Ce 26 Juin se tenait au « Sucre »’ [1], le séminaire de lancement du schéma directeur des énergies de la métropole Lyonnaise.

150 à 200 personnes, principalement des cadres et ingénieurs des différents acteurs de l’énergie, mission énergie de la métropole, syndicats intercommunaux, entreprises, associations missionées par le Grand Lyon… et quelques rares élus métropolitains, ont donc découvert les premiers éléments de travail de ce schéma directeur.

Les objectifs politiques étaient rappelés par la vice-présidente aux énergies de la métropole, Hélène Geoffroy, puis par le vice-président au développement durable, Bruno Charles. Après ces présentations et celles de directeur de ERDF et GRDF, gestionnaires de ce qui reste du service public de l’électricité et du gaz, la parole était donné dans la salle pour des « questions concises » et je suis intervenu en essayant de rester constructif, même si ma réaction immédiate était plutôt vive !

Hélène Geoffroy, qu’on peut remercier pour une intervention sans tape à l’œil, directe et assez concrète dans ce contexte de lancement d’une démarche stratégique, est tellement prise dans cette « affirmation métropolitaine » qu’elle cite longuement les partenaires de la métropole, opérateurs, délégataires, région, association, ADEME, syndicats, recherche… mais oublie totalement les communes !

Pourtant, un intervenant se félicitera quelques instants plus tard de la forte progression de la part de la biomasse dans les réseaux de chaleur, sans noter que c’est grâce aux réseaux municipaux de La Duchère (14MW), Rillieux (5,5MW), Vaux-en-Velin (21,5MW) et Vénissieux (14MW, 20MW en 2017), alors que les difficultés contractuelles et juridiques du réseau de Lyon Villeurbanne (0 MW !) géré par le Grand Lyon ne lui a pas encore permis de développer la biomasse…

La vice-présidente affirme que la métropole veut mettre les usagers au centre des enjeux de l’énergie. Elle sait pourtant que cela ne peut se faire qu’en lien étroit avec les communes, quoi qu’on pense de la loi créant les métropoles et de l’avenir des communes dans cette métropole. Il est déjà difficile à l’échelle d’une commune de mobiliser les citoyens dans des démarches participatives, mais à l’échelle de la métropole, c’est mission impossible !

Bruno Charles aura une formule politique d’une grande clarté évoquant la « fin des régulations construites en 1945 » et la fin « d’une utopie de l’énergie illimitée », réaffirmant un objectif de « sobriété » malgré les ambiguïtés et les contradictions que ce terme recèle.

Car ce mot sobriété est très « mode », mais si on veut dire par là qu’il faut consommer le moins possible, il n’est pas très nouveau, et tous les gros consommateurs d’énergie (industriels notamment) regardent depuis toujours comment maitriser leur consommation et réduire leur facture… On ne peut qu’être d’accord s’il s’agit de responsabiliser les usagers qui sont souvent mécontents en Juin quand ils reçoivent leur rappel de charges ou factures de chauffage, mais qui sont parfois les premiers à demander du chauffage fin septembre après un weekend un peu froid et humide, ou qui protestent si on applique la règle des 19°C dans les appartements.

Mais ce mot sobriété dit bien autre chose que « maitrise de l’énergie », et conduit souvent à considérer que la consommation serait par elle-même mauvaise ! Dans une époque d’austérité renforcée, de rigueur partout, ou on explique que tout le monde doit se serrer la ceinture et perdre des droits, on ne peut s’empêcher de penser que la « sobriété » est un mot poli pour ne pas dire « austérité ».

D’ailleurs, Bruno Charles reconnait que l’équité qui existait avec la péréquation tarifaire est mise en péril avec la dérégulation, aggravant la précarité énergétique, et il souhaite donc « maintenir le pacte social ». J’ai noté dans la suite de la présentation qu’était affirmé un « droit à l’énergie », ou un « accès pour tous à l’énergie ». J’ai utilisé plusieurs fois cette expression justement pour affirmer une exigence politique « positive » dans le discours de la sobriété. Et je le formule même plus complètement en demandant le droit à une énergie dé-carbonée, propre, efficace et accessible. Mais il faut dire que si nous devons « réaffirmer » ce droit à l’énergie, c’est que les gouvernements successifs l’ont patiemment et volontairement défait, et que la mise en cause du monopole du service public a ouvert la boite de pandore des affairistes et des segmentations de marché !

Je suis intervenu brièvement en me contentant de noter qu’un consensus qui ne laisse pas apparaitre les contradictions et les oppositions ne permet pas un débat vivant. Or, je fais partie de ceux qui continuent à combattre la mise en concurrence des territoires et la dérégulation de l’énergie, et devant la vérité de la fin du modèle social de 45, je continue à défendre l’utopie d’une république sociale.

Quand à l’utopie de l’énergie illimitée, autant tout le monde sait que les énergies fossiles sont par définition limitée, il y a bien une énergie quasi-illimitée et que Bruno Charles défend, c’est l’énergie solaire. Plus généralement, matière et énergie sont intimement liés et l’énergie de la Terre, des océans, de l’air, du soleil sont d’un ordre de grandeur très loin de la petite humanité ! [2] ! Le problème n’est pas de ne pas consommer car nous n’aurions pas d’énergie, mais de ne pas consommer pour rien, de ne jamais gaspiller, et de ne consommer qu’en réduisant au maximum les impacts sur notre environnement. J’ai moi l’utopie d’une humanité stabilisée à 10 milliards d’humains où chacun ait droit au logement, au voyage, à l’éducation, au loisir, à la découverte, et donc consomme de l’énergie utile, efficace, décarbonée et propre. Et peu importe la consommation totale si elle respecte ces principes.

Le discours né du club de Rome sur la surpopulation mondiale et l’épuisement des ressources était un discours préparant une nouvelle vague de mondialisation capitaliste, accompagnant la réorientation des investissements du Nord dans le développement du Sud, et c’est ce qui marque de manière contradictoire dès son origine le concept de développement durable. Car bien sûr, aucun des experts de la commission trilatérale qui ont multiplié les rapports sur ce sujet n’ont jamais imaginé une autre société, une société dans laquelle le marché et l’accumulation des capitaux ne soient plus le cœur du pouvoir.

Oui, le débat sur l’énergie mérite d’éclairer les points de vues différents, loin du consensus mou dont la métropole est la championne !

Et le schéma directeur de l’énergie est présenté…

Après une pause, les cadres concernés de la métropole ont présenté les premiers éléments du schéma directeur. C’est une innovation métropolitaine puisqu’en fait, cet outil stratégique n’est défini par aucune loi ou décret. L’objectif est de construire une politique métropolitaine qui va articuler les objectifs énergie et climat avec les politiques publiques de l’urbanisme (PLU-H), des transports, (PDU), de l’eau et l’assainissement… Il reposerait sur un modèle numérique détaillant la production et la consommation de tous types d’énergie à la maille des quartiers IRIS de l’INSEE, autrement dit, des carrés de 500m de coté, et même parfois au niveau des gros équipements ou consommateurs.

Mais cette grande ambition n’est pas ancrée dans le retour d’expériences pourtant nombreuses.

  • la métropole a la compétence « schéma directeur du réseau de chaleur » depuis 4 ans, et ce schéma directeur dont on sait qu’il a été partiellement réalisé, est cité dans le groupe de travail énergie, mais il n’est pas diffusé…
  • pas d’études sur les consommations réelles des batiments « BBC » après quelques années, l’expérience Wattetmoi a buté sur les comportements des usagers qui étaient très peu nombreux à se connecter sur le service proposé… pourquoi ?
  • pas d’analyse globale des consommations énergétiques par source de l’agglomération, alors qu’il existe des données que nous avons utilisé dans le plan climat. Une première approche à une maille large (communes, territoires ? ) sur les données de consommation par domaine (logement, industrie, transport…) et par type d’énergie, avec des mini/maxi de puissance appelée, des analyses énergétiques classiques auraient peut-être conduit à prioriser le travail de construction de ce schéma directeur
  • pas d’analyse détaillée du bilan carbone de ce qui a été fait depuis 20 ans, le directeur de la mission énergie dira simplement que le nouvel objectif de -30% en 2030 est ambitieux alors que nous avons déjà du mal à atteindre les -20% en 2020… De fait, la présentation nous dit que les actions cumulées sur 2008-2014 ont eu un impact de -170 000 tonnes équivalent carbone, soit moins de 2%…

De fait, le cœur de ce projet est bien le modèle de simulation numérique des réseaux d’énergie en production, distribution, stockage et consommation, mêlant électricité, gaz, chaleur… La vice-présidente a parlé de partenariat de recherche, mais je crains que le problème soit scientifiquement complexe, et comme toujours en recherche, personne ne garantit qu’il existe une solution… Et comme c’est mon domaine de compétence universitaire, je rappelle qu’un modèle est quelque chose qui permet de répondre à une question posée… Si on ne connait pas la question, aucun modèle ne donnera la réponse ! A quelle question veut-on répondre avec cet outil ?

Certes, ce n’est qu’un lancement, et le gros du travail est à venir, mais les moyens affectés à ce travail sont considérables, moyens internes avec 9 agents à la métropole, mais aussi moyens externes avec des prestataires divers dont il sera nécessaire de présenter le budget en conseil métropolitain. Car les sujets opérationnels ne manquent pas, comme le montre la délibération sur le réseau de chaleur de Lyon-Villeurbanne, pour lequel la métropole a sans doute manquer de temps et de moyens pour construire un vrai partage politique !

Oui, toute cette énergie métropolitaine pour qui ? pour les habitants ? Il faudra alors vite préciser en quoi ce projet les concernent, quels en sont les objectifs : tarifs ? qualité de service ? transparence ? équité territoriale ?

[1grande salle de réunion sur le « rooftop » de l’immeuble de la sucrière, encore un de ces « anglicismes pour faire moderne » qui tient lieu de style littéraire dans le discours métropolitain

[2les scientifiques sont même à la recherche de l’énergie du vide !

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