Fête de l’humanité 2019

Ecologie et Capitalisme : Temps longs contre profit immédiat Enregistrer au format PDF

Lundi 16 septembre 2019 — Dernier ajout mardi 17 septembre 2019

J’ai été invité à participer à un débat à la fête de l’humanité sur l’écologie et le capitalisme par le responsable de la revue « progressistes », qui m’avait déja interviewé sur le développement durable à Vénissieux. Ce 14 septembre, le thème était très actuel, l’écologie et le capitalisme, un débat pluraliste avec la dirigeante d’ATTAC, Aurélie Trouvé, défendant les thèses écologiques, Jean-Marc Jancovivi, ingénieur inventeur du « bilan carbone », conférencier et créateur d’un club de réflexion très actif pour une économie décarbonée, et Alain Pagano, chercheur en écologie et conseiller municipal PCF d’Angers.

J’avais préparé quelques notes pour ce débat et j’en ai fait cet article, qui tente de montrer que le débat sur l’écologie est bien un débat politique, qui porte non sur le caractère plus ou moins vert de telle ou telle technique, mais sur la nature du pouvoir et des décisions dans notre société, pour l’intérêt privé ou pour l’intérêt général ? Autrement dit, c’est une question de choix de société.

Il y a longtemps, le dirigeant communiste Maurice thorez disait, il faut être dur avec les dirigeants socialistes qui nous trahissent et tendre la main aux ouvriers socialistes pour faire l’union. Je crois qu’on peut le dire aujourd’hui pour l’écologie. Il faut dénoncer durement les dirigeants EELV prêts à tous les compromis avec la macronie, et il faut unir les revendications sociales et environnementales pour une autre société.

Le titre de ce débat opposant écologie et capitalisme semble le présenter comme une opposition entre le temps long qui serait nécessaire à l’écologie et le temps court qu’imposerait le capitalisme. Je voudrais montrer qu’au contraire, l’écologie politique telle que nous la connaissons se développe dans le cadre du capitalisme, avec les mêmes contradictions du court terme et du temps long, comme d’ailleurs du local et du global. Et donc, que ce que nous devons opposer au capitalisme, ce n’est pas l’écologie, c’est une autre société [1].

Ce débat du temps court et du temps long est exactement comme le débat du local et du global. Vous savez, il faut penser global et agir local, formule terrible, qui nous invite donc à ne pas penser local et ne pas agir global ! Au contraire, il faut lier le temps court des urgences politiques avec le temps long des transformations sociales, tout comme il faut lier l’action locale qui mobilise les acteurs sociaux au niveau où ils peuvent être le plus directement décideurs et l’action globale sans laquelle toute transformation locale est vaine, mais transformation globale qui demande, elle une révolution !

Il doit y avoir des marxistes ici, et si vous me permettez, il faut savoir penser l’unité des contraires.

A partir d’expériences concrètes

Mon expérience d’adjoint au développement durable porte sur ce lien nécessaire entre local et global, urgences et stratégies. Prenons les composteurs de quartier. A Vénissieux, malgré notre réputation de ville d’incivilités, ils sont publics, ouverts 24h/24, non surveillés, et pourtant, ils sont bien utilisés, suivis par un agent municipal. C’est du local, et du court terme. Mais c’est aussi le support d’actions qui aide à réfléchir collectivement au global, pouvons-nous généraliser la collecte des déchets compostables ? comment doit faire le service public des déchets ? et au temps long, car le compostage à l’air émet du CO2 et que sa généralisation aurait un impact important, Faut-il alors collecter ces déchets dans un digesteur qui produira du gaz utilisable ? Cette action locale et immédiate est ainsi une aide à l’intervention citoyenne sur une question métropolitaine relevant de la stratégie des déchets à 20 ans…

De même, nous travaillions sur un espace naturel appelé les grandes terres, espace agricole aux limites de la zone urbanisée mais à l’intérieur de la métropole du Grand Lyon. Depuis des années, des classes viennent planter des haies dans un travail avec les agriculteurs, les chasseurs, les associations environnementales, les promeneurs. Ce travail est une action locale qui aménage petit à petit l’espace agricole avec des bandes enherbées, j’ajoute au passage avec des pesticides éloignés des maisons sans bruits médiatiques, dans la recherche d’accord avec les agriculteurs, mais il a un effet de moyen terme, une nette augmentation de la biodiversité, on est passé de 3 à 43 espèces d’oiseaux nicheuses.. Ce qui suffit à balayer les discours du catastrophisme ambiant qui veut nous faire croire que tout est foutu.

Le temps court et le temps long…

Car l’écologie politique n’utilise le temps long que pour imposer l’idée du catastrophisme à l’échelle globale, et nous enfermer dans le temps courts des bons gestes, trop souvent d’ailleurs sans se poser de questions sur l’impact de long terme. C’est la conséquence de cette idée que le local domine. Par exemple, je mets des panneaux photovoltaiques sur mon toit, c’est un bon geste ? c’est rapide, c’est local, mais qui me le paie ? entre prime fiscale et tarif d’achat garanti, c’est la collectivité, c’est à dire que les propriétaires de toits se font une rente payée par les consommateurs d’électricité, y compris les bénéficiaires de tarifs sociaux. Quelle est la conséquence prévisible ? la bulle ! avec les publicités insupportables « votre toit vous enrichit ». Mais l’écologie politique est satisfaite. Sauf que le coût de la tonne de carbone évitée par ce photovoltaïque est catastrophique car il remplace principalement de l’énergie nucléaire donc non carbonée. C’est le constat de la transition énergétique allemande, des centaines de milliards investis dans les renouvelables électriques, qui remplacent du nucléaire et donc ne réduisent pas la production d’électricité fossile, et donc ne réduise pas les émissions. De ce point de vue, l’écologie politique et le capitalisme ont été dans le même bateau !

Et le capitalisme connait très bien les temps longs ! Bien sûr, il est dominé par la recherche du profit immédiat, et j’ai personnellement travaillé dans des entreprises à la mode US du rapport trimestriel, il est clair que le court terme domine les décisions opérationnelles. Mais le vrai moteur du capitalisme est le profit, et si on sait que un tiens vaut mieux que deux tu l’auras, trois ou quatre, ça mérite peut-être d’attendre…

Alors la financiarisation du capital lui permet de ruser avec le temps long pour isoler les risques. A chaque crise, il invente des « véhicules » comme disent les économistes pour isoler les créances pourries… renvoyer les bulles sur d’autres bulles, même si on sait tous qu’à la fin, ce sont les peuples qui paient… récession ou guerre. Mais s’il ruse avec le temps long, le capitalisme sait que beaucoup d’investissements demandent ce temps long pour créer le profit attendu. Les gestionnaires d’infrastructures de réseaux par exemple font des calculs sur 20 ans ou 30 ans, comme beaucoup d’industries à forte composante en capital. Le groupe TOTAL investit des sommes considérables pour l’après-pétrole ! Sauf que les crises perpétuelles du capitalisme, la guerre entre capitalistes les conduisent à chercher le profit immédiat pour un capital « liquide » comme ils disent, disponible à tout moment. Ce qui bouscule l’industrie nucléaire qui s’est développée dans une phase de croissance qui permettait au capitalisme de long terme d’être rentable, un capitalisme d’état dit-on. Mais dans la crise, un capitalisme « vert » devient dominant avec une ubérisation de l’énergie permise par les renouvelables électriques, l’opposition apparente entre nucléaire et renouvelable n’est pas d’abord une question environnementale, mais une question très capitaliste, qui apportera le plus de profit ? Mais qui se préoccupe du temps long des éoliennes ? Qui dans 20 ans devra payer pour démonter les éoliennes en fin de vie ? La société qui l’aura installée n’existera plus, et souvent les contrats ont écrit en tout petit en bas de page que le propriétaire du terrain en fera son affaire ! Un grand classique !

Des ressources finies…

Beaucoup vous diront, non, ce n’est pas une question de choix de société car quelque soit le système économique, une ressource finie est finie et que quand on la consomme à vitesse accélérée, on fonce dans le mur. Ce serait vrai s’il ne s’agissait que d’une question technique et non d’une question politique. Le présenter comme une fatalité, sans tenir compte de la créativité humaine, pas seulement la créativité technologique, mais aussi la créativité sociale des usages, conduit à un « catastrophisme » qui pousse non pas à mobiliser pour changer de société, mais à faire accepter les inégalités grandissantes. De plus en plus de gens se disent, c’est moi qui doit consommer moins, il faut que je me déplace moins, que je mange moins, que j’accepte un plus petit logement, que je ne me soigne pas trop !

Il y a une véritable guerre idéologique pour faire reculer, dans le monde occidental, l’espoir de changer la vie. C’est ce que fait la tribune signée par Yves Cochet, Agnès Sinaï et Pablo Servigne dans Le Monde du 23 juillet 2019 qui nous appelle à « assumer l’effondrement systémique global qui vient pour préparer l’avènement d’une société « résiliente » » (…) l’effondrement est inévitable. pas pour dans longtemps : « une ou deux décennies, tout au plus ».

Ils ont le mérite d’expliquer publiquement le rôle de ce discours de l’effondrement, je cite « Il faut un récit commun pour rester soudés. Certes, le récit de l’effondrement comporte des risques et des écueils, comme tout récit, mais il est puissant et a plusieurs mérites : il évite le catéchisme de la croissance, il réactive une vision cyclique des choses en appelant une renaissance, et surtout il dit que c’est maintenant ou jamais. Il nous rapproche de l’idée de la mort ». Et ce Mr Cochet a son petit manoir dans lequel il s’est organisé pour vivre en autonomie complète, il ne vaut pas mieux que les riches suisses avec leur abris anti-atomiques !

Le résultat, c’est Yann Arthus Bertrand qui se désespère « on ne peut rien faire aujourd’hui contre l’envie du monde entier de vivre mieux ! » Les millénaristes de l’effondrement se désolent des revendications sociales ! Le résultat est qu’une enquête sociologique sur les lycéens marcheurs du climat montre que 50% sont des enfants de cadres supérieurs ou professions libérales, que les grandes écoles qui préparent les cadres dirigeants du capitalisme sont mieux représentés que les lycées professionnels ! Il faut répéter à tous que s’installer dans une telle fracture sociale et politique serait une impasse pour tout le monde !

Pour le capitalisme, c’est une formidable opportunité d’obtenir un recul accéléré des luttes sociales. Quelques semaines après avoir annoncé la fermeture de 273 magasins et la suppression de 2 400 emplois, un dirigeant du groupe Carrefour appelle à l’avènement d’un « humanisme planétaire » reprenant le message de… Pierre Rabhi, ce gourou réactionnaire qui dénonce pêle-mêle les lumières, la révolution française, et la science… et qui nous répète que « pour parvenir au "changement", il faut que chacun “fasse sa part”. Et bien sûr c’est aussi la volonté de Carrefour. »

La sobriété pour les pauvres, la gabegie pour les riches… !

Il faut le dire, le discours de la sobriété, c’est le discours de l’austérité relookée, arrivant à masquer les grandes fortunes derrière l’image de la sobriété heureuse !. Alors bien sûr, les communistes ne répondent pas à l’austérité en défendant la gabegie, au contraire ! Comme le dit Marx, la classe ouvrière est la seule capable de gérer l’état de manière économe ! Car l’ouvrier conscient ne veut pas jouer au bourgeois, il veut une vie digne, il sait que l’avion est nécessaire à beaucoup d’immigrés pour aller voir leur famille, mais il n’a aucun besoin de se promener en jet privé ! Alors, quand Greta Thunberg va à New York dans un voilier de lux financé par le prince de Monaco… ce n’est pas de la sobriété, c’est de la com ! Quel est l’impact carbone du prince de Monaco et de sa famille ?

De fait, on ne peut pas organiser une consommation digne dans une société d’inégalités, on ne peut pas défendre la sobriété pour ceux qui travaillent en acceptant la gabegie pour ceux qui possèdent !

On peut d’ailleurs regarder ce qui se passe d’un point de vue d’économiste. Ce qui est rare est cher, et donc la pression sur les ressources finies doit un jour ou l’autre se traduire par la hausse du prix de ces ressources. Or, toutes les études économiques montrent que jusqu’à aujourd’hui le prix des biens décroit alors que le volume continue à augmenter. C’est à dire que la société invente des manières de trouver de nouvelles ressources et/ou de faire plus avec le même niveau de ressource. [2]. Notez que Marx a très bien étudié cette tendance de fonds à la dévalorisation des marchandises.

Après la dialectique du court et du long terme, du local et du global, il nous faut donc aussi une dialectique du fini et de l’infini.

Vous savez par exemple que le volume d’eau sur terre est constant, elle se transforme dans de grands cycles de l’eau, évaporation, pluie, rivières… mais son volume ne change pas, le problème de l’eau sur terre n’est pas du tout un problème de stock, c’est un problème de répartition d’abord, elle est très inégalement accessible, et un problème de traitement, quand on la salie, il est très couteux de la nettoyer.. Autrement dit, nous n’avons pas de problème de ressource en eau, ce qui serait un problème de nature, mais nous avons un problème de traitement de l’eau, ce qui est un enjeu politique de service public, comment réduire la pollution de l’eau usée, et comment traiter l’eau usée.

De même, le pétrole est une ressource finie, mais à force de répéter que c’est la fin, les prévisionnistes de la catastrophe perdent tout crédit. Vous trouverez de nombreux articles qui nous disaient en 2008 qu’on avait passé le pic du pétrole. Dix ans après, les USA sont devenus exportateurs et la production mondiale continue d’augmenter. On sait tous que les USA le font au prix d’un scandale social et environnemental, mais cela ne fait que prouver que notre problème est bien le capitalisme et pas la finitude de la ressource ! Après les pétroles de schistes, ils nous inventeront un pétrole issu du charbon et ce sera reparti pour un tour !

L’urgence du climat, c’est le socialisme !

On ne peut pas répondre à la question des ressources dans le capitalisme ! C’est le cœur du problème. Comment faire pour que l’humanité décide ce qu’elle fait avec les ressources finies de la terre ? Le capitalisme n’est pas une société du court-terme, mais une société dirigée par ceux qui possèdent le capital et donc maitrisent le profit. Il est impossible de décider correctement de l’usage des ressources finies dans le capitalisme. Il faut donc ouvrir le débat sur ce que peut être une autre société, et je propose de lui redonner son nom historique, le socialisme.

Mais ce ne peut pas être seulement une société du temps long ! Elle doit répondre aux urgences sociales, humaines. C’est ce que disent d’ailleurs les communistes chinois, il y a 20 ans, leur priorité était de nourrir 1,4 milliards d’êtres humains… Aujourd’hui, elle est de répondre aux besoins de mieux vivre dans un pays qu’ils considèrent encore comme en voie de développement. Je pense que nous avons beaucoup à apprendre de cette vision du temps long à la chinoise, d’un socialisme qui s’est donné un siècle pour construire une société de moyenne aisance…

Si l’écologie politique est soluble entièrement dans le capitalisme, l’écologie est la science du 21e siècle et donc, ce sera la science nécessaire au socialisme !

[1au passage, il faut lui donner un nom, ce qui devrait conduire les communistes à ouvrir le débat non de l’écologie, mais du socialisme

[2l’Index Simon d’Abondance des Ressources, contrepoints, human resources

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