Conseil de la métropole du 15 mars 2021

La ZFE ne doit pas être un outil de sanctions des familles populaires Enregistrer au format PDF

2021-0470 déplacements et voirie - Amplification de la zone à faibles émissions (ZFE+)
Lundi 15 mars 2021

Monsieur le président, chers collègues,

Pour ce dossier qui génère de nombreux débats, le plus important sera sans doute notre capacité collective à organiser le débat public, dans toutes ses dimensions, sanitaires, environnementales, économiques, sociales, urbaines…

Permettez-nous de prendre du recul en nous interrogeant d’abord sur ce qui fait que notre collectivité doit prendre des décisions sur un enjeu de santé publique mondial connu depuis longtemps. Nous le savons, c’est l’inaction des gouvernements successifs qui n’ont pas orienté les investissements industriels à la hauteur des enjeux pourtant connus pour transformer les mobilités, que ce soit la part modale de la voiture ou le type de motorisation.

Pourtant, c’était possible. A la fin des années 70, on découvre le trou dans la couche d’ozone, dont les enjeux environnementaux et de santé publique sont énormes. Il n’a fallu qu’une dizaine d’années pour que les états agissent avec le protocole de Montréal qui interdit en 1987 les CFC dans les aérosols, puis le bromure de méthyle en 1992. L’industrie s’est adaptée, personne ne considérant les consommateurs comme responsables. En 2000, les quantités de polluants commencent à diminuer dans l’atmosphère et les modèles prévoient un retour à la situation précédente pour la couche d’ozone dans quelques années…

Pourquoi pour la pollution de l’air par les transports n’avons-nous pas eu de telles décisions fortes sur l’industrie et notamment les normes imposées aux véhicules. Il a fallu le scandale du diesel pour que de vraies normes sur les émissions réelles en situation réelle sur des véhicules du parc soient enfin imposées. Et nous avons enfin des études fiables sur les pollutions qui montrent d’ailleurs leur caractère multicritères, avec les pollutions de combustion, poussières et azote, mais aussi les pollutions de frottement. C’est pourquoi nous dénonçons les condamnations par l’Union Européenne des pays qui ne respectent pas les niveaux de pollution de l’air alors que cette même Union Européenne n’a pas imposé aux industriels les normes qui permettraient de les respecter !

Prenons connaissance des propositions de la CGT Renault pour des véhicules propres populaires, qui insistent sur l’idée de la mixité nécessaire des solutions, l’électrique ne pouvant être la réponse à tout, tout comme l’hydrogène dans le futur, et que l’hybride laisse une place au moteur thermique pour lequel la puissance publique peut imposer des normes d’émission beaucoup plus faibles. Ils affirment que la sortie du moteur thermique est probablement une impasse.

Ecoutons les 700 licenciés de Bosch Rodez victimes des restructurations d’un groupe qui choisit avec violence de sortir du diesel et de France au passage. Ils montrent les énormes progrès des émissions du diesel dont les émissions d’azote ont été divisées par 10 entre la norme Euro 5 et l’euro6d encours, et affirment qu’il peut encore progresser. Les décisions industrielles ne devraient pas être prises par les intérêts privés des grands actionnaires..

Venons en au fonds de la délibération, et d’abord de l’enjeu démocratique.

Notre première hésitation est liée au contexte de la décision, avec la pandémie et les règles sanitaires qui rendent très difficile une vraie concertation publique. Certes, la mise en œuvre en deux phases donne une année pour cette concertation, mais nous voyons tous que le débat est lancé et qu’il est difficile quand la pandémie semble s’accélérer encore une fois. Pourtant ce n’est pas un dossier simple et il y a besoin de débat, avec les contradictions et les différences de point de vue nécessaires.

La démarche ZFE s’appuie sur des études de mortalité estimée dans l’étude de santé publique France à 48000 décès prématurés de 9 mois en moyenne. Mais il s’agit d’une comparaison avec une situation idéale où nous aurions tous en France la qualité de l’air la meilleure, en gros celle qu’on va chercher en vacances à Montgenèvre. Ce n’est évidemment pas réaliste et la même étude de santé publique France estime par exemple à 17 712 décès prématurés de 4 mois si nous respections les normes de l’OMS, et encore beaucoup moins si on prend comme repère la norme de la directive européenne.

Comme nous sommes dans un monde médiatique dirigé par le buzz, des articles évoquent pourtant encore plus de morts. Le journal le monde évoquait récemment 100 000 morts, faisant référence à une présentation scientifique unique, bien loin des démarches de validation que permet par exemple le travail du GIEC. Cette étude ne porte que sur les émissions de poussières et donc est plutôt favorable au diesel qu’à l’essence. C’est la limite de toutes les études qui utilisent uniquement le niveau de PM10 et PM2.5 comme indicateur de pollution permettant d’évaluer le risque relative associé, ce qui ne permet pas de différencier essence et diesel dans ces estimations de mortalité prématurée.

Permettez-nous de montrer l’importance des mots dans le débat public. On peut résumer de manière pédagogique le rapport de santé publique France que je vous invite à lire en détail de la manière suivante :

L’amélioration de la qualité de l’air a contribué à une hausse de l’espérance de vie qui aurait pu être plus importante de 9 mois en moyenne pour 48 000 personnes en France s’il n’y avait aucune pollution anthropique

Je ne peux que rappeler que l’ancien vice-président Thierry Philip, qui était à l’initiative de la ZFE existante, et dont vous savez qu’il est un cancérologue réputé spécialiste notamment de santé environnementale, avait rappelé à plusieurs reprises que nous avons une espérance de vie nettement en progrès et que cette mortalité prématurée estimée venait seulement réduire ces gains d’espérance de vie.

Rappelons aussi que nos enfants respirent un air de bien meilleure qualité à Lyon que ce que nous respirions à leur âge. Il y a une bien mauvaise raison, la désindustrialisation, mais aussi de bonnes raisons, les améliorations de nombreux sites industriels, je pourrai vous parler de l’usine carbone savoie de Vénissieux qui était le site plus polluant aux HAP du sud-est de la France et est devenu un site exemplaire au plan environnemental, mais aussi de nos chaufferies urbaines. Et il y a bien sûr l’amélioration du parc de véhicule, qui émettent en 2020 beaucoup moins de polluants qu’il y a 20 ans !

Voila ce qui rend le débat public nécessaire, et comme toujours quand le débat concerne des habitudes individuelles, un débat public contradictoire, qui n’oppose pas les bons citoyens vertueux aux méchants ignorants ou irresponsables. On ne peut considérer l’utilisation d’un véhicule Critair 2 comme une incivilité ou un délit. Pour accompagner les citoyens à l’évolution de leur mobilité, il faut les associer en tant que citoyens dans le débat public.

Notre deuxième hésitation porte sur l’impact social de la ZFE

Car pour beaucoup de salariés modestes pour qui changer un véhicule est un défi, le fait est que les plus riches n’ont pas de difficultés à acquérir un véhicule qui sera autorisé mais qui est inaccessible à la majorité.

Il suffit de regarder l’évolution du parc par commune. A Albigny, Charbonnières, Collonges, Saint-Didier ou Tassin, entre autres, le nombre de véhicules Critair 2 a déjà commencé a baisser en 2020, au profit des Critair1, donc des SUV hybrides chers. Mais dans la métropole globalement, ce nombre de Critair 2 continuait à augmenter en 2020…

Soyons clair, ce sont bien les milieux populaires qui ont le plus besoin d’améliorations de la qualité de l’air et qui, rejetés du cœur de l’agglomération, ont le plus besoin de déplacements quotidiens pour leur travail ! D’autant qu’ils cumulent le plus souvent tous les facteurs de mortalité, et notamment ceux liés aux conditions de travail. Car si la pollution de l’air fait perdre 9 mois d’espérance de vie en moyenne, les conditions de travail font qu’un ouvrier perd 6 ans d’espérance de vie. L’union européenne évidemment se contrefout de ces inégalités pourtant criantes, et malheureusement les verriers de Givors ont échoués à faire reconnaître juridiquement les conséquences de leur conditions de travail.

Donc, nous soutenons au nom des quartiers populaires les politiques publiques d’amélioration de la qualité de l’air, notamment à proximité des infrastructures de transport ou des sites industriels. Mais comme dans toute action de santé publique comme les vaccins, il y a un bilan coûts-avantages à prendre en compte. Il n’est pas possible de se trouver dans une situation où des dizaines de milliers d’habitants se retrouveraient interdits de véhicules, ou confrontés à des milliers de PV ! Nous savons que c’est une position partagée par la majorité métropolitaine.

Notre ambition est bien d’accompagner les habitants vers une évolution des mobilités, avec la réduction de la part modale de la voiture, donc la réduction du nombre de véhicules et de kilomètres parcourus, mais aussi du niveau de pollution du parc. Sauf que le défi est immense. Une fois pris en compte l’évolution naturelle du parc et son accélération par l’annonce de la ZFE, nous ne voyons pas comment éviter de se retrouver avec des dizaines de milliers de véhicules interdits, le plus souvent de ménages modestes.

Nous avons évoqué la possibilité de dérogations sur critères de revenus, et nous avons bien noté qu’elle est présente dans la délibération, mais tout le monde comprend bien qu’un mécanisme de dérogation ne peut être que l’exception et non la règle. Autrement dit, si un tiers des propriétaires de Crit’Air 2 auront naturellement adapté leur véhicule, et si nous arrivons à accompagner 100 000 autres à changer de mobilité, ce qui serait déjà énorme, il resterait encore plus de 100 000 personnes qui se trouveraient devant l’interdiction ou la sanction, dont plus de la moitié dans la ville de Lyon elle-même, dont on peut douter que son maire accepterait en janvier 2026 d’écrire à 50 000 habitants pour leur interdire le stationnement de leur véhicule.

Nous pensons que dans cette situation, délibérer sur une règle Crit’Air 2 en 2026 est prématuré, et que si on peut affirmer l’objectif, il faut avoir le résultat des études de mise en œuvre pour se prononcer sur l’ambition qui permettra une ZFE juste socialement.

C’est pourquoi nous nous abstiendrons sur cette délibération.

Vos commentaires

Forum sur abonnement

Pour participer à ce forum, vous devez vous enregistrer au préalable. Merci d’indiquer ci-dessous l’identifiant personnel qui vous a été fourni. Si vous n’êtes pas enregistré, vous devez vous inscrire.

ConnexionS’inscriremot de passe oublié ?

Suivre les commentaires : RSS 2.0 | Atom

Revenir en haut