Oui à un grand débat sur le nucléaire ! Enregistrer au format PDF

Intervention préparée en réponse à une question orale du groupe écologiste
Lundi 16 avril 2012 — Dernier ajout mardi 17 avril 2012

Si nous ne pouvons que souscrire aux conclusions de la question orale du groupe des verts, et si même nous ne pouvons que l’inscrire dans la perspective d’un grand débat sur le nucléaire qui créerait les conditions d’une consultation de l’ensemble des Français, nous ne pouvons que nous inscrire en faux sur les affirmations initiales de cette déclaration. [1]

Ainsi, si l’on en croit les verts, Fukushima, après Tchernobyl et Three Miles Island confirmerait que l’accident nucléaire ne dépend ni du type de centrale ni de l’organisation politique du pays. Or, les premières leçons du drame de Fukushima démontrent au contraire le lien profond entre les choix techniques, l’organisation politique du nucléaire japonais et l’impréparation, voire l’attentisme qui a caractérisé l’opérateur TEPCO dans cet accident majeur. L’interview sur le blog de Sylvestre Huet de Jacques Repussard, directeur général de l’IRSN [2] est instructive. Le fait est que trois centrales nucléaires proches ont été victimes du tremblement de terre et du tsunami, et que seuls les plus anciens réacteurs de la centrale de Fukushima [3] ont été atteints, les autres installations étant restées sous contrôle malgré l’ampleur de ces évènements exceptionnels.

Oui, il y avait bien un choix technique, guidé par des considérations économiques, qui a fortement impacté l’accident. Les déficiences de sécurité de ce type de centrale Général Electric étaient si bien connues qu’elles avaient ailleurs failli être interdites aux USA. Quelques années avant l’accident, TEPCO avait refusé les équipements proposés par AREVA pour neutraliser l’hydrogène en cas de surchauffe d’un réacteur [4]. Et c’est bien le dégagement de l’hydrogène qui est à l’origine des explosions et donc des radioéléments dans l’atmosphère et l’océan… Non, les choix techniques ne sont pas neutres !

Mais le plus criant est bien l’impact de la gestion privée de ce groupe aux 40 milliards de chiffre d’affaires :

  • En 2002, un scandale avait révélé que TEPCO avait falsifié une trentaine de rapports d’inspection sur des fissures ou corrosions d’enveloppes de réacteurs, dont ceux de la centrale de Fukushima. La direction avait du démissionner.
  • En 2007, on apprenait que TEPCO avait en fait dissimulé 199 incidents entre 1984 et 2002.
  • La même année, après une étude évaluant les risques de Tsunami à 10% sur 50 ans, étude que TEPCO décide de négliger, un sismologue japonais réputé démissione pour protester [5]. Un an plus tard, un expert de l’AEIA alerte du caractère obsolète des critères de sûreté dans une telle situation….
  • Quelques jours avant l’accident, en février 2011, TEPCO reconnaît avoir falsifié plusieurs rapport pour masquer qu’elle n’avait pas contrôlé 33 éléments des 6 réacteurs de Fukushima
  • On apprend après l’accident de 2011 que les plans de gestion d’urgence de TEPCO ne traitent que des incidents mineurs, et après l’information de l’irradiation de sous-traitants, que TEPCO n’a plus de dosimètres !
  • Et le pire, la CGT apprendra des syndicats que TEPCO, en pleine crise a retardé de 24 heures la décision de noyer les cœurs. L’enjeu économique d’un redémarrage éventuel a conduit reporter la décision qui pouvait refroidir à temps les cœurs.

Arrêtons là. C’est bien une longue suite de décision économiques qui sont au cœur du drame de Fukushima, malgré l’incroyable violence du tsunami. Oui, le nucléaire et le capitalisme sont incompatibles, et la réussite Française du nucléaire repose sur ce compromis historique issu de la résistance, symbolisé par la création du CEA et d’EDF, qui sont aujourd’hui mis à mal et vendus aux enchères. [6]

J’entends mes collègues verts me dirent "il faut vraiment être un stalinien productiviste pour défendre le nucléaire". Faux, c’est ce que dit aujourd’hui compte tenu de l’urgence climatique, Patrick Moore, co-fondateur de Greenpeace. Acceptons donc un débat citoyen contradictoire et de qualité !

On peut dire "mais de toute façon, il reste un risque". Il n’existe aucune activité humaine sans risques, et par exemple ceux des barrages hydrauliques peuvent être de grande ampleur. On parle en cas d’effondrement du barrage de Vouglans d’une vague de plusieurs mètres au niveau de la place Bellecour. Pour le nucléaire comme pour toute autre industrie, il faut dire la vérité sur les risques, la gravité des accidents, les systèmes et procédures de gestion de protection, d’alerte…

Et qui rappelle que la totalité des matières radioactives dissipées dans l’atmosphère par les accidents nucléaires civils ne représentent qu’une faible part des rejets des essais nucléaires militaires atmosphériques ? Si on parle parfois des conséquences sanitaires des essais nucléaires militaires sur les personnels et les habitants les plus proches des sites, personne ne parle des conséquences des "nuages" radioactifs de ces essais…

Enfin, qui peut garantir que le risque du nucléaire est plus élevé que celui du dépassement des 4°C de réchauffement climatique que les rapports du GIEC appelait à éviter ? Or la décision allemande de sortie du nucléaire a comme conséquence le renoncement aux objectif de Kyoto de réduction des émissions de gaz à effet de serre. De fait, l’Allemagne relance ses centrales au charbon…

La question centrale n’est jamais celle de la technique, mais toujours celle de la démocratie, de la transparence des choix technologiques, qui ne sont justement jamais neutres, mais qui évoluent avec les avancées scientifiques et techniques. Et la démocratie ne peut être soumise aux intérêts privés, qu’ils soient d’actionnaires ou de bureaucraties refermées sur elles-mêmes, ni aux lobbys de toute sorte, y compris ceux de ce capitalisme vert qui vient de remporter le marché scandaleux de l’éolien off-shore qui coutera aux Français des milliards sur nos factures EDF pour un coût d’investissement le double d’un EPR et un coût de MWh 4 fois plus élevé que celui du nucléaire constaté par la cour des comptes.

Comme nous l’évoquions en introduction, nous soutenons donc les demandes concluant cette question orale qui s’inscrivent dans l’exigence de citoyenneté. Et nous nous prononçons plus globalement pour de vrais outils de connaissance, de transparence pour permettre une réelle appropriation sociale, publique, démocratique de toutes les énergies, dont le nucléaire.

Et c’est tout autre chose que de travailler sur les peurs. J’ai commencé ma vie politique dans une rencontre d’un club de jeunes avec un ami qui préparait la manifestation de Malville. Je ne suis pas arrivé à lui faire comprendre que la préparer en passant le film "la bombe" n’était pas une bonne idée. J’ai le sentiment que les débats sur le nucléaire en sont restés le plus souvent au même niveau.

[1on ne vois pas bien pourquoi poser cette question a cette séance, sauf à imaginer qu’elle ne soit motivée que par les échéances électorales. Il est vrai que pour certains candidats, de Sarkozy à Joly, il faut mobiliser les troupes…

[2Institut de Radioprotection et de sûreté nucléaire

[3les autres étant plus élevés de quelques mètres ont été moins impactés par le tsunami

[4faiblesse connue de ces centrales justement depuis l’accident de Three Miles Island

[5« A moins que des mesures radicales ne soient prises pour réduire la vulnérabilité des centrales aux tremblements de terre, le Japon pourrait vivre une vraie catastrophe nucléaire dans un futur proche. » Cet avertissement est tiré d’un article paru le 11 août 2007 dans le quotidien International Herald Tribune/Asahi Shimbun . Son auteur est le sismologue Ishibashi Katsuhiko, professeur à l’université de Kobe

[6même si le secret imposé par le nucléaire militaire avait déjà rendu difficile la transparence totale, et si la stratégie du tout nucléaire dans les années 70 a freiné le développement d’autres énergies comme le solaire, malgré le succès à l’époque de la centrale THEMIS

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