COP21 le discours des 2°C et la réalité des guerres… Enregistrer au format PDF

Jeudi 10 décembre 2015

La connaissance de l’impact du carbone sur le climat n’est pas récente. Dès 1958, Charles David Keeling, un scientifique mesurant le dioxyde de carbone au Mauna Loa Observatory (Hawai), alerte sur son augmentation. On parle depuis de la « courbe de Keeling ». L’histoire de la prise en compte du climat dans des négociations internationales illustre la nature d’une mondialisation incapable de répondre aux urgences pour l’humanité…

  • En 1965, Keeling prévoit que d’ici 2000, il y aura 25% de CO2 en plus dans l’atmosphère et que cela aura des conséquences sur l’équilibre thermique de l’atmosphère avec des changements significatifs du climat.
  • En 1992, le sommet de Rio fait le lien entre urgences sociales, économiques et environnementales
  • En 1997, le « protocole de Kyoto » créé un « marché du carbone » pour pousser l’économie à se « décarboner »… et quand le marché se mêle de quelque chose, les affairistes ne sont pas loin…
  • En 2009, à Copenhague la 14e "convention sur le climat (COP), fait le grand écart entre l’échec des négociations concrètes, et l’affirmation de l’objectif de limiter à 2°C l’augmentation de température moyenne, avec la promesse d’un fonds des états développés du Nord de 100G$ par an pour financer la transformation énergétique, notamment au Sud… comme chacun sait, les promesses n’engagent…
  • et en 2015… à Paris, on se demande si l’urgence est encore le climat ou au contraire la « guerre contre le terrorisme », dont évidemment, personne ne demande le … coût carbone ! La question est plus profonde que provocante… car le réchauffement planétaire exacerbera les tensions entre pays sur l’eau, l’énergie…

A quelques heures de la fin des négociations à Paris, on sent venir une situation équivalente à celle de Copenhague au fonds, même si les moyens diplomatiques mis dans cette « COP » obligeront sans doute les diplomates à trouver malgré tout un accord…

Mais on sait déjà que ce texte aggravera le grand écart entre les faits et les discours, grand écart qui détruit peu à peut toute confiance des peuples dans ceux qui dirigent le monde… En résumé, tout le monde sait qu’il est impossible désormais de limiter le réchauffement climatique à 2°C, et que les engagements réels des états sont très loin des 100G€ annoncés en 2009… Mais la COP21 discute à Paris d’un objectif encore plus ambitieux, 1,5°C, et des financements qui seront possibles…après 2030 !

Revenons aux connaissances scientifiques sur le climat. Pour ne pas dépasser ces 2°C, les climatologues ont calculé qu’il ne faudrait pas émettre dans l’avenir plus de 300 milliards de tonnes de carbone (un milliard de tonnes se dit « Giga-tonne », noté GtC). Quand on parle de gaz carbonique (CO2), il faut multiplier par la masse de carbone dans le gaz carbonique, soit un peu plus de 3, ce qui fait que 300GtC représente à peu près 1000 GtCO2

Or, nos émissions augmentaient jusqu’en 2014 de plus de 2% par an, et à ce rythme, le « budget carbone » autorisé sera consommé en … 25 ans au maximum !

Elles augmentent principalement à cause de la production d’énergie à partir de combustibles fossiles. Car, jusqu’à aujourd’hui, nous continuons à investir dans des centrales charbon ou gaz pour accompagner la croissance des consommations énergétiques, et cela représente chaque année de l’ordre de 400GW de puissance fossile installée dans le monde… Certes, pas en France, car nous avons le nucléaire, mais le climat est bien une réalité planétaire !

On peut comparer ces 400GW avec la forte croissance des investissements dans l’éolien, le solaire et plus généralement les énergies non carbonées…

  • La puissance éolienne installée est passée de 39GW en 2003 à 318 GW en 2013… croissance donc très forte, mais qui représente en moyenne 40GW de plus par an, sachant que l’éolien ne produit en gros que 25% du temps, cela représente une puissance utile de 10GW par an… (on parle de « facteur de charge »)
  • Pour le photovoltaïque, on installe chaque année de l’ordre de 50GW, ce qui pour la même raison avec le facteur de charge correspond à 10GW maximum…
  • pour la biomasse, on parle de 15GW par an
  • pour le nucléaire de 8GW par an en ajoutant un peu d’hydraulique ou de maritime, on arrive tout juste à 50GW par an, alors qu’il en faudrait 10 fois plus pour stabiliser tout de suite les émissions, et ne plus rien investir en énergie carbonée.

Et si nous arrêtions tout investissement carboné ce qui permet de stabiliser tout de suite les émissions totales, ce qui ne semble pas impossible, mais que refusent les pays en développement fortement dépendants du charbon, et en tenant compte qu’actuellement, nous émettons près de 40GtCO2 par an, il resterait…. 25 ans tout rond ! Après, il faudrait une économie mondiale qui n’émette plus aucun carbone… dans 25 ans !

Dans la réalité, tout le monde sait qu’il faudrait un bouleversement radical de l’économie de l’énergie, d’une part pour réduire la consommation totale, alors qu’elle continue à augmenter, d’autre part pour arrêter TOUT DE SUITE, tout investissement dans des centrales charbons ou gaz !… Ce seraient les conditions pour que nos émissions commencent enfin à baisser, et, avoir un jour une économie sans carbone si on arrive à éliminer les carburants fossiles (gaz, fuel, essence…) dans les transports et le logement… Mais comment sortir le monde du pétrole, au moment où les guerres du pétrole et du gaz font rage ?

Nous dépasserons les 2°C… et tout le monde le sait… Et la seule question concrète est bien de savoir si nous faisons tout ce qu’il est possible de faire pour réduire au maximum nos émissions et donc le réchauffement, et ensuite, si nous faisons tout pour adapter nos sociétés à ce réchauffement… Mais quand les guerres se multiplient, qui peut croire qu’on va financer des digues protégeant des villes contre la montée du niveau de la mer, si juste à coté, on largue des bombes… ?

L’enjeu réel de la COP21 de Paris est en fait la bataille pour la paix. Car il y a ceux qui réfléchissent à une évolution pacifiée du monde… et les autres.Le livre « Climate wars, »de Gwynne Dyer paru en 2010, évoque un monde marqué par une forte augmentation de réfugiés, des faillites d’états incapables de nourrir leur population, des guerres pour le contrôle de l’eau…bref, un monde encore plus militarisé…

Ce n’est pas un roman catastrophe, mais une analyse qui s’appuie sur ce qui se passe aujourd’hui. Un article du Monde Diplomatique explique qu’entre 2006 et 2011, la Syrie a connu la plus longue sécheresse et la plus importante perte de récoltes jamais enregistrée. Sur les vingt-deux millions d’habitants que comptait alors le pays, près d’un million et demi ont été touchés par la désertification, avec des migrations massives de ruraux vers les villes, s’ajoutant à l’afflux de réfugiés irakiens qui avait suivi l’invasion américaine de 2003. Le régime baasiste de Damas subventionnait les cultures de blé et de coton nécessitant beaucoup d’eau… Les ressources hydriques ont chuté de moitié entre 2002 et 2008. Est-ce sans rapport avec la crise sociale et politique dans laquelle la guerre s’est installée ? Cette « combinaison de changements économiques, sociaux, climatiques et environnementaux a érodé le contrat social entre les citoyens et le gouvernement, catalysé les mouvements d’opposition et irréversiblement dégradé la légitimité du pouvoir d’Assad », estiment Francesco Femia et Caitlin Werrell, du Centre pour le climat et la sécurité.

Mais les dirigeants du monde ne veulent pas rater ce grand spectacle médiatique qui constitue désormais leur seule activité publique. Il y a aura un accord, des promesses, des poignées de main. Et on continuera à parler d’actions publiques pour le climat au moment où les dépenses militaires repartent partout à la hausse.. Qui compare les dépenses contre le réchauffement climatique et les dépenses militaires ? Qui dira l’urgence à construire enfin un monde de paix comme première réponse à l’urgence climatique ?

Vos commentaires

  • Le 10 décembre 2015 à 10:24, par Pierre-Alain En réponse à : COP21 le discours des 2°C et la réalité des guerres…

    La hausse de 2014 est pour la première fois en baisse… (oui, je sais, l’expression « la baisse de la hausse » fait toujours sourire, tellement elle est usée pour le chômage…). Mais en gros, on était sur des hausses de 2,5% par an en moyenne depuis des décennies, et en 2014, la hausse n’a été « que » de 0,6%…

    L’article de Sylvestre Huet sur son blog éclaire utilement ce qui est derrière cette moyenne… pour une année très douce, donc à consommation de chauffage plus faible…

    • la chine passe de +6,7% à +1,2%… sans doute une part de ralentissement, mais aussi 8 réacteurs nucléaires et 25GW de solaire en plus…
    • l’UE fait -2,4%… grâce aussi aux importations chinoises et la désindustrialisation qui se poursuit
    • les US font -1,4% par an, grâce aussi au gaz de schiste qui remplace le charbon…
    • la France fait -9% (cocorico !) grâce notamment à la réduction du gaz dans la production électrique (complément personnel… permise par une année douce qui permet à EDF d’optimiser l’usage de son parc hydraulique et nucléaire…)

    Il faut toujours lire derrière les chiffres…

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