Quels objectifs pour les attributions de logement social ? Enregistrer au format PDF

Politique métropolitaine d’attribution de logement
Vendredi 11 janvier 2019

La conférence intercommunale du logement de la métropole de Lyon a pris connaissance le 20 décembre 2018 d’un projet de « convention intercommunale d’attribution » des logements qui traduit la politique logement de la métropole dans l’organisation des attributions de logement avec les bailleurs et réservataires. Elle est constituée d’un volet « diagnostic », d’un document cadre qui fixe les orientations d’attributions des logements sociaux, et enfin d’un troisième volet précisant les objectifs et les moyens mis en œuvre. Elle devrait être soumise au conseil de métropole avant l’été 2019.

Cette même conférence intercommunale avait proposé le 11 juillet 2018 un « plan partenarial de gestion de la demande et d’information des demandeurs ». La ville de Vénissieux avait donné un avis réservé compte tenu que si des actions utiles et positives sont inscrites dans ce plan, chacun sait qu’il ne fera pas reculer le mal logement, compte tenu de l’insuffisance criante de l’offre comme des moyens publics de financement du logement social et de l’hébergement.

Cette convention a été préparée avec ceux qui organisent au quotidien les attributions de logements, et notamment l’association des bailleurs sociaux, ABC HLM. Il y a donc dans les actions proposées, comme pour le PPGID, beaucoup de choses utiles et pertinentes. Et pourtant, après plusieurs présentations de ce projet, je reste encore plus sur ma faim que pour le PPGID…

Car, le fait d’entrer dans le concret des attributions de logement rend encore plus sensible l’écart entre le discours politique qui dit vouloir améliorer la gestion du logement social, et la réalité vécue du mal logement qui produit de plus en plus de tensions autour du droit au logement et des attributions.

Un diagnostic qui confirme l’inégalité d’accès au logement !

Le point de départ du diagnostic le dit clairement. La « pression de la demande » ne cesse d’augmenter. On a désormais 65000 demandes, en hausse constante, pour 11000 attributions par an, chiffre stable, et donc il y a de plus en plus de demandeurs possibles pour un logement libre ! Les statistiques disent que quand un demandeur obtient un logement, en moyenne, il attendait depuis 2 ans. Mais en réalité, si on tient compte de l’ensemble des demandeurs qui attendent, il faudrait désormais 6 ans pour les loger tous, en supposant qu’il ne s’en ajoute pas !

Pire, si on tient compte des typologies de logement (T1, T2,T3…), de leurs caractéristiques (accessibilité, ascenseur, cuisine séparée ou pas…), de la commune et de ses quartiers, et enfin des loyers, alors l’écart entre offre et demande peut être beaucoup plus important ! Le nombre de demandeurs de T2 accessible dans un quartier calme avec un loyer « abordable » pour les plus bas revenus est peut-être 10 ou 20 fois plus élevé que l’offre potentielle… Et ne parlons pas de l’ouest lyonnais pour ceux qui rêverait d’y trouver un logement social !

Certes, il y a un énorme travail de tous les acteurs du logement pour apporter le maximum de réponses adaptées aux demandes. 11 000 demandeurs qui trouvent un logement chaque année, ce n’est pas rien, et pour la plupart, c’est une très bonne nouvelle, mais il en reste 54 000 !

Le diagnostic souligne les efforts réalisés pour les publics prioritaires. Mais les résultats restent en dessous des objectifs, avec de fortes disparités entre les jeunes en rupture familiale (seulement 13% des objectifs atteints) et l’accueil mère-enfant (70% des objectifs atteints). Au total, seulement 783 attributions prioritaires pour un objectif de 2025. La maison de la veille sociale (MVS) qui gère les urgences, est plus près des objectifs (476 attributions pour un objectif de 624), comme le programme d’intégration des réfugiés accelair (357 attributions sur un objectif de 400).

Notons au passage que les attributions « spécifiques » (prioritaires, réfugiés ou DALO) représentent 2007 attributions sur 11485, soit 17%, ce qui confirme que contrairement à ce qui se dit parfois, ce ne sont pas ces publics qui « prennent la place » des autres demandeurs !

Quel est l’impact des politiques publiques d’attribution ?

Mais si le diagnostic montre que beaucoup de monde travaille pour le mieux, il ne nous aide pas à comprendre si oui ou non, nous faisons reculer le mal logement, les inégalités d’accès, ni même si les politiques d’attribution actuelles ont un effet positif contre les ségrégations territoriales !

Au contraire, on peut constater par exemple que les demandeurs aux plus bas revenus [1] ont moins de chance d’avoir un logement social dans l’ouest lyonnais (en moyenne 15% des attributions), au nord et coté Isère (20% des attributions) que dans le centre [2] ou le sud [3] (25% des attributions), et bien sûr encore moins que dans l’Est autour de Vaulx-en-Velin (26%) et dans les portes du Sud autour de Vénissieux (28%). Et les écarts sont encore plus importants au niveau des communes ou des quartiers.

Il y a peut-être des commissions d’attribution de certains bailleurs, et peut-être des élus qui font pression pour ne pas accepter les familles les plus en difficultés, mais la première raison de ces inégalités territoriales, c’est que les logements accessibles aux plus pauvres sont concentrés dans les quartiers populaires et que de fait, il est très difficile, malgré les APL, de trouver dans l’ouest lyonnais un logement avec un loyer réaliste pour une famille survivant au RSA !

Le diagnostic mesure ainsi la présence dans le parc social de logements à loyer « abordable » avec un grand écart de 36% de l’offre hors quartiers prioritaires à 76% dans les quartiers prioritaires ! Et les 36% hors quartiers prioritaires sont une moyenne, il y a des territoires où ces logements à loyers « abordables » représentent moins de 10% d’un parc déjà très insuffisant ! Il y a 7 communes de la métropole [4] dites « carencées », c’est à dire qui ne respecte pas les obligations de la loir SRU, mais pour plusieurs autres, le parc social est difficilement « abordable » pour la majorité des demandeurs. Cela ne risque pas de s’améliorer, ces logements « abordables » ne représentent que 15% des logements neufs de la métropole ! La première contrainte pour une attribution équitable et solidaire des demandes, c’est donc la réalité du parc et des loyers !

Il faudrait des analyses beaucoup plus complètes pour répondre vraiment à la question centrale. Les politiques d’attribution existantes sont-elles une contribution à la réduction des inégalités territoriales ? Quel est leur effet sur la « mixité sociale » ? quelle évolution constatée ces dernières années ?

Malheureusement les éléments du diagnostic ne répondent pas à ces questions, et il est donc difficile de dire quel impact cette nouvelle convention aura sur la réalité des inégalités sociales et territoriales du logement !

Des inégalités territoriales qui s’aggravent…

On sait que selon l’INSEE, de 1975 à 2015, la part des cadres a été multiplié par 3 à Lyon pendant que la part des ouvriers était divisée par 3 ! Dans le premier arrondissement, c’est encore plus marqué 6 fois plus de cadres et 6 fois moins d’ouvriers !

Bien sûr, ce phénomène est d’abord lié au logement privé. D’ailleurs des lyonnais dénoncent cette gentrification de Lyon (« la guillotière n’est pas à vendre »). Avec les démolitions/reconstructions nombreuses sur ce quartier, pour un cadre qui s’installe, il y a trois ouvriers qui partent !

Mais quelle a été l’évolution dans le parc social ? non pas entre les cadres et les ouvriers, les cadres ne sont pas dans le logement social, mais entre les différentes catégories de locataires HLM dont la politique métropolitaine affirme qu’il faut rechercher « l’équilibre territorial » ? Cette convention va-t-elle avoir un effet visible sur cet équilibre territorial ? Peut-on le mesurer ?

La loi demande que 25% des attributions de logement social soit faite pour les demandeurs aux plus bas revenus dans les quartiers « non prioritaires »… La convention pourrait se fixer un objectif plus ambitieux, par exemple 30% en le priorisant dans les communes les plus aisées. Mais les logements avec des loyers qui le permettent existent-ils ? Compte tenu d’un taux de rotation très faible, combien de logements pourraient ainsi être attribué dans des quartiers « plus aisés » aux demandeurs les plus pauvres ? tout le monde le sait, très peu, et de toute façon beaucoup trop peu pour pouvoir inverser la tendance à la ségrégation territoriale.

Sur les trois secteurs de l’Ouest Lyonnais (Val de Saône, Ouest-Nord, Val d’Yzeron) qui représentent 7% du parc et des attributions, atteindre l’objectif officiel de 25% des attributions à des demandeurs à bas revenus conduirait à 223 attributions seulement [5], soit 1% des demandeurs à bas revenus de la métropole. Cela aurait un impact sur le petit parc social de ces communes, mais n’aurait qu’un effet marginal sur l’équilibre métropolitain !

Quartiers populaires et quartiers riches…

De fait, l’insistance des politiques publiques à parler du « problème de quartiers populaires » cache le fait que personne ne parle du « problème des quartiers riches » ! Et pourtant, c’est bien parce-que les riches se regroupent entre eux et qu’ils n’acceptent des pauvres que pour faire le ménage et l’entretien des espaces qu’il est si difficile d’organiser le droit au logement pour tous partout ! Les violentes réactions des habitants du 16e arrondissement de Paris, le plus huppé, protestant en 2016 contre l’installation d’un hébergement pour sans papiers montrent qu’il y a bien un « problème des quartiers riches » !

Les réussites passées de la rénovation urbaine reposaient sur le choix offert aux locataires des immeubles démolis de rester dans leur quartier ou d’en profiter pour changer. Ils avaient le choix parce-qu’il y avait aussi des constructions de logement social dans les quartiers en rénovation ! Avec le nouveau règlement de la rénovation urbaine qui interdit la construction de logements sociaux dans les villes qui en ont déjà beaucoup, les politiques publiques se sont enfermés dans une véritable schizophrénie, affirmant d’un coté qu’il faut aller vers la « mixité » dans les quartiers populaires et de l’autre qu’il faut faire plus pour les publics prioritaires, en oubliant que les seuls quartiers susceptibles de les accueillir largement sont justement ces quartiers populaires !

L’urgence d’une autre politique nationale du logement

En refusant d’ouvrir le débat en grand sur ces réalités sociales, les politiques logement nationales mises en œuvre par la métropole de Lyon transforment les acteurs du logement en fusibles des inégalités face au droit logement. Les mesures proposées vont modifier des règles et des outils avec un impact qui concernera une petite part des attributions, qui ne concernent déjà qu’une petite part des demandeurs. Autant dire que son effet sera très faible sur l’exaspération sociale face à un système HLM qui ne répond pas aux attentes légitimes des demandeurs.

Pour une autre politique des attributions de logement, il faut une véritable rupture avec les politiques logement nationales, doubler l’effort de construction de logements sociaux partout, pour permettre enfin de rattraper le retard face à la demande, et fixer des objectifs contraignants sur tous les territoires pour l’accueil des publics prioritaires et des demandeurs à très bas revenus, ce qui suppose de garantir que tout locataire a un loyer plafonné à 30% de ses revenus maximum.

Cette proposition de convention d’attribution qui propose ce que les acteurs peuvent faire dans le cadre actuel est insuffisante pour rompre avec la tendance longue à la ségrégation territoriale du logement.

[1ceux du premier « quartile », le quart (25%) qui ont les revenus les plus bas

[2Lyon-Villeurbanne

[3de Pierre-Bénite à Givors

[4Oullins, Saint-Didier-au-Mont d’Or, Sainte-Foy-les-Lyon, Tassin-la-Demi-Lune, Chaponnay, Genay, Mions

[5compte tenu du taux de rotation de 9%

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