateurs proposent une charte définissant précisément ce que sont ces espaces d’apprentissage recouverts par la dénomination « LearningLab ». Pour permettre la mise en place d’un réseau d’espaces d’apprentissage (LearningLab Network) qui repose sur des valeurs communes et des objectifs partagés, l’Alliance Science & Business, entre l’Ecole Centrale de Lyon et EMLYON Business School et l’Université Jean Monnet de Saint-Etienne ont déposé à l’INPI la marque LearningLab Network.

Living labs : territoires d’innovation et design participatif

Mais qu’est-ce donc qu’un « living lab » [3].

L’idée qui sous-tend les Living Lab est que l’innovation doit prendre en compte les dimensions sociales, que le laboratoire, espace où l’on expérimente et teste de nouvelles idées ou technologies, doit être en prise avec la réalité sociale. D’où l’idée de « lieux » d’innovation et d’expérimentation qui soient sur le terrain et impliquent des utilisateurs d’une manière particulière.

Le réseau européen des living labs, Enoll, annonce qu’il vient de doubler le nombre de ses membres, on remarque parmi ceux-ci deux structures de la région lyonnaise : le cluster Imaginove et le centre Erasme. C’est l’occasion de faire un point sur ce que sont, ou tout au moins voudraient être ces « laboratoires vivants » et d’analyser les enjeux qui sont les leurs en terme d’innovation pour les territoires qui les accueillent.

Ce réseau a des partenaires, le grand constructeur informatique mondial HP, mais aussi awabot (startup lyonnaise, 1M€, robots de visioconférence, partenaire orange), promothean (matériel salle de classe interactive), steelclasse (matériels scolaires, US, 3G$), Inwiocast (RAPIDMOOC videomaton, transformation numérique de l’enseignement, petite SARL de 2 personnes), Innoko, startup de Paris.. On y découvre le projet OLIVE (Okoni Lab for Innovation in Education) qui en 2014 a accompagné le Collège Jean Macé à Clichy dans la création d’une classe de 6e « intelligences multiples », puis en 2015, s’est associé à Synlab pour lancer une salle d’innovation dans un Collège et poursuit son travail en matière de pédagogie de l’innovation auprès de managers de grands groupes français.

Hou là là… que de monde, que de discours, que d’expériences… et que de moyens ! Après un peu de recherches internet, Le projet OLIVE repose sur les travaux d’un psychologue cognitiviste américain, Howard Gardner, travaux expérimentés dans deux régions canadiennes. Il identifie 8 types d’intelligences (interpersonnelle, intrapersonnelle, Kinesthésique,Linguistique…) et caractérise les métiers adaptés…. il ne reste plus qu’à évaluer l’enfant par des tests pour connaitre son type d’intelligence, et à chacun ensuite sa pratique pédagogique adaptée… Qui a évoqué toutes ces questions avec les acteurs du collège Elsa Triolet ?

Derrière toutes ces initiatives, se dessine peu à peu une idée forte qui correspond bien aux personnalités qui se sont présentées sur le blog edumix… C’est l’idée des "journées éducation libre", pardon, les "open education days" en 2014 à Ecully

L’éducation est un bien commun. Partageons-le !

L’open éducation est un mouvement d’innovation qui interroge les pratiques pédagogiques et révolutionne le monde de l’éducation. Les moocs et les flipped classroom sont leurs derniers nés. Chaque participant a pu proposer une idée de ressource éducative numérique à créer pendant cette journée qui prendra la forme d’un barcamp où des groupes mixtes travailleront ensemble (enseignants, enseignants-chercheurs, étudiants, citoyens).

L’utilisation répétée d’anglicisme est toujours révélateur d’une ambiguïté, l’anglicisme permettant de masquer un choix qui devrait être éclairci en Français. Ainsi de « l’open source » qu’on traduit le plus souvent par « logiciel libre ».. ambiguïté entre libre et gratuit, libre et ouvert… Alors l’éducation, libre ? ouverte ? gratuite… En bon Français, l’école « libre », c’est l’école payante ! et l’école gratuite, c’est l’école « publique », enfin, théoriquement…

Et tout le débat totalement masqué derrière le jargon moderniste des « learnings lab » c’est bien le cadre politique dans lequel on veut ou pas développer les pratiques numériques… Un cadre qui affirme la gratuité ? l’égalité d’accès de tous ? la laicité ? l’ambition républicaine d’aider des enfants à devenir des citoyens ?

Ce modèle français de l’école pour tous n’est pas très « moderne » pour les promoteurs de la concurrence libre et non faussée, et de très grandes multinationales regardent avec envie ce budget énorme de l’éducation nationale en France, qui pourrait être une grande « opportunité d’affaires », si on cassait le statut et son caractère national…

La plupart des acteurs concernés ne sont certainement pas dans cet objectif, mais le débat qui devrait avoir lieu derrière cette démarche « edumix » est bien politique…

Alors les expériences, la créativité, les motivations de tous ceux qui tentent d’agir, de créer des outils et des pratiques innovantes sont bienvenues, à condition qu’elles ne s’installent pas « en douce », pour éviter le débat qui devrait être un des débats politiques essentiels, donc un débat contradictoire…

Voulons-nous une école de la réussite pour tous ? ou acceptons-nous une école diversifiée adaptée aux moyens de chacun ? Voulons-nous défendre et rénover l’école publique ? ou faut-il se résigner à faire de la place au marché et aux entreprises du numérique ?

[1petite anecdote.. les élus de la ville ont été informés la veille qu’ils étaient invités avec une prise de parole possible, sur un projet dont personne ne savait encore rien… mais il faut bien sûr ne pas critiquer et être bienveillant…

[2école de management de Lyon

[3on a bien connu des laboratoires morts par suite de restructurations, mais vivants ?

Voir en ligne : le site edumix

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