Mortalité anticipée due à la pollution Enregistrer au format PDF

Faire appel à l’intelligence plutôt qu’aux peurs collectives…
Vendredi 1er septembre 2017 — Dernier ajout samedi 30 janvier 2021

Dans la suite de l’article sur la qualité de l’air, où j’essayais d’éclairer les vrais enjeux de la poursuite des efforts pour la réduction des polluants de l’air, j’avais annoncé un article sur l’impact sanitaire de la qualité de l’air. Le voila, écrit à partir d’une lecture attentive de l’étude officielle la plus détaillée existante sur ce sujet

SANTÉ PUBLIQUE France - Impacts de l’exposition chronique aux particules fines sur la mortalité en France continentale et analyse des gains en santé de plusieurs scénarios de réduction de la pollution atmosphériques

(maj 30/01/2021 : on trouve un résumé titré « ANALYSE DES GAINS EN SANTÉ DE PLUSIEURS SCÉNARIOS D’AMÉLIORATION DE LA QUALITÉ DE L’AIR EN FRANCE CONTINENTALE »

Comment évaluer l’impact sanitaire de la pollution de l’air ?

Toutes les études d’impact sanitaires de la qualité de l’air reposent sur deux éléments statistiques. D’abord une évaluation de la relation entre pollution et mortalité qui se traduit par le calcul d’un « risque relatif », qui relie tel niveau d’exposition à tel impact sanitaire, puis ensuite une estimation du niveau d’exposition selon le lieu d’habitation, qui permet alors d’appliquer le « risque relatif » au niveau d’exposition de là ou vous vivez pour en déduire… le risque sanitaire qui vous concerne. En effet, ces risques sanitaires sont complexes et multi-facteurs, il est très difficile de trouver un lien de causalité systématique entre tel polluant et telle maladie, et il faut donc raisonner en termes statistiques…

Le risque relatif, autrement dit le lien entre pollution et maladies…

Pour la relation entre pollution et santé, on suit un grand nombre de personnes pendant de nombreuses années et on regarde la fréquence de certaines maladies en fonction du cadre de vie, et notamment du niveau d’exposition à des pollutions. On en déduit un « risque relatif » qui nous dit qu’avec tel niveau de pollution, on a statistiquement ou pas un risque supplémentaire de maladie… Autrement dit, si on a par exemple 100 décès de personnes dans les zones les moins polluées, et 105 décès dans les zones les plus polluées, on a une augmentation, un « risque relatif », de 5% due à cette pollution… C’est l’enquête « épidémiologique ». A noter que le risque relatif est donc toujours construit sur… le passé. Autrement dit, c’est la situation de pollution des années 2000-2010 qui est utilisée pour prédire les risques sanitaires des années 2020… élément important à prendre en compte dans un contexte de réduction continue des pollutions.

Puis, à partir du niveau de pollution estimé dans telle ou telle commune, on en déduit le risque de décès statistiquement lié à ce niveau de pollution.

Tout cela n’est pas simple car les malades et les décès dus à la pollution ne sont pas directement identifiables. D’abord parce-que l’exposition à une pollution est très variable, on peut travailler dans une zone polluée et habiter dans une zone sans pollution.. ou l’inverse… On peut être très mobile ou au contraire très casanier… Mais aussi parce-que l’impact d’un polluant sur la santé n’est pas aussi mécanique qu’un accident d’automobile… Selon sa forme physique, selon ses pratiques de vie, on va être plus ou moins sensible à tel ou tel polluant. Et beaucoup de problèmes sanitaires sont « multi-factoriels »… Un seul polluant n’a pas d’effet, mais plusieurs polluants ensemble ont un effet majeur…

On parle donc « d’évaluation quantitative de l’’impact sanitaire (EQIS) ». De telles études ont été réalisés pour de nombreuses grandes villes françaises depuis 10 ans, et elles reposent toutes sur l’évaluation des niveaux de pollution atmosphérique fournies par des organismes bien connus (Air Auvergne-Rhone-Alpes pour Lyon…), et appliquent ensuite un « risque relatif », issu lui de quelques études de référence, pour en déduire l’impact sanitaire en fonction de la population.

Les risques relatifs utilisés sont issus d’un nombre très limité d’études, principalement nord-américaine, et d’une étude française Gazel-air. Ces études suivent des cohortes de personnes pendant de nombreuses années pour des études épidémiologiques sur de nombreuses questions de santé. L’étude Gazel-Air repose sur une cohorte de 20 000 salariés et retraités d’EDF mise en place en 1989 par l’INSERM pour une étude globale des liens entre santé et travail [1].

Le risque relatif… de mourir plus tôt que ce qu’on aurait pu espérer…

La difficulté pour communiquer les résultats tient à la nature du constat. Reprenons l’exemple de 100 morts sans polluants qui deviennent 105 morts avec polluants. Les 5 morts de plus seraient de toute façon mort un jour, même sans pollution. Donc, on cherche à estimer « le temps perdu ». Pour cela, on estime cet impact sanitaire par tranche d’age, en comptant les décès de 40 à 45 ans, de 45 à 50 ans, de 50 à 55 ans, etc… On parle alors de décès « prématurés » et il faut toujours préciser… de combien est-il prématuré ? Car un décès prématuré de 3 mois ne dit pas du tout la même chose qu’un décès prématuré de 3 ans !

C’est évidemment la grande différence entre les morts de la route et les morts prématurés de la pollution. Quand un accident de la route tue un jeune de 20 ans, il lui fait « perdre » sans doute plus de 60 ans de vie. Une pollution, comme la canicule d’ailleurs, va souvent fragiliser des personnes déjà malades, notamment des personnes âgées…

Il est franchement dommage que le dernier rapport de Santé Publique France lui-même compare 48 000 décès anticipés de la pollution de l’air aux décès de la route et du tabac sans pondérer cette comparaison par le délai du décès prématuré « A titre de comparaison, en 2008, les accidents de la route ont fait 4 403 victimes [43]. Le tabac est quant à lui responsable de 78 000 décès par an [44]. » Toute personne qui lie cette phrase se dit que la pollution de l’air est 10 fois plus grave que les accidents de la route et presque aussi grave que le tabac. Or, ce n’est pas du tout le cas si on parle en "espérance de vie", c’est à dire en nombre de mois de vie perdus par une personne à cause de la pollution. C’est ce que fait d’ailleurs le même rapport en comparant différents scénarios ;

  • un scénario « sans aucune pollution anthropique », autrement dit un scénario où les niveaux de PM2.5 seraient ceux observés dans les communes rurales les moins polluées. Plus de 48 000 décès seraient évitables chaque année, avec une perte de 9 mois d’espérance de vie pour une personne âgée de 30 ans…
  • un scénario plus réaliste, si l’ensemble des communes réussissait à atteindre les niveaux de PM2.5 observés dans les zones les moins polluées de la même classe d’urbanisation. Ce sont alors plus de 34 000 décès qui pourraient être évités chaque année. Le gain moyen en espérance de vie à 30 ans dépasserait 6 mois dans 39 des 54 unités urbaines de plus de 100 000 habitants, et un an dans 17 de ces unités urbaines…
  • un scénario suivant les valeurs recommandéee par l’OMS (10 μg/m3) dans toutes les communes de France continentale, plus de 17 000 décès pourraient être évités chaque année…
  • un scénario "Grenelle" en supposant qu’on respecte l’objectif d’mission de PM2.5 du Grenelle de 15 μg/m3. Il y aurait alors plus de 3 000 décès évités chaque année sur l’ensemble de la France…
  • enfin le scénario de la réglementation 2020 actuelle, 20 μg/m3 pour les PM2.5 dont les bénéfices sanitaires sont très faibles, et ne concerneraient que très peu de communes.

Bien sûr, les messages simples comme « la pollution de l’air représente 48 000 morts par an » ont beaucoup de succès médiatiques, mais le détail des scénarios de ce rapport montre, après un effort de lecture, que ce message simple est… un mensonge, qui sort un chiffre impressionnant de son contexte pour en faire un instrument de peurs médiatiques qui éloignent le citoyen de la réalité. Rappelons que l’espérance de vie en France baissé en 2015, non pas à cause de la pollution, mais d’une plus faible vaccination des personnes âgées contre la grippe, de la canicule de Juillet et d’un épisode de froid… Autrement dit, l’accompagnement des personnes âgées contre la précarité énergétique, pour une médecine prévention, contre l’isolement, aurait eu un effet plus important sur la surmortalité des personnes âgées que la baisse de la pollution, cette année-là…

En fait, tout le monde oublie l’enjeu principal de l’espérance de vie qui concerne d’abord la situation sociale et le sexe… On peut penser que les femmes cadres vivent dans des zones urbaines, alors que beaucoup d’hommes ouvriers vivent dans des régions ouvrières périurbaines, visiblement, la pollution des villes ne semblent pas pénaliser les cadres qui y vivent !

Ceux qui pensent qu’il vaut mieux « faire peur » pour changer les comportements que faire appel à l’intelligence se trompent et favorisent au contraire les réactions de rejet, dans un contexte de fracture sociale ou personne ne fait plus confiance à personne.

Comment estimer notre niveau d’exposition à la pollution ?

Cela peut paraître plus simple que l’estimation du risque relatif. On part de son adresse, en considérant que pour l’essentiel, on concerné par la pollution de l’air chez nous, sans tenir compte des modes de vies et notamment de nos déplacements… ni du lieu de travail, pourtant significatif en terme de temps total.

L’exposition utilisée est de fait une moyenne du niveau d’exposition au niveau de la commune, alors que cette exposition peut être très variable. Des études tentent de descendre à l’échelle de la rue à partir de modèles de circulation de l’air, mais les résultats sont difficiles à prendre en compte et on constate des phénomènes très locaux… Ainsi, les polluants peuvent se concentrer sur un coté de rue, et donc les habitants à leur fenêtre du coté pollué serait soumis à des niveaux d’exposition beaucoup plus élevé que leurs voisins d’en face…

Le niveau d’exposition n’est alors pas si simple d’autant qu’il existe aussi des sources de pollution de l’air respiré dans les activités humaines.. poussières quand on fait le ménage, qu’on travaille le bois, composés volatils quand on fait de la peinture… J’ai pu constater dans les mesures de taux d’exposition aux ondes électro-magnétiques réalisées chez des habitants par la ville de Vénissieux que souvent, c’était non pas l’antenne relais d’un immeuble voisin, qui générait des ondes, mais les propres équipements de la personne, vielle télé cathodique, aspirateur, four à micro-ondes, télécommande radio…

Conclusion, poursuivre les efforts et les recherches !

Au total, ces études statistiques sont très utiles, à condition de permettre aux citoyens de les comprendre, d’en mesurer la pertinence et la limite. Il faut donc éviter les messages impressionnants, et il faut au contraire renforcer tous les organismes de suivi épidémiologique, de médecine préventive, de médecine du travail, et tous les organismes de suivi et d’alerte sur la qualité de l’air.

Les sujets de recherche ne manquent pas…

  • réaliser des études post-mortem sur la part de la pollution dans les décès constatés
  • multiplier les cohortes de suivi épidémiologique pour mieux tenir compte des diversités de conditions de vie et de travail
  • poursuivre les études pour mieux comprendre le niveau d’exposition aux pollutions et sa variabilité. Pourquoi ne pas réaliser des expériences de mesures réelles sur des personnes volontaires, comme on le fait pour la radioactivité ou chaque personne porte un appareil cumulant les expositions
  • réaliser des études d’impact ciblées sur des événements atmosphériques précis (pics de pollution en ville, pollution occasionnelle d’une installation industrielle ou agricole, pollution globale atmosphérique (foehn…), en tentant d’étudier les liens entre pollutions et impact sanitaires. Par exemple, suivre des cohortes de personnes sensibles à l’asthme pour évaluer l’impact de ces évènements.

[1il serait très utile de croiser avec d’autres cohortes car on sait que l’espérance de vie est aussi très dépendante des conditions de travail…

Voir en ligne : l’étude sur le site de santé publique France

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