Ukraine : il faut parler aux peuples russes et ukrainiens Enregistrer au format PDF

Vendredi 18 mars 2022

La guerre est d’abord militaire, et ses horreurs sont d’abord humaines, victimes ou réfugiés. Mais elle est aussi médiatique, et les interventions des présidents Ukrainien ou Russe, comme les images de crimes de guerre de chaque coté sont à prendre avec précaution.

D’autant que nous savons bien que de son coté, l’occident a souvent menti dans le passé, du faux charnier de Timisoara aux armes de destruction massives inexistantes qui justifiaient la guerre en Irak. Difficile de ne pas voir aujourd’hui que nos médias sont complètement « va-t’en guerre », qu’une part de ce qu’ils nous disent est de la propagande militaire.

Sur France Inter ce 15 mars, un intervenant nous dit ainsi que l’Ukraine est comme la Syrie, que les russes sont des barbares, et qu’on les laisse faire à Kiev, comme à Alep. Aucun commentaire de journaliste et pourtant, la comparaison est terrible. Car les russes en Syrie se sont battus avec nous contre les djihadistes de l’état islamique. Certes, ils soutenaient le régime Syrien, mais les bombardements russes sur Alep n’ont pas été plus cruels que ceux des américains sur Mossoul. L’intervenant ne se rend même pas compte que cela pourrait conduire à justifier l’objectif russe de dénazification comme équivalent à la guerre contre le terrorisme en Syrie.

Et les médias multiplient les témoignages d’ukrainiens, y compris russophones, contre la guerre, mais jamais un seul qui montre la diversité de l’Ukraine qui a conduit à la guerre du Dombass, et les liens familiaux et culturels entre l’Ukraine et la Russie qui sont mis en cause par l’extrême-droite militarisée… Personne ne peut oublier la violence qui a conduit à Odessa à l’incendie criminel de la maison des syndicats en 2014. Ne faut-il pas au contraire comprendre ce qui a conduit à cette situation ?

C’est pourquoi je crois indispensable de chercher et écouter les personnes russes ou ukrainiennes qui n’appellent pas à la guerre.

Ce ne sont pas les témoignages qui manquent. Ainsi d’un franco-russo-ukrainien : Mon épouse est Russe, née en Ukraine dans une petite ville, non loin de Zaporojie. Son père était lui de l’ouest de l’Ukraine, tout proche de la frontière roumaine, et parlait l’ukrainien (et le roumain). Sa mère était d’Ukraine centrale, russophone. Peu après la naissance de mon épouse, la famille a déménagé sur le bord de la mer d’Azov, et c’est là qu’elle a grandi. À l’école, elle a appris le russe et l’ukrainien, et elle s’exprime parfaitement dans les deux langues. Mais à la maison, on parlait souvent le sourjik, un dialecte fait d’un curieux mélange des deux langues. Et encore aujourd’hui, en famille, avec nos enfants, c’est ce dialecte qui lui vient naturellement. Quand l’Union soviétique a disparu, mon épouse était en Russie. Elle a donc reçu un passeport russe. Son frère, qui était au même moment en Ukraine, a reçu un passeport ukrainien. Les cousins, les amis, se répartissent ainsi entre ces deux pays. Ainsi, je puis attester que les Ukrainiens et les Russes sont un même peuple. Faut-il aussi préciser que nos enfants sont franco-russes ? Aussi m’est-il impossible d’être « pro-Russie » ou « pro-Ukraine »​

Et que dire à Sacha, gérant d’hôtel à Lyon, ukrainien russophone, terriblement inquiet pour sa mère qui habite dans la banlieue de Kiev. Il ne veut pas de la guerre mais veut défendre les ukrainiens russophones contre un régime qu’il vit comme une oppression, contre un véritable racisme de ceux qui parlent d’une Ukraine « purifiée ».

Que dire au rabbin d’Odessa qui révèle que la fuite des juifs est d’abord due à la présence de néonazis dans une ville pourtant historiquement cosmopolite et qui a connu le drame de l’incendie de la maison des syndicats en 2014 ? Que lui dire quand on apprend que le nouveau gouverneur d’Odessa est un ancien responsable du bataillon Aidar de sinistre mémoire ?

Avez-vous entendu sur une radio publique un juif d’Odessa, Elia, « tout le monde cherche une réponse simple. Mais il n’y en a pas. Ceux qui sont vus comme des héros nationaux ici en Ukraine, ne le sont pas forcément pour tous. Ils peuvent être des salauds. »

Il y a évidemment des russophones ukrainiens antirusses, et des témoignages fiables sur les horreurs de la guerre. Mais les médias occidentaux donnent le sentiment non pas de nous aider à comprendre cette guerre et ce qui pourrait la faire cesser, mais au contraire d’exciter une véritable haine antirusse en faveur de l’intervention directe de l’OTAN.

Résultat ? des restaurateurs russes ont reçu des lettres de menaces (anonymes bien sûr) les enjoignant de quitter le pays, un professeur de littérature russe italien est contraint d’annuler un cours sur Dostoïevski, une scène musicale parisienne annule les concerts d’un orchestre russe ! Un délire alors qu’aucun artiste des USA n’a jamais été interdit en France pendant les innombrables guerres conduites par les USA depuis 1945 ! On pouvait manifester avec une pancarte « US Go Home » avant d’aller écouter du John Cage ou Bruce Springsteen. Les médias ont créé une ambiance mortifère qui pousse au racisme.

Et pendant ce temps, des témoignages sérieux sur les crimes de l’armée ukrainienne au Dombass sont écartés. Une journaliste de guerre française, Anne-Laure Bonnel du journal Elle, nous dit ainsi « où je me trouve (Donbass) les bombardements sont Ukrainiens ». Elle a fait plusieurs voyages dans l’Est de l’Ukraine et confirme « huit ans que le gouvernement de Kiev bombarde sa population », « 13 000 morts », « hier j’étais dans une école, deux institutrices étaient coupées en deux »

Et que deviennent les deux jeunes communistes ukrainiens de Kiev, Mikhail et Aleksander Kononovich qui se sont battus contre les bataillons neonazis et qui ont disparus après leur arrestation à Kiev début mars ?

Les bombardements ukrainiens du Donbass n’excusent pas les bombardements russes sur Marioupol, mais prendre du recul sur l’information "militaire" est nécessaire pour réfléchir à une issue diplomatique et obtenir l’arrêt de la guerre.

Ne faut-il pas écouter l’académicien franco-russe Andreï Makine, prix Goncourt 1995, qui s’afflige de voir l’Ukraine transformée en « chaudron guerrier ». Il regrette une vision « manichéenne » du conflit « qui empêche tout débat ».

Ne faut-il pas aussi écouter le conseiller métropolitain socialiste Jean-Michel Longueval, qui, après avoir informé des efforts des universités en direction des étudiants ukrainiens comme russes concluait sur la guerre :

… nous sommes bourrés de contradictions. La même année où une partie de la France s’est offusquée de la trahison liée à la perte du contrat avec l’Australie, de 12 sous-marins, pour un montant de 56 millions, cette même France, quelques mois après, dénonce la guerre et ses ravages en Ukraine. Dans la même idée, la France continue à vendre des armes à l’Arabie Saoudite, qui bombarde le Yémen.

Rappelons simplement que le nombre de pays en conflit a doublé en une décennie et que l’on estime à 23 pays et 850 millions de personnes qui font actuellement face à un conflit de moyenne ou de forte intensité.

Le début de négociation entre Ukraine et Russie ouvre un espoir fragile. Si le gouvernement russe espère sans doute un effondrement du régime ukrainien, on sait aussi que certains à l’ouest espèrent un effondrement de la Russie qui permettrait son démantèlement, selon la stratégie géopolitique énoncée par l’ancien dirigeant des USA Zbigniew Brzezinski pour empêcher toute grande puissance eurasienne face aux USA [1]

Les va-t-en guerre des deux camps espèrent une victoire militaire. Les Français savent notamment depuis la guerre d’Algérie qu’il n’existe pas de victoire militaire sans solution politique. Les pacifistes doivent donc tout faire pour freiner la guerre et créer les conditions d’une solution politique que tout le monde connait. L’indépendance de l’Ukraine contre la sécurité de la Russie, donc l’éloignement des missiles de l’OTAN, et donc une forme de neutralité de l’Ukraine. Ce devrait être le message de la France pour sortir de cette guerre. Retrait des troupes russes contre le retrait des missiles de l’OTAN…

Et ce sera une première étape vers le désarmement, la dissolution de l’OTAN et de toute alliance militaire, et l’interdiction des armes nucléaires. Toute autre issue à la guerre en Ukraine serait l’aggravation des tensions vers l’affrontement des USA contre la Chine, le pire pour la planète.

[1Le grand échiquier, 1997, Le Vrai choix, 2004 : Pour lui, l’amélioration du monde et sa stabilité dépendent du maintien de l’hégémonie des États-Unis. Toute puissance concurrente est dès lors considérée comme une menace pour la stabilité mondiale. Et une puissance concurrente est une puissance eurasienne, donc il faut arracher l’Ukraine à la Russie…

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