Coup de colère après le Tribunal administratif

Si, madame la présidente, le juge administratif peut entendre le politique ! Enregistrer au format PDF

Mercredi 21 mai 2014

Le discours de la présidente du tribunal administratif jugeant l’arrêté du préfet annulant celui du maire sur les expulsions, coupures d’énergies et saisies a été d’une très grande fermeté, vécue comme une brutalité face aux sentiments d’injustices devant l’urgence sociale qui animaient le public, et montrant surtout a quel point les élus sont de plus en plus déconsidérés dans nos institutions, un juge menaçant de censurer le maire de la 3e ville du département.

Exigeant le silence absolu, et menaçant de faire évacuer la salle suite à de simples chuchotements, elle a repris son argument de 2013 : aucun discours politique n’est autorisé selon elle devant ce tribunal.

Elle a même utilisé une argutie grammaticale pour refuser que le maire et l’avocat s’expriment chacun, ce qui fait que le public n’a pu entendre l’argumentaire juridique de l’avocat.

Certes, la justice administrative est certes d’abord une justice écrite. Mais la direction de l’information légale et administrative de l’état nous dit :

Néanmoins, ces dernières années, la procédure orale tend à se développer devant le juge administratif, notamment sous l’effet de la croissance des procédures de référé. Dans certaines procédures, dans le cadre desquelles le juge administratif se prononce en urgence (par exemple, contentieux de la reconduite à la frontière d’étrangers en situation irrégulière), il est loisible aux parties de développer, lors de l’audience, des moyens nouveaux, qui n’avaient pas été invoqués à l’écrit.

Mais la question de fonds est bien celle du rapport entre le juge et le politique. Dire en général que la justice n’a pas de contenu politique serait un non sens. C’est évident pour la justice en général, et on ne peut que citer par exemple le célèbre « procès de rupture » inventé par Jacques Vergès et qu’il décrivait ainsi dans une interview à Oran en 2006 Le procès de rupture est un procès où le dialogue n’est pas possible. Un procès où l’accusation et l’accusé se réclament de valeurs différentes. Exemple pour les besoins de la clarté : pendant la Guerre d’Algérie, le Président du tribunal disait : « Vous êtes des Français ». L’accusé répondait : « Je suis Algérien ». Le président répliquait : « Vous êtes membres d’une association de malfaiteurs ». Auquel l’accusé rétorquait : « Je suis membre d’une organisation de résistance ». De toute évidence, aucun dialogue n’était possible. Les magistrats étaient aveugles et sourds à nos arguments. Dans des conditions pareilles, si on reste tranquille devant le tribunal, si on essaie de convaincre les militaires dont la moitié sont des tortionnaires, il est bien évident que nous sommes perdants. Si, en revanche, on s’adresse à l’opinion, à l’extérieur, il est évident qu’à ce moment-là, le rapport de force au sein de l’opinion française et internationale peut être différent. C’est précisément la ligne que nous avons suivie, celle du procès de rupture. A l’audience, on ne s’adresse pas au tribunal. On se sert du tribunal comme porte-voix pour toucher l’opinion. Laquelle va agir, ce que le tribunal ne ferait pas. Chaque procès devient pour la défense une dénonciation. On n’est pas sur le terrain de l’accusation. C’est nous qui accusons.

Mais la présidente nous répondrait que cela ne concerne pas la justice administrative. Rappelons-nous cependant l’origine du droit administratif dans la révolution Française comme le souligne l’introduction au cours de droit administratif du Pr Gilles J. Guglielmi

La spécificité du droit administratif français, par rapport à la plupart des systèmes juridiques en vigueur dans le monde, est de devoir ses caractéristiques et ses principes fondateurs à l’esprit révolutionnaire, et d’avoir trouvé ses premiers développements dans la volonté d’organisation et de toute-puissance de l’État du Premier Empire. Nées dans ces circonstances historiques particulières au début du XIXe siècle, les structures et les principes du droit administratif ont été progressivement modifiés, parallèlement à l’évolution des régimes politiques français vers la République, par une institution possédant la particularité d’être à la fois le conseiller du Gouvernement et le juge administratif suprême  : le Conseil d’État.

Ainsi le plus haut juge administratif est conseiller du gouvernement et ne ferait pas de politique, il n’accepterait pas d’entendre des points de vues politique pour forger son opinion et la « conseiller » aux politiques ?

Deux citations d’experts du droit administratif montrent que cette question ne se pose pas qu’à ce haut niveau du conseil d’état.

Dans son livre au titre révélateur, « Le rôle politique du juge administratif français » Daniele LoscHAK, écrit :

Influence politique ? Certes. Si le mot peut paraître hérétique, la chose n’est pas contestable. Censeur des autorités nationales ou locales qui contribuent à déterminer l’organisation sociale et le rôle de l’Etat, le juge administratif dispose de par sa mission même d’une possibilité, voire de l’obligation d’intervenir dans le domaine de l’activité politique. En décidant, au nom de principes généraux dont il définit pour une grande part le contenu et la place dans la hiérarchie des normes, si le Gouvernement peut exclure les communistes du concours d’entrée à l’E.N.A., ou si les régies municipales sont ou non licites compte tenu des conceptions qui doivent fonder l’ordre économique, le juge ne « fait » pas de politique ni ne se pose en organe politique ; mais ses décisions pèseront certainement sur le devenir du pays. L’analyse de son potentiel d’influence, objet principal de cet ouvrage, jette une lumière nouvelle sur les fondements du droit administratif en même temps qu’elle apporte, comme le souligne dans sa préface le professeur Weil, une précieuse contribution à l’étude des forces qui animent et façonnent la société française. (…)

l’un des mérites de l’ouvrage est de démontrer comment la souplesse avec laquelle le juge applique les règles qu’il a lui-même posées lui permet de tenir compte non seulement de données strictement juridiques, mais aussi de considérations — au sens large

Donc, si nous avons tous été interloqués par la brutalité du refus de la présidente d’entendre tout commentaire « politique » sur une décision de droit administratif, on ne peut que constater que c’est bien une position « politique » qu’elle a exprimée en refusant ce droit de commentaire politique.

Et si l’arrêté du maire a bien entendu une vocation politique de dénonciation, de mobilisation pour mettre au premier plan une situation d’urgence, comme le dénonçait l’ABbé Pierre que cite Michèle Picard, il a aussi un grand intérêt jurdique, car il offre chaque année à la justice l’opportunité d’enrichir le droit !

C’est un livre vulgarisation « Le juge administratif et les principes généraux du droit (2010) » qui montre que tout n’est pas déja écrit dans le droit administatif et que le juge a un rôle de création jurdiique face à des questions de société dont l’urgence le conduise à chercher dans des principes généraux de droit comment répondre à une question qui en définitive est bien entièrement politique.

Le juge consacre ce principe qui n’existe pas encore dans le droit écrit et qui n’apparaîtra que trois ans plus tard avec la loi du 9 avril 1898 sur les accidents du travail. soit parce qu’il est insuffisant C’est par l’intermédiaire des PGD que le CE a pu appliquer aux agents publics des règles du droit du travail qu’aucun texte n’étendait expressément à eux : - interdiction de licencier une femme enceinte (CE juin 1973, Mme Peynet) - obligation d’assurer à tout salarié une rémunération au moins égale au SMIC (CE avril 1982, Ville de Toulouse) Les PGD consacrés par le juge administratif traduisent la philosophie politique de l’Etat républicain français ainsi que sa conception du droit :

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