Agir pour la survie des arbres au XXIe siècle Enregistrer au format PDF

Article de Gérard Le Puill, journaliste et auteur.
Jeudi 24 mars 2022 — Dernier ajout dimanche 13 mars 2022

Tandis que le taux de mortalité des arbres ne cesse de croître dans nos forêts, le gouvernement français prive l’Office national des forêts des moyens pour conduire ses missions. Il est pourtant possible – et nécessaire – de procéder autrement…

La Commission européenne dit vouloir atteindre la neutralité carbone en 2050 en promouvant la voiture électrique et en surtaxant les carburants fossiles. Parallèlement, en promouvant une gestion durable des forêts et en développant l’agroforesterie, on peut plus facilement obtenir des résultats remarquables.

FORÊTS EN PÉRIL

Comme durant les années précédentes, l’été 2021 a connu un peu partout dans le monde un développement des feux de forêt favorisé par la sécheresse. De la Californie à la Sibérie, en passant par beaucoup d’autres pays, des millions d’hectares sont encore partis en fumée.

Durant les trois premiers quarts du xxe siècle, la forêt captait encore beaucoup de carbone dans le monde, participant au contrôle du réchauffement climatique. Ce n’est plus le cas au niveau planétaire. Une enquête de la FAO portant sur les ressources forestières mondiales a montré que 5,2 millions d’hectares de surfaces boisées ont été perdus dans le monde entre 2000 et 2010, après une perte de 8,3 millions d’hectares durant la précédente décennie. Désormais, les pays les plus touchés par la déforestation sont en Amérique du Sud et en Afrique, du fait des cultures agricoles destinées à l’exportation ; c’est notamment le cas du soja et de la canne à sucre, à quoi s’ajoutent les exportations de viandes pour le Brésil et l’Argentine.

L’Europe aurait gagné 660 000 ha de forêt par an durant la première décennie de notre siècle. Or le bilan carbone des forêts du Vieux Continent ne s’est pas amélioré durant cette période : entre les ravages provoqués par les incendies et un taux de mortalité des arbres en hausse, les forêts françaises et européennes captent moins de carbone que par le passé.

Car le réchauffement climatique favorise aussi la prolifération des parasites affectant les essences : le scolyte est un insecte xylophage long de quelques millimètres de long qui prolifère après une tempête comme à la suite d’une sécheresse, causant de gros dégâts sur les épicéas ; la chalarose du frêne, due à Chalaria fraxinea, un champignon parasite, a émergé dans les années 1990 dans l’est de l’Europe et augmente le taux de mortalité de cette essence dans les forêts françaises ; la maladie du pin, causée par un nématode, est déjà très présente au Portugal. Elle pourrait avoir des conséquences dramatiques en France si elle atteignait la forêt landaise.

La politique forestière de la France est officiellement pilotée par l’Office national des forêts (ONF), qui promeut une gestion durable et développe la valorisation de la biomasse forestière. Mais l’État prive l’ONF de moyens pour conduire cette politique. En page 98 du rapport remis le 29 juin 2021 au gouvernement par le Haut Conseil pour le climat, on relève que « les récoltes de bois ont fortement augmenté depuis 2015 » en France, tandis que les « sécheresses, tempêtes, voire incendies affectent directement les conditions de vie des arbres ».

QUAND LE GOUVERNEMENT ÉTRANGLE L’ONF

La même semaine, on apprenait que l’ONF allait devoir supprimer 500 emplois d’agents en contrepartie du soutien de l’État à son équilibre financier. Cet « effort » lui est demandé pour la période allant de 2021 à 2025, alors même que ses effectifs sont passés de 12 000 agents à 8 400 en vingt ans. L’ONF est un établissement public à caractère industriel et commercial en charge de la gestion de la forêt publique sous la double tutelle du ministère de l’Agriculture et de l’Alimentation ainsi que du ministère de la Transition écologique et solidaire. L’Office, créé en 1964, gère 25 % de la forêt française avec compétence et une vision de long terme.

L’ONF, créé en 1964, gère 25 % de la forêt française… La suppression de 500 emplois sur cinq ans est demandée par le gouvernement

Depuis plusieurs années, les gouvernements successifs exigent de l’ONF un équilibre financier tiré de la vente annuelle du bois. Du coup, ce bois est de plus en plus vendu à l’exportation, sous forme de grumes, notamment en Chine. Il revient ensuite en France et en Europe transformé en meubles et autres produits. Et aux communes possédant près des deux tiers de la forêt publique l’État demande une augmentation de leur contribution au budget de l’ONF : 30 millions d’euros sur trois ans ! Alors qu’il aurait fallu aider les scieries locales à investir pour transformer en France le bois dont l’économie du pays a besoin, aucune politique nationale n’a été mise en œuvre durant ces dernières décennies, si ce n’est à l’initiative de quelques scieries locales.

La suppression de 500 emplois sur cinq ans est demandée par le gouvernement pour éviter au budget de l’État de compenser les 65 millions d’euros de déficit de l’ONF en 2020. Mais ce déficit est essentiellement imputable au recul de l’activité pour cause de covid-19. L’ONF est sommé de se débrouiller pour combler son déficit, alors que son personnel ne dispose plus des moyens nécessaires pour promouvoir une gestion durable de la forêt publique en France.

LES ATOUTS DE L’AGROFORESTERIE…

En raison du réchauffement climatique en cours, le taux de mortalité dans les forêts de France, d’Europe et d’ailleurs continuera de croître dans les prochaines décennies. Il faudra planter désormais une moindre densité d’arbres à l’hectare et choisir des essences parmi les plus résistantes au stress hydrique. Cela demande un travail d’observation sur le long terme, et réduire les moyens financier dont dispose l’ONF pour accomplir ses missions est une politique à courte vue. Car les sommes dont l’Office a besoin sont dérisoires au regard des cadeaux déjà promis aux firmes de l’automobile pour promouvoir la voiture électrique. Et ce n’est là qu’un exemple.

En ce xxie siècle, planter des milliers d’hectares de forêt ne suffira pas pour inverser la tendance à la réduction du captage du carbone par le bois. Depuis plus d’un demi-siècle, la France a arasé des millions de kilomètres de talus boisés et de haies pour agrandir les parcelles cultivées et les prairies. Au-delà des haies, qu’il est possible de replanter, le moment est venu de pratiquer ce que l’on nomme l’« agroforesterie à grande échelle ». Cette pratique, qui consiste à planter des rangées d’arbres dans des parcelles cultivées, était courante dans la première moitié du xxe siècle en Bretagne et en Normandie pour la production des pommes à cidre. On avait souvent dans ces vergers une culture annuelle au sol, qui pouvait être du blé, de l’avoine, du seigle, voire des pommes de terre.

L’Institut national de la recherche agronomique et environnementale (INRAE) a testé dans le département de l’Hérault, sur plusieurs parcelles et durant les vingt-cinq dernières années du xxe siècle, une nouvelle pratique agroforestière. Elle consiste à planter des rangées d’arbres distantes d’une trentaine de mètres à raison d’une cinquantaine de troncs à l’hectare. Il peut s’agir de bois d’œuvre dans la plupart des cas. Mais on peut aussi avoir des arbres à fruits comme les oliviers, les noyers, les noisetiers, les amandiers, voire des châtaigniers, selon les régions. Dans ce cas, la récolte provenant des arbres s’ajoute à celle de la culture au sol, laquelle peut être céréalière ou légumière, voire dédiée à la production de fourrages, comme le foin.

L’agroforesterie consiste à planter des rangées d’arbres distantes d’une trentaine de mètres… la récolte provenant des arbres s’ajoute à celle de la culture au sol…

Spécialiste en agroforesterie à l’INRAE et responsable de ces essais, Christian Dupraz a pu observer que « les arbres agroforestiers croissent dans des conditions très inhabituelles : fortes sollicitations par le vent, ensoleillement maximal, compétition avec les cultures fertilisées. Les enracinements profonds provoqués par la compétition annuelle des cultures d’hiver limitent les stress hydriques estivaux. L’azote récupéré aux cultures améliore le métabolisme. Habitués à être secoués par le vent, les arbres agroforestiers sont plus résistants aux tempêtes, comme l’a montré la remarquable résistance des arbres d’une plantation de noyers en Charente-Maritime lors de la tempête de 1999. Les cultures intercalaires protègent efficacement les arbres agroforestiers contre les risques de feu, ce qui est un argument non négligeable dans les régions où le risque d’incendie est fort », notait dès 2005 ce chercheur à l’INRAE Montpellier dans le magazine Chambres d’agriculture (no 945).

… OCCULTÉS PAR LA COMMISSION EUROPÉENNE

Mais planter 50 arbustes par hectare en ajoutant des systèmes de protection des jeunes troncs coûte plus de 600 € et ne rapporte rien durant plusieurs années, voire plusieurs décennies si on plante du bois d’œuvre.

La réforme de la politique agricole commune (PAC) qui sera mise en place entre 2023 et 2027aurait pu proposer à chaque ferme un plan d’agroforesterie étalé sur vingt-cinq ans, entre 2025 et 2050, date à laquelle la Commission européenne estime devoir atteindre la neutralité carbone, au niveau de toute l’Union. En convertissant chaque année 4 % de la superficie agricole en agroforesterie, le processus s’étalerait sur un quart de siècle. Chaque ferme pourrait percevoir une prime annuelle couvrant le coût de la plantation des arbres sur 4 % de sa superficie et ce financement aurait pu être couvert par le budget de la PAC. Mais rien de tel n’est sorti dans le texte de la Commission, finalisé au début de cet été 2021, qui est d’une totale confusion.

Voir en ligne : sur l’excellente revue « progressistes » du PCF

Vos commentaires

Forum sur abonnement

Pour participer à ce forum, vous devez vous enregistrer au préalable. Merci d’indiquer ci-dessous l’identifiant personnel qui vous a été fourni. Si vous n’êtes pas enregistré, vous devez vous inscrire.

ConnexionS’inscriremot de passe oublié ?

Suivre les commentaires : RSS 2.0 | Atom

Revenir en haut