enfants, parents, mariage… le désir et le droit. Enregistrer au format PDF

Dimanche 18 novembre 2012

Tout le monde parle du mariage pour tous. Le gouvernement l’a placé parmi les urgences de ses premiers mois de travail, les médias le traite quotidiennement sous toutes les coutures et certains évoquent un nouveau « grand » débat clivant de société, une nouvelle grande bataille opposant une droite conservatrice et rétrograde à une gauche moderne et progressiste.

Pourtant, autour de moi, dans les discussions de quartier, ce n’est pas un sujet qui préoccupe. Tout le monde sent la précarité qui explose, les tensions sociales qui mettent en péril le vivre ensemble, et chacun écoute avec de plus en plus d’angoisse les échos des guerres un peu partout, avec ce sentiment qu’on ne nous dit pas tout, que tout est compliqué, la France alliée du Qatar en Syrie et ennemi de ce même Qatar au Mali… En tout cas, partout, ce sont toujours les mêmes qui souffrent… et ce sont les dirigeants, notamment occidentaux, qui font les pluies d’obus, les surveillances de drones et de satellites, les services secrets et le financement des mercenaires…

Alors, comment débattre de cette question du mariage à sa juste place, sans en faire le prétexte au clivage politicien, ni le masque médiatique des urgences sociales…

C’est un sujet ou rien ne vaut le vécu, celui qu’on partage avec des amis, celui qui est fondé non pas sur l’érudition, mais sur la fraternité qui conduit à reconnaitre les situations personnelles des autres.

Je fais partie d’une génération pour laquelle le mariage n’était pas du tout une obligation, plutôt le symbole d’une tradition rituelle qui enfermait les sentiments dans les conventions et souvent le mensonge. Mais je sais aussi que certains se trouvent dans une situation inextricable parce que le mariage reste de fait, plus que le PACS, une forme globale de reconnaissance par la société de la réalité d’un couple, et que dans certaines situations, le non mariage peut être dramatique. Une femme a vécue pendant 20 ans avec passion avec un homme que la maladie lui enlève brutalement. Elle vieillit sans lui, et beaucoup plus tard s’informe pour demander que ses cendres soient associées à celle de son ancien compagnon. L’administration lui refuse, ils n’étaient pas mariés. 30 ans plus tard, c’est pour cette femme une insulte à la réalité de son couple, une violence incompréhensible. Ce n’est pas une question d’homosexualité, mais c’est bien une question de mariage. Comment garantir la reconnaissance d’un couple, dans les situations qui font les grandes dates de la vie d’une famille, ces cérémonies funéraires qui restent les principaux moments de retrouvailles ? Je n’ai aucune raison de refuser à un couple homosexuel cette reconnaissance là.

Il suffit aussi de se promener pour constater que les enfants ne sont pas tous dans la situation d’être élevé par un père et une mère. Familles monoparentales, familles éclatées, adoption… des milliers d’enfants apprennent à parler de leur mères, de leurs pères, et trouvent les mots pour parler à celui qui les a conçu, celui qui les a élevé… Il n’y a évidemment pas qu’un modèle, et pour certains, le seul père restera le père biologique quand pour d’autres, ce sera le père du quotidien.

Je sais aussi que la vie crée des situations particulières. Un homme qui vit en couple, a des enfants, et décide de s’installer avec un autre homme. Des cas plus rares qui conduisent à la transformation de sexe. Il faut avoir connu un proche dans cette situation pour mesurer ce qu’elle représente de difficultés, de douleurs et en même temps d’exigences personnelles. Un ami a engagé le processus de changement de sexe puis l’a stoppé sans doute parce qu’il ne trouvait pas comment définir le changement de relation avec sa femme et ses enfants. Comment juger et décider à sa place ? Comment lui donner des droits limités en tant que père s’il avait choisi d’aller au bout ?

Ces situations que la vie a faite, nous n’avons aucune raison de les stigmatiser, et évidemment pas de les réprimer. La loi doit être la même pour tous, soit qu’elle protège, soit qu’elle punisse…, et quand elle protège les droits d’un couple, d’une filiation, elle doit permettre de s’appliquer à toutes les situations que la condition humaine créé, avec sa complexité et sa part de mystère.

Autre chose, est le buzz médiatique et l’utilisation de ces questions par ceux qui tiennent un discours global sur la famille et le couple. Que ce soit le conservatisme souvent religieux qui refuse de regarder la réalité de la vie des hommes et des femmes, où ce capitalisme de la séduction qui fait de l’être humain une construction « selon mon désir », qui promeut les agitations de toutes petites minorités agissantes, loin du peuple et de ses urgences.

On lit partout, et notamment dans la presse de gauche, qu’il y aurait bientôt un nouveau droit : le « droit à l’homoparentalité ». J’avoue que les bras m’en tombent ! Je ne savais pas qu’il y avait un « droit à la parentalité » tout court ! C’est un bel exemple de l’idéologie qui fabrique des représentations dont l’objet n’est plus la question concrète qu’elle est censée résoudre, mais la mobilisation autour de « valeurs » étendards pour mobiliser les forces sociales loin de leurs réalités concrètes. Et ce sont les médias qui forgent le débat sur ces valeurs dont plus personne ne sait à la fin qui elles défendent.

Tout le monde a dans sa famille un couple qui ne pouvait pas avoir d’enfants, et cette situation souvent douloureuse, n’a aucune réponse miraculeuse. La science et la technique ont fait d’incroyables projets, mais la réalité est là. Des couples vivent l’enfer d’échecs répétés de fivettes, parfois transformés en cobaye d’experts médicaux, des milliers arrivent finalement à la réussite, sans que cela ne garantisse en rien leur couple dans la durée. D’autres sont confronté au long stress de l’adoption, qui conduit à s’interroger devant une famille au fin fonds de l’Afrique. Est-ce bien ou mal d’adopter loin de chez soin parce qu’on a les moyens financiers de le faire ? Là encore, chacun se débrouille comme il et elle le peut.

Non, il n’y a aucun droit à la parentalité, ni hétéro, ni homo, car l’être humain n’est pas un produit que la science ou la société peut vous garantir, comme elle devrait garantir un emploi ou un logement. Quelque soit le désir, l’enfant est ou il n’est pas. Personne ne peut revendiquer de dire « j’ai droit à un enfant selon mon bon désir ». On connait toutes les dérives que la société du spectacle a produit de ce point de vue, les manipulations génétiques pour sélectionner les donneurs, les mères porteuses devenues une alternative à la prostitution aux USA… Je veux un enfant blond avec des gènes de prix Nobel…

Notre société est profondément malade du capitalisme. Plus elle écrase la grande masse des êtres humains, plus elle leur fait croire qu’ils sont tous individuellement surpuissants, capables de tout, que la science et le développement permette à l’homme de dire « mon désir fait loi ». Je ne sais pas ce que sera l’humanité dans dix siècles, et en dehors des romans de science-fiction, tout le monde s’en fout. Mais à l’évidence, et pour très longtemps, l’être humain doit savoir rester modeste, devant la complexité de la vie comme de la planète, et cesser de se prendre pour un dieu tout puissant. Non, il ne suffit pas de vouloir pour avoir le droit ! La liberté a des limites. « Elle consiste à pouvoir faire tout ce qui ne nuit pas à autrui », et cela vaut pour l’autre dans un couple comme pour l’enfant. L’enfant est un sujet, pas un droit des parents. Et quelque soit les situations concrètes dans laquelle un enfant peut être élevé, il sait toujours qu’il a eu un père et une mère, même si la vie les a éloigné de lui.

Je suis convaincu que la proposition de loi du gouvernement repose sur une très mauvaise base au fonds, et que le choix d’une procédure rapide en pleine crise est politiquement dramatique.

Il suffit pour le mesurer de se demander qui a inventé cette incroyable histoire d’un livret de famille qui ne porterait plus les mentions « père » et « mère » mais « parent 1 » et « parent 2 »… Cette approche technocratique qui numérote même les parents et bien sûr interpelle : pourquoi pas parent 3, n’a aucun avenir. Elle a été incapable de porter un débat de société au fonds, de permettre une appropriation populaire pour trouver les mots pour dire la réalité des couples et des parents, la réalité concrète, qui n’est certes pas uniforme, mais qui n’est pas non plus le grand bazar des individualismes.

J’espère franchement que ce projet de loi ne sera pas adopté, et que le gouvernement trouvera le cadre pour permettre un vrai débat au fonds, pour aller vers une loi porteuse d’avenir. Rien n’empêche en attendant de prendre des décisions règlementaires pour résoudre des questions pratiques de responsabilités parentales à l’école, de droit funéraire…

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