Rencontre des étudiants en aménagement/urbanisme de Lyon 2

les contradictions et les techniques… Enregistrer au format PDF

Jeudi 3 novembre 2016 — Dernier ajout jeudi 10 novembre 2016

Comme l’an dernier avec les élèves de l’ENTPE, nous avons reçu cette année en mairie les étudiants en aménagement et urbanisme de l’université Lyon 2, qui étaient venus visiter la chaufferie de Vénissieux et le réseau de chaleur.

J’avais préparé quelques notes autour d’une idée… valorisant la politique au fonds, comme ce qui permet de dépasser les techniques en prenant en compte les contradictions…

De la technique et des contradictions

Permettez-moi d’être un peu décalé… Le développement durable, la transition énergétique sont des concepts changeants, utilisés par des acteurs très différents pour des objectifs parfois opposés, et tous ceux qui veulent agir font face à des situations contradictoires, ou la technique seule ne peut pas permettre une décision claire. C’est pourquoi je vous conseille de ne jamais en rester aux techniques, et d’être capables de « penser les contradictions », c’est à dire faire de la philosophie… ou d’un point de vue pratique, de la politique au sens noble…

Ainsi, nous développons des réseaux de chaleur le moins carboné, le moins polluant et le plus efficace et étendu possible, et cela représente un investissement et un coût d’exploitation donc des coûts fixes … faibles en % quand il fait froid… mais le réchauffement climatique comme les efforts d’isolation thermique des bâtiments font baisser les consommations… La part des coûts fixes peut devenir prédominante. Or les coûts fixes du gaz sont absorbés à une très grande échelle et surtout sont amortis par une longue histoire… Donc plus on développe les réseaux de chaleur, plus on creuse l’écart avec la seule alternative concurrente réelle, le gaz, énergie carbonée qu’il faudrait réduire pour limiter le réchauffement… double contradiction…

Cela ne concerne pas que les réseaux de chaleur. L’éolien de mer du nord, le solaire thermique du sud représentent des coûts d’investissements importants, malgré la baisse des coûts des panneaux PV, à cause des réseaux de transport d’électricité dont les coûts et les impacts environnementaux ne se réduisent pas du tout ! On est très loin d’un circuit court, contrairement au réseau de chaleur ou on produit localement ce qui est distribué localement, et on sait même approvisionner la biomasse nécessaire à courte distance. Au contraire, de la mer du nord à la méditerranée, les câbles qui seront peut-être demain à courant continu de très haute tension et donc enterré sont très loin des circuits courts ! Personne ne sait exactement combien ça coutera, et là aussi, même si le soleil et le vent sont gratuits, les coûts fixes qu’on retrouve dans la CSPE vont croitre fortement, poussant toujours plus haut ces taxes qui vont finir par être le coût le plus important de l’électricité…

On trouve aussi des contradictions au plan social. Ce sont souvent des propriétaires de maisons qui ont répondu aux publicités tapageuses « votre toit vous enrichit » et bénéficié de crédit fiscaux, de subventions, pour équiper leurs toits avec un tarif d’achat garanti. Ces aides ont bénéficié à des propriétaires et sont payés par tous les usagers, même aux tarifs sociaux !

Contradiction encore quand la transition énergétique dont la justification première est la réponse au défi climatique, veut réduire la part de l’énergie électrique non carbonée existante en France, le nucléaire ,qui fait que la France est un des pays développé avec la plus basse émission de carbone par habitants. Là aussi entre les objectifs de sortie du nucléaire et l’objectif de réduction des émissions, il y a contradiction…

On peut aussi parler de la filière bois et de la concurrence qui se développe entre les différents usages de la forêt… usage paysager, de protection de la nature, ou agricole comme usages pour le bois d’œuvre, le bois énergie, la gazeification… le bois real fragmenté en agriculture, le compostage, l’agriculture forestière … Les indices d’évolution du MWh biomasse restent stables pour l’instant, mais demain ? Plus on développe l’exploitation forestière, plus on fragilise cette stabilité des indices bois énergie…

De même, la voiture électrique semble incontournable et le transport électrique en général commence à prendre une part de marché significative. Mais plus on le développe, moins on rend réaliste la baisse des consommations électriques annoncées dans la loi de transition énergétique. C’est bon pour la baisse des carburants carbonés, pas de l’électricité !

Et que dire de ces « territoires à énergie positive » dont on parle souvent en politique… Si tous les territoires sont positifs, que feraient-ils des excédents ? Peut-on raisonnablement penser un monde sans réseaux de transport et de distribution d’énergie ?

Je pourrai multiplier les exemples, mais il est important d’avoir en tête qu’il n’y a pas une vérité technique simple, et que les choix techniques s’expriment toujours dans des choix sociaux et politiques qui sont marqués eux, par les contradictions d’intérêts entre les couches sociales, les pays, les filières économiques… car nous sommes dans un monde de concurrence, et c’est bien la concurrence entre les acteurs économiques des techniques qui fonde souvent le débat politique.

Donc oui, il faut accepter les contradictions et les penser pour décider comment on en joue, comment on les dépasse. C’est une approche de la philosophie… un peu marxiste, mais cela ne vous étonnera pas de la part d’un adjoint au maire de Vénissieux… Pour ceux que ça intéresse, je vous conseille la découverte de la "méthode TRIZ", méthode qui fait le buzz dans certains laboratoires européens en ingénierie, dont la base est justement d’identifier les "contradictions" dans un problème, et dont l’origine est… la science soviétique des années 60…

Prendre en compte les contradictions, c’est indispensable quand on fait face aux habitants sur les techniques en général, et sur le réseau de chaleur en particulier…

Par exemple, ceux qui pensent qu’il faut augmenter le prix de l’énergie pour pousser les habitants à réduire leur consommations n’ont jamais discuté dans un quartier populaire. Que dire à des familles qui sont au RSA et qui reçoivent un rappel de charges de chauffage de 500€… impossible bien sûr à assumer ?

Et comment expliquer la volatilité des tarifs. Le R1 est passé à Vénissieux de 30€ avant 2005 à presque 70€ à l’été 2010 ! La ville réussit à le stabiliser à 48€ sur 2012-2014, et elle obtient dans le nouveau contrat un tarif à 46€. Succès mais contradictoire avec la baisse des revenus des usagers… même si la baisse du gaz nous place aujourd’hui en dessous de 40€… autre contradiction, les dépenses d’économie d’énergie sont moins rentables…

Ces questions illustrent le difficile exercice démocratique, entre deux pièges, le populisme, qui conduit à considérer que les citoyens ont toujours raison, qu’il faut simplement utiliser leur parole, et le technicisme qui réduit la démocratie à la communication, car "seuls les techniciens savent"…

En fait, le yoyo des prix de marché de l’énergie sont injustifiés et ne reposent que sur la guerre que se livrent les "rentiers" de l’énergie, ceux qui sont assis sur un tuyau et qui font payer un droit de passage… De l’accord de baisse des prix entre Reagan et Saoud en 80 pour faire tomber l’URSS à celui entre Obama et les mêmes Saoud pour affaiblir la Russie, rien ne change… et les conséquences sociales comme environnementales sont terribles…

Pour le gaz, la première négociation à Vénissieux commence autour de 40€, le contrat est signé à 44€, un an après, le jeu des indices l’ont porté à 60€… et trois ans plus tard, on est redescendu à 30€… Qui peut planifier un investissement dans ces conditions ?

Il y a bien deux approches de la réponse aux besoins dans une société d’inégalités.

  • soit on fait ce que le marché fait toujours, on « segmente », des clients du très haut de gamme au service "de base", et on cherche du "low cost"… Dans l’électricité, il suffit de jouer sur le niveau de service. Le temps moyen de coupure est excellent en France jusqu’à aujourd’hui et assuré à tous, mais il se dégrade. Il est beaucoup plus mauvais aux USA, mais les riches ont tous un groupe électrogène…
  • soit on assure un service stable pour tous… avec péréquation tarifaire, donc un tarif unique figé annuellement, un contrôle public de la performance et des résultats.

C’est bien sûr un choix politique…

Je n’ai pas lu toutes ces notes, préférant laisser les étudiants poser des questions, et elles ont été nombreuses, dont une sur le mode de gestion choisi par la ville. Pourquoi une DSP et pourquoi pas une régie publique ? C’est effectivement un exemple de contradiction qu’il faut prendre en compte. D’un coté, une régie permet la plus grande transparence et l’absence de toute marge commerciale, mais une DSP protège la collectivité donc les usagers des risques liés à l’exploitation ou aux investissements… Après un long débat, la ville a privilégié la sécurité pour les usagers, d’autant que les compétences techniques nécessaires à l’exploitation d’un grand réseau de chaleur son importantes et ne peuvent être construites facilement… Personne ne peut dire si le choix d’une régie pouvait être réussi, mais ce qui est sûr, c’est que le choix de la DSP a permis une vraie réussite Vénissiane reconnue par des labels, avec un contrat efficace pour atteindre les objectifs de la ville, baisse des tarifs, modernisation, mixité des combustibles avec développement de la biomasse et transparence pour les abonnés…

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