La loi de programmation de la recherche ou la casse du service public de la recherche ! Enregistrer au format PDF

Jeudi 26 novembre 2020

Depuis des années, et dans l’alternance droite-socialistes-centre, les réformes se succèdent dans l’université et la recherche avec une cible toujours plus affirmée… désengagement de l’état, mise en concurrence des universités et des laboratoires en réduisant les financements de base au profit des appels à projet et des initiatives « d’excellence » [1], et la remise en cause du statut des enseignants-chercheurs.

La dernière loi de programmation vient renforcer cette tendance derrière un discours ronflant avec des milliards annoncés [2]

La vérité de ces réformes, c’est toujours qu’elles cherchent à réduire l’intervention de l’état, à précariser les statuts, à mettre en concurrence. La grande majorité des chercheurs, des enseignants du supérieur, de l’ensemble des personnels protestent, dénoncent, se mobilisent un temps, et la vague libérale avance, un coup de gauche, un coup de droite, mais toujours dans le même sens…

Cette fois, Macron fait fort, il remet en cause le principe de l’évaluation par les pairs. Il parait pourtant aussi vieux que la science grecque ! Qui peut juger du travail d’un chercheur en mathématiques ? et bien ses collèges chercheurs en mathématiques ! qui peut juger du travail d’un chercheur en biologie moléculaire ? et bien ses collègues de biologie moléculaire ! qui peut juger du travail d’un chercheur en préhistoire asiatique ! et bien ses collèges de recherche en préhistoire… !

Bref, depuis toujours, sous une forme ou sous une autre, il existe des organisations de chaque discipline qui évalue le travail, décide des recrutements et des progressions de carrière. Ni le ministre, ni le préfet, ni le recteur, ni le président d’université, ni les chefs d’entreprises qui financent un laboratoire n’ont leur mot à dire.. Toutes les décisions reposent sur une « qualification » qui ne peut être donnée que par les « pairs », les plus expérimentés de la discipline…

C’est ce que le gouvernement veut remettre en cause, pour considérer les universités comme des entreprises et laisser les présidents d’université et leur direction des ressources humaines recruter à leur guise. Cela vient compléter ce qu’on appelle les « responsabilités et compétences élargies » des universités qui font que l’état n’est plus responsable des emplois d’enseignants-chercheurs et que chaque université doit décider elle-même de ses postes. Résultat, les postes qui étaient automatiquement renouvelés à un départ en retraite vont être progressivement supprimés dans des budgets contraints… et le gouvernement continuera de parler de création de postes de chercheurs alors que dans les faits, leur nombre diminuera.

Je publie ici une lettre au président de la république signée très largement par tous les responsables de la recherche, y compris beaucoup de ceux qui avaient cru aux promesses du nouveau monde de Macron…

Objet : LPR – Demande de nouvelle délibération

Monsieur le Président de la République,

C’est inquiète pour l’avenir de l’enseignement supérieur et de la recherche français que la communauté scientifique s’adresse à vous aujourd’hui. Nous le faisons en dernier ressort, privés de l’écoute de notre Ministre de tutelle, qui s’obstine à ignorer le mouvement de contestation général secouant le monde académique depuis plus d’un an, et du Premier ministre, qui n’a répondu à aucune sollicitation récente de nos représentants institutionnels et syndicaux.

Le contenu comme les conditions de préparation et d’adoption du projet de loi de programmation de la recherche sont indignes de la réforme dont ont cruellement besoin l’enseignement et la recherche publics français. Les mesures adoptées portent gravement atteinte aux principes républicains sur lesquels s’est construite l’Université française et dégradent profondément les conditions de production, de diffusion et d’enseignement du savoir scientifique. Depuis des mois, nous dénonçons le projet de contractualisation accrue des recrutements via la création des « CDI de mission scientifique » et des « chaires de professeurs juniors », qui renforcera la situation de précarité dans laquelle se trouvent les jeunes chercheurs depuis de nombreuses années, et de développement des financements par appels à projets, qui fragilisera les conditions matérielles de la recherche scientifique. Nous avons également manifesté la plus grande incrédulité quant à la programmation budgétaire, à la fois insuffisante pour mettre un terme au sous-financement chronique de l’enseignement supérieur et de la recherche français, et insincère, puisque dépendante des priorités politiques des prochains gouvernements. En sus de ces motifs d’opposition, le Sénat, par deux amendements de dernière minute conservés par la Commission mixte paritaire (CMP), a porté une attaque frontale contre le statut national des enseignants-chercheurs et les franchises universitaires. Malgré la promesse de la Ministre de maintenir ce sujet en dehors de la réforme, le premier a supprimé, avec l’accord du gouvernement, l’exigence d’une qualification par le Conseil national des universités (CNU) des maîtres de conférences pour accéder au corps des professeurs des universités et permis, à titre expérimental, de recruter localement des maîtres de conférences non qualifiés par le CNU. Le statut national des enseignants-chercheurs, dont le CNU est aujourd’hui le garant, constitue pourtant un gage de leur indépendance, de la qualité de l’enseignement universitaire et de la recherche, de l’unité du service public de l’enseignement supérieur et de la recherche et un garde-fou contre le localisme et ses dérives. Le second amendement, aggravé par la CMP, crée un délit d’entrave sanctionnant le fait de pénétrer dans l’université pour « troubler la tranquillité ou le bon ordre de l’établissement », qui fait peser une menace sur l’exercice des libertés fondamentales d’expression et de manifestation dans le cadre universitaire. Ces deux dispositions, sans rapport avec une loi de programmation budgétaire, sont non seulement graves sur le fond, mais ont été adoptées sans concertation ni débat parlementaire véritable par les quelques sénateurs présents à une heure avancée de la nuit. L’Assemblée nationale elle-même s’est vu retirer toute possibilité de discuter de ces mesures et de proposer des amendements, le gouvernement n’ayant pas donné son accord. Ce procédé, qui a choqué l’ensemble de la communauté scientifique française et suscité une condamnation ferme et un appel à la grève de ses instances représentatives, est de nature à rompre la confiance placée dans la représentation nationale, d’autant qu’il conclut une séquence marquée par un profond mépris de l’avis exprimé par le monde de la recherche. En effet, l’expression de notre opposition au projet, qui n’a cessé de croître depuis la publication des rapports préparatoires des groupes de travail en septembre 2019, a été systématiquement ignorée par notre Ministre. Elle n’a pourtant été interrompue que par le confinement durant lequel nous avons dû redoubler d’efforts pour maintenir la continuité du service public de l’enseignement supérieur et de la recherche. Au moment du déconfinement, alors que nous attendions en vain le projet de loi depuis des mois et que les universités étaient encore fermées, le gouvernement a fait le choix de présenter le texte aux partenaires sociaux et à la représentation nationale dans la précipitation, et décidé d’engager une procédure accélérée au Parlement, faisant obstacle à un débat et à une concertation à la hauteur de l’enjeu pourtant réclamés par l’ensemble de nos instances représentatives.

C’est dans ces conditions que le projet de loi a été définitivement adopté par l’Assemblée nationale, le 17 novembre, et par le Sénat, le 20 novembre. En décalage avec une Ministre se permettant d’adresser aux parlementaires « les remerciements anticipés des personnels titulaires et contractuels qui font vivre la recherche en France », la communauté scientifique française a plongé dans un profond désarroi. L’indépendance des enseignants-chercheurs garantie par un statut national, la pérennité de l’emploi scientifique et du financement de la recherche publique, la garantie de l’exercice des libertés fondamentales au sein des universités françaises constituent non seulement les conditions d’un enseignement supérieur et d’une recherche de qualité, mais aussi les gages de la vitalité démocratique de notre pays que nous sommes déterminés à défendre.

C’est pourquoi nous vous appelons solennellement à demander au Parlement, sur le fondement de l’article 10, alinéa 2 de la Constitution, de procéder à une nouvelle délibération de la loi afin que puissent se tenir un débat véritablement démocratique et un dialogue permettant d’aboutir à l’adoption d’un plan massif de recrutements de personnels titulaires, à l’augmentation substantielle de moyens de financement pérennes de la recherche, au rétablissement du CNU dans ses fonctions et à l’amélioration de son fonctionnement. Ce sont de ces mesures dont a réellement besoin le service public de l’enseignement supérieur et de la recherche.

Nous vous prions d’agréer, Monsieur le Président de la République, l’expression de notre respectueuse considération.

[1comme chacun sait, il ne peut y avoir qu’un petit nombre d’excellents et donc les autres n’ont droit qu’à se débrouiller…

[2tout le monde en a l’habitude, et les « plans » gouvernementaux pour l’industrie, l’emploi, la recherche, la santé… se succèdent depuis des décennies avec des résultats qui sont toujours exactement à l’opposé des annonces…

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