Energie : tirer les leçons de la transition allemande Enregistrer au format PDF

Lundi 15 février 2021

J’ai participé ce samedi 13 février à la première journée des états généraux de l’énergie organisée nationalement par le PCF. Une journée très riche avec des militants de tous les secteurs de l’énergie, de EDF et Engie aux industries amont et notamment du groupe General Electric, en passant pas des laboratoires de recherche. Fabien Roussel, député et secrétaire national du PCF a ouvert la journée en affirmant le choix du service public face l’urgence climatique et Sébastien Jumel, député PCF, l’a conclu notamment sur le mix électrique avec nucléaire nécessaire pour lier selon sa formule « luttes des classes et fonte des glaces »…

Un des responsables national de l’excellente revue progressistes, Amar Bellal, a fait une intervention remarquée en début de journée avec notamment une vidéo et une diapositive que je crois utile de faire connaitre, et qui me conduit à remettre à jour mon article sur la transition énergétique allemande qui sert à certains de modèles alors qu’elle est au contraire l’exemple pour la France de ce qu’il ne faut pas faire…

Tout d’abord, la vidéo présentée qui montre la situation électrique de l’Europe sur une année, avec le niveau d’émissions de carbone par pays, et les déplacements de masses d’air et donc du vent…

On voit clairement 3 pays qui sont toujours en vert, France, Suède, Norvège, un pays qui est toujours en marron, la Pologne, et l’Allemagne qui arrive péniblement à être en jaune par moment, mais le plus souvent en ocre plus ou moins foncé…

Ces cartes sont disponibles en ligne sur le site electricitymap

Pourtant, l’Allemagne est connue pour avoir lancé une politique ambitieuse de transition énergétique, avec plus de 300 milliards investis dans les ENR électriques, trois fois plus que le France. Pourquoi ce constat sévère d’un pays qui n’arrive pas malgré ses efforts à décarboner son électricité ?

Les niveaux de consommation sont très comparables entre France et Allemagne, ce qui souligne d’ailleurs que la France est plus électrifiée que l’Allemagne.

Mais pourtant, les capacités installées sont très différentes, l’Allemagne a une capacité installée presque du double de celle de la France, pour produire à peu près autant… alors même que sa pointe de consommation est nettement plus basse, donc qu’elle a moins besoin de surcapacité

Ce n’est pas une erreur bien sûr, c’est le résultat de la transition énergétique allemande, avec un développement accéléré des renouvelables, qui conduise à d’énormes capacités intermittentes qui par définition ne sont pas disponibles à tout moment. Elles doivent être supplées par des capacités dites « pilotables », qu’on peut activer quand on en a besoin, nucléaire ou fossiles….

Le graphique suivant illustre cette réalité derrière les annonces tonitruantes sur les records de production renouvelables, Si l’Allemagne a bien investi sur les ENR électriques, dont la puissance installée est aujourd’hui supérieure aux autres sources, elle a remplacé son nucléaire par un peu de biomasse et… beaucoup de gaz, pour assurer la continuité de service !

Le résultat, c’est que les 300 milliards investis dans les ENR allemandes n’ont pas réduit la puissance installée en fossile !

Quel est l’effet sur le mix électrique ? Il ne suffit pas de choisir les jours avec beaucoup de soleil et de vent, jours de record de production renouvelable qui provoquent d’ailleurs ces prix négatifs du marché spéculatif de l’électricité, il faut regarder ce qui se passe souvent… Par exemple, sur les premières semaines de 2021…

On constate que le solaire est marginal (c’est normal, on est en hiver) et qu’il peut y avoir certains jours du vent, mais que quand il n’y a pas de vent, cela dure plusieurs jours… Au total, malgré leurs énormes capacités installées, les renouvelables ne sont majoritaires en énergie produite que pendant peu de temps… Sur ces 6 semaines, sans nucléaire, charbon et gaz, c’est le black-out pendant des jours !

Que se passe-t-il en été ? Prenons le mois de juillet 2020…

Visiblement, il y a plus de soleil, mais bien sûr, il ne fonctionne que le jour… et à plein rendement que pendant quelques heures en milieu de journée ! Il y a des jours ou en plus, il y a du vent, et alors c’est le jackpot, pendant quelques jours, les renouvelables peuvent représenter les 3/4 de la consommation, mais cela ne dure pas… Même en été, il y a des semaines entières (comme la semaine 29 ci-dessus) pratiquement sans vent, donc avec une part de renouvelable en dessous de 25%… C’est alors le gaz qui assure la continuité de service…

Et ces schémas contiennent une courbe noire qui situe la charge du réseau. Sur cet agrandissement sur une grosse journée, on voit clairement qu’en plein jour, au pic de production solaire, la production totale est bien supérieure au besoin, ce qui implique d’exporter le surplus…

Et c’est ainsi que la puissance installée renouvelable conduit lors des pics à des exportations alors qu’il faut à d’autres moments des importations pour équilibrer le réseau

Ce qui veut dire que l’équilibre européen des réseaux est un enjeu dans les relations entre pays. Les renouvelables étant prioritaires, la France par exemple peut être contrainte d’acheter une électricité allemande dont elle n’a pas besoin…

Le sujet fait beaucoup discuter en Allemagne, car le coût prohibitif de ces investissements records dans les renouvelables qui ne font pas reculer les fossiles, c’est quand même une sacré contradiction… que les allemands paient cher !

Le prix de l’électricité a toujours été plus élevé en Allemagne qu’en France, mais malgré l’électricité parait-il gratuite de l’éolien ou du solaire, ce sont les allemands qui ont l’électricité la plus chère d’europe, plus de 30c/kwh, pour 18c en France.

C’est bien sûr du aux taxes qui financent les renouvelables et qui sont devenus la part la plus importante du tarif, et représentent en Allemagne 54% du prix ! On dit que les renouvelables sont devenus compétitives, mais grâce à une subvention massive payée par les consommateurs…

S’il y débat en Allemangne, c’est aussi que les prévisions de la transition énergétique sont vertigineuses et que les conséquences sur les prix vont être explosives.

Ainsi, pour les capacités renouvelables, l’Allemagne prévoit d’atteindre 500GW installé, 6 fois plus qu’aujourd’hui, cela représenterait donc 1500 milliards d’euros de plus,

et malgré cela, l’Allemagne prévoit toujours de doubler ses capacités fossiles, pour atteindre 160GW, plus que les capacités totales en France !!!

Mais l’arrivée de telles capacités intermittentes posent des problèmes complexes de stabilité du réseau et il faut donc encore ajouter des capacités de « conversions » qui représentent du stockage (notamment hydrogène) pour des capacités là encore énormes… près de 80GW…

Au total, des capacités cumulées de de 840 GW pour un coût pharaonique qui va faire doubler ou tripler le tarif pour les usagers…

Une conclusion décalée… Il est clair l’Allemagne a fait un choix de sortie du nucléaire qui va être durement payé par les usagers, et qui ne réduira pas ses capacités fossiles, autrement dit, qui va très peu réduire ses émissions carbonées… On croyait que l’urgence, c’était le climat, mais visiblement, en Allemagne, c’est autre chose…

Sauf que cette décision n’est pas prise sans réflexion, et c’est bien un choix industriel et donc géopolitique qui est derrière.

Car la France avec son électricité nucléaire offrait à son industrie un avantage compétitif. Le diagramme suivant montre la différence de prix pour les usages professionnels selon la puissance souscrite. Les entreprises allemandes paient une électricité 50% plus chère que leurs concurrentes françaises

Mais l’Allemagne domine l’industrie en Europe et son choix d’abandonner un nucléaire dominé technologiquement par la France est aussi le choix d’imposer ses grandes entreprises industrielles dans le secteur énergétique. Pendant que la France voit se défaire ses fleurons historiques qui travaillaient pour EDF (Alstom, Schneider, Framatome…), les groupes allemands imposent leur présence dans l’éolien et équipements de réseaux.

Ceux qui croient à une stratégie allemande guidée par le climat se trompe totalement. Pour le climat, c’est un échec, pas pour le business !

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