Inégalités, manifestants et violences Enregistrer au format PDF

comment être toujours plus « tous ensemble » ?
Lundi 25 octobre 2010

Quelque soit la suite du mouvement social, 2010 restera une année symbole des luttes sociales en France. Cela n’est pas étonnant pour ceux qui savait, quand le président affirmait « Désormais en France quand il y a une grève personne ne s’en aperçoit », qu’en fait, la fracture était toujours plus large entre la grande majorité du peuple, du monde du travail, des quartiers populaires et les élites politiques, économiques et médiatiques, qui donnent le ton en France.

Le NON massif au référendum en 2005, avec 80% dans nos quartiers et une participation forte, avait déjà souligné cette fracture sociale qui devient un gouffre…

Mais ce gouffre a deux conséquences, il fragilise bien sûr les pouvoirs et les institutions, mais il peut aussi affaiblir ce « bien commun » qui donnait un sens à l’engagement individuel au service du collectif.

La vie politique reposait depuis longtemps sur l’idée que quelque soient les oppositions d’idée, d’analyse, de critique, la république était quand même un espace commun à la grande majorité, et que le pouvoir politique, quelque soit sa couleur, avait une certaine légitimité à représenter la grande majorité des Français. Nous avons hérité cela notamment des conditions de la libération en France, avec le rôle essentiel du conseil national de la résistance qui a profondément pesé sur les institutions et la vie politique Française jusqu’à il y a peu…

Le général de Gaulle lui même représentait encore cette légitimité, même quand on le combattait avec énergie… Mais un des dirigeants du Medef l’avouait sans fard il y a peu. Leur objectif est désormais de défaire tout ce que le conseil national de la résistance avait fait.

Et la conséquence se voit déjà dans les statistiques françaises. comme le montre l’excellent site « observatoire des inégalités ». Les écarts de salaires entre les plus haut revenu et les plus bas se creusent à vitesse accélérée depuis 2001. La France qui était en 1980 un pays presque aussi égalitaire que l’Europe du nord, rattrape à grande vitesse la situation anglaise ou américaine. Plus précisément, les plus riches en France, voient leur revenus augmenter beaucoup plus vite et l’écart avec les plus pauvres ressemble de plus en plus à la situation des USA… Non seulement les revenus non salariaux progressent toujours plus vite, mais les revenus salariaux sont eux même des plus en plus inégalitaires. Les 10% les mieux payés ont pris depuis 2001 1% de plus dans la masse salariale totale… et ce sont les 50% les moins payés qui l’ont perdu !

Le pire, c’est que tout le monde le sait, puisque Marin Hirsch venant d’être nommé par Sarkozy au gouvernement disait :

« La pauvreté en France s’aggrave dans l’indifférence »

Il affirmait qu’il « sera impossible à l’avenir de s’abstenir de commenter cette évolution car le président Nicolas Sarkozy lui a fixé pour objectif de réduire la pauvreté de 30% sur cinq ans, ce qui correspond, selon lui, »à deux millions de personnes sorties de la pauvreté."

Mais il est parti, et ses promesses avec lui…

Bref, personne ne peut penser que la situation va continuer « tranquillement ». Toute la question est bien de savoir comment rompre avec cette tendance lourde vers une société toujours plus inégale ?

Et si les manifestations toujours plus nombreuses sont évidemment une condition, on voit bien que le vandalisme, les affrontements sont au contraire le moyen d’empêcher que la mobilisation ne continue jusqu’à devenir irrésistible.

Les témoignages se multiplient sur les provocations de toute sorte, jusqu’à ce reportage télévisé dont des photo sont parues dans la presse ou des « casseurs » n’ont visiblement rien à voir avec la banlieue et tout à voir avec des provocateurs, dont on se demande pourquoi la police ne les a pas arrêté.

Il y a pourtant bien des jeunes, et même de très jeunes, qui se retrouvent dans la rue, et peuvent à tout moment se retrouver dans des actes de vandalisme. On peut noter que la police a tendance à n’interpeller d’ailleurs que peu de vrais casseurs. Dans les tribunaux, les 2/3 des interpellés ne sont pas connus des services de police, et les motifs de sanctions comme un mois de prison avec sursis laissent interrogatif ; un doigt d’honneur, un sac plastique de feuilles mortes comme projectile… Visiblement, ceux qui défonçaient les vitrines dans le reportage télé n’ont pas été interpellés.

Presque tous les matins la semaine dernière, c’était la même inquiétude des parents devant les collèges de Vénissieux. Une part des enfants refusent d’aller en classe, de petits groupes mettent le feu à une poubelle et la majorité reste autour sans comprendre qu’ils agissent contre les grévistes, qui sont parfois leurs parents ! La police n’a évidemment aucune difficulté à les disperser si nécessaire, repèrent les identités d’autant plus facilement qu’ils sont inscrits au collège… Peu de parents présents, ceux qui font attention emmènent leur enfant jusqu’à l’entrée. A quelques uns, nous avons essayé de calmer les esprits, d’envoyer les plus jeunes en classe, de proposer aux plus âgés de réfléchir à ce qu’ils peuvent faire d’utile au mouvement social…

Mais le fait est là, pour des millier d’adolescents, le vécu de l’injustice sociale devient si fort, et si peu d’adultes sont mobilisés pour organiser l’action dans les quartiers, que c’est l’imagerie médiatique qui prend le dessus. Une jeune fille me dira « mais si on manifeste sans rien bruler, personne ne parle de nous ». Elle en est persuadée, et il était trop compliqué de lui expliquer qu’au contraire, plus on parle de sa poubelle brulée, et moins on parlera des conditions de victoire du mouvement social sur les retraites.

Il faut d’ailleurs noter que c’est à Marseille, ou le mouvement de grève est le plus fort, qu’il y a eu le moins d’incidents violents dans les manifestations.

Les témoignages qui se multiplient sur les incidents à la marge des manifestations montrent toujours plus clairement deux choses

  • la police organise la division du mouvement, laissant passer les syndicats de salariés et retenant les lycéens en otage comme sur la place Bellecour. Elle semble peu efficace contre les casseurs, mais interpelle à tour de bras des lycéens dont beaucoup sont excédés par ce qu’ils vivent en se retrouvant souvent sans organisation dans une manifestation
  • de nombreux jeunes, lycéens et étudiants, notamment de quartiers populaires [1] cherchent comment exprimer leur colère. Mais ils sont comme les adultes, devant l’inconnu sur les condtiions d’une victoire sociale sur ce dossier des retraites ! Car si le CPE en 2003 pouvait être abandonné sans remettre en cause le régime, ce n’est pas la même chose aujourd’hui.

Entre les deux, un petit nombre de casseurs, provocateurs, agitateurs font leurs affaires..

Rappelons nous comme le général de Gaulle avait pu retourner la situation en 1968, en s’appuyant bien sûr sur le conservatisme qui restait fort, mais aussi sur l’impossibilité de penser ce que pourrait être une vraie rupture politique. On a bien vu d’ailleurs que ceux qui portait apparemment la révolte la plus radicale, se sont pour la plupart bien intégré au « nouveau monde » de la publicité, de la finance ou de l’union européenne, ceux qui sont « passés du col Mai au rotary club » comme le dénoncera un écrivain ; ceux qui comme Cohn Bendit se sont transformés de « Dany le rouge » en représentant de la technocratie européenne.

Les forces sociales et politiques ont une responsabilité forte dans cette situation. Pour permettre à la plus grande majorité du peuple de voir dans ce mouvement social une chance pour faire reculer enfin ce « mur de l’argent » qui écrase la société Française depuis si longtemps, il faut l’aider, jeunes et moins jeunes, à en comprendre les conditions nécessaires, l’organisation collective pour être toujours plus nombreux, isoler et rejeter les casseurs et provocateurs, définir les objectifs gagnables par le mouvement…

[1on est sur ce point très loin des manifestations étudiantes de 68

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