AMORCE, l’énergie et les présidentielles Enregistrer au format PDF

Jeudi 2 décembre 2021

L’association AMORCE [1] regroupe de très nombreuses collectivités locales autour des questions de l’eau, de l’énergie et des déchets. Elle produit de nombreuses études, dossiers et avis qui s’appuient sur les expériences locales et aident beaucoup les élus et services.

Elle lance une consultation de l’ensemble de ses adhérents pour élaborer des propositions à l’attention des candidats aux présidentielles. J’ai transmis quelques idées sur des sujets où j’estime que AMORCE ne s’appuie pas suffisamment sur un débat pluraliste, tirant les leçons de ce qu’il faut bien appeler l’échec de la loi de transition énergétique et pour une croissance verte (LTECV)qui encadre le plus gros des politiques publiques sur les sujets portés par cette association.

Ma contribution à la consultation AMORCE pour questionner les candidats aux élections présidentielles

AMORCE évoque 6 objectifs pour structurer le débat entre élus pour faire ses propositions aux candidats. J’apporte ma contribution sur ces objectifs à partir de mon expérience d’adjoint à l’énergie et au développement durable depuis plus de 13 ans, et aussi de mon expérience de conseiller métropolitain du Grand Lyon, collectivité compétente sur l’énergie, l’eau, les déchets, les réseaux de chaleur, donc très fortement impliqué sur les compétences de l’ADEME.

Objectif 1/ se doter d’une stratégie juste, crédible et efficace de financement de la transition écologique

Cette question est cruciale. La cour des comptes évalue le coût total de la politique de développement de l’électricité renouvelable à plus de 120 milliards, alors que l’effet de cette politique est nul pour le climat, voire négatif. En effet, l’électricité est très largement décarbonée en France, et la base carbone officielle de l’ADEME [2], confirme que l’éolien émet deux fois plus de carbone que le nucléaire et le photovoltaïque 4 à 6 fois plus selon l’origine des panneaux. Or, en France, le photovoltaïque et l’éolien ne remplace pas de l’électricité fossile. Aux pics de consommation vers 8h ou 18h, il y a peu de soleil, surtout l’hiver. Ces 120 milliards, payés par les consommateurs sur les factures d’électricité, auraient mieux fait d’être investis dans des projets qui réduisent nos émissions carbonées, dans le bâtiment ou les transports.

Une stratégie juste, crédible et efficace de financement doit reposer sur un critère simple, le coût de la tonne de carbone évitée. Pour chaque action ou investissement, on évalue son impact à la baisse pour les émissions de carbone, son coût et on peut alors comparer son efficacité avec d’autres politiques publiques.

Cet indicateur doit prendre en compte les coûts environnementaux et financiers globaux d’une action, de la conception à la production, l’exploitation, puis le démantèlement et le recyclage des équipements. Pour cela, on ne peut pas en rester à une logique de marché et de mise en concurrence. Par exemple, l’investisseur d’une éolienne peut faire des marges importantes alors qu’il s’est débarrassé du coût futur du démantèlement. L’exploitant d’une installation photovoltaïque peut faire des marges en profitant d’un prix garanti et d’une obligation d’achat de son électricité, alors qu’il ne produit pas quand il y en a besoin, et qu’au contraire, à certains moments, il produit plus que le besoin, ce qui conduit le marché de l’électricité à des prix négatifs. L’exploitant du réseau paie alors son fournisseur à un prix garanti, souvent élevé, alors qu’il doit aussi payer son client pour consommer cette électricité inutile. Ce système reposant sur la marchandisation de l’électricité marche sur la tête et est injuste et inefficace.

C’est pourtant le modèle imposé par l’Union Européenne et dans lequel la loi de transition énergétique française s’inscrit. Certains le justifient en disant que c’est la hausse des factures qui va changer les comportements et réduire ainsi les émissions carbonées. Mais c’est ce choix qui est au cœur de l’échec de la LTECV et qui accompagne la désindustrialisation et donc la hausse de l’impact carbone d’un français ! La réindustrialisation a besoin d’une énergie décarbonée compétitive, la cohésion sociale ne peut supporter la hausse des prix de l’énergie. Et surtout, la hausse des prix de l’énergie est une pompe sans fin à destination des profits privés et spéculatifs comme le montre le marché spot de l’électricité. Il faut sortir de ces logiques marchandes.

Contrairement à la vulgate néolibérale, les profits d’aujourd’hui ne font pas les investissements de demain, c’est même l’inverse ! Ce sont les investissements de la puissance publique dans les infrastructures et les réseaux qui poussent au développement économique porteur d’emplois et… de profits ! Il ne s’agit pas comme dans le plan de relance de distribuer les milliards, mais de définir et financer des plans stratégiques de développement de filières industrielles et technologiques.

On peut développer des renouvelables électriques à condition de les associer à des solutions de stockage pour en faire des sources pilotables, ce qui conduit à privilégier alors le solaire thermodynamique sur le photovoltaïque, et réserver le photovoltaïque aux situations proches d’un stockage possible, STEP, batteries, production d’hydrogène…

Compte tenu de ce bilan d’expérience de la LTECV :

  • Proposez-vous de reconstruire un grand service public de l’énergie et imposer des prix de long terme stables et justes assurant le droit de tous à une énergie décarbonée, disponible, accessible, de qualité et peu chère. et la compétitivité économique au service de la réindustrialisation ? Si oui, comment proposez-vous de le faire ?
  • Comment sortir de la marchandisation de l’électricité et l’organiser comme un bien commun, interdire toute marge spéculative ou reposant sur le report des coûts d’externalités sur d’autres acteurs ? Comment notamment faire prendre en compte par les producteurs intermittents les coûts indirects de cette intermittence, sur les productions pilotables venant les complémenter comme sur les coûts de stabilisation du réseau ?

Objectif 2/ Donner aux territoires les moyens d’agir pour atteindre les objectifs de transition écologique de la France

Les territoires ont un rôle à jouer. Mais les objectifs de la transition écologique sont d’abord un enjeu national, sur les alternatives au pétrole et au gaz, l’ampleur des rénovations thermiques des bâtiments, le développement du fret ferroviaire et des transports en commun.

Il faut donc réaffirmer le rôle de l’état dans le développement des infrastructures, des filières technologiques et industrielles, des outils de production pilotable, de la recherche et l’’innovation sur les nouvelles filières (4e génération, thorium, fusion, hydrogène, stockage carbone…)

  • Comment allez-vous proposer un cadre national permettant aux collectivités locales de ne pas être soumises aux solutions marchandes fortement consommatrices de subventions et aides locales sans apporter d’innovations technologiques et en poussant les prix à la hausse ?
  • Comment un tel cadre national peut organiser la transparence et l’animation territoriale avec l’ensemble des acteurs pour assurer la cohérence des politiques énergétique avec les projets de territoires ?

Objectif 3/ Déployer une transition écologique plus protectrice du pouvoir d’achat des citoyens et des Français les plus précaires

L’expérience du passage des tarifs sociaux au chèque énergie nous montre l’impasse d’une lutte contre la précarité énergétique qui repose sur des « aides » spécifiques aux plus précaires. Quand les prix montent, il faut multiplier les chèques énergies, et ils sont pourtant toujours insuffisant face à la hausse des prix.

L’urgence pour protéger tous les Français est de sortir de la dérégulation des tarifs et de revenir à une logique de prix régulé, stable et unique avec péréquation, pour l’électricité et le gaz.

  • Que proposez-vous pour faire baisser les prix de l’énergie et assurer un prix stable à long terme ?

Objectif 4/ Mobiliser et engager tous les français dans la transition écologique

Oui, il faut unir les français pour relever le défi climatique. La fracture politique et citoyenne dans notre pays est profonde et les priorités des français ne sont pas les mêmes entre ruraux et urbains, milieux populaires et CSP+, précaires et statutaires… Aujourd’hui, le discours général de la transition écologique est conçu par des couches moyennes supérieures éduquées et appliqué dans toutes les couches sociales, ce qui le rend souvent inadapté.

Comment parler de réduction forte des déchets dans un quartier où ce qui domine est la multiplication des dépôts sauvages, la faiblesse du tri, les incivilités du quotidien ?

  • Comment proposez-vous de redéfinir une transition écologique luttant contre les fractures sociales ? Comment partir des besoins sociaux et humains de toutes les couches sociales, assurant la réduction de l’impact environnemental des plus riches tout en assurant la conquête de droits sociaux pour les milieux populaires ?
  • Comment voulez-vous organiser l’intervention et l’initiative citoyenne dans le cadre public des politiques énergétiques nationales, comme territoriales ?

Objectif 5/ Faire de la transition écologique un axe majeur de la souveraineté industrielle et économique de la France

Le bilan du financement public des ENR électriques depuis 10 ans est clair. Non seulement il n’a pas permis le développement des filières industrielles existantes en France, mais il a accéléré leur disparition et inséré les filières énergétiques françaises dans la mondialisation.

  • Comment voulez-vous reconstruire une politique énergétique nationale souveraine, reposant sur nos propres choix industriels et technologiques et considérant les échanges internationaux comme des échanges gagnants-gagnants entre pays se considérant à égalité ? De ce point de vue, comment pouvons-nous résister aux guerres larvées, économiques, juridiques, technologiques des USA contre tous leurs « alliés » ?

La situation des acteurs comme ALSTOM Energie devenu General Electric, ou Schneider, la fragilisation d’EDF dans la course à la mondialisation et les tentatives capitalistiques à l’étranger sont est illustrative d’une politique industrielle et technologique soumise à la mondialisation.

  • Comment voulez-vous reconstruire des filières industrielles nationales en coopération avec les pays d’Europe, mais aussi avec les pays porteurs de développement dans le monde dont la Chine ?

L’insertion du réseau électrique Français dans le réseau européen n’est plus conçu pour favoriser des échanges gagnants-gagnants entre pays, mais est au service des marges spéculatives des acteurs sur un marché européen. La France est ainsi conduite à vendre à bas prix de l’électricité nucléaire décarbonée à bas prix à la Suisse pour faire remonter ces barrages et lui racheter de l’électricité à prix élevé ? De même, la France doit utiliser le pilotage de sa production électrique pour répondre aux variations brutales de demande du réseau allemand fortement marqué par l’intermittence de ces énormes capacités ENR.

  • Comment pensez-vous négocier un juste prix pour apporter ce service à l’Allemagne et pouvez-vous envisager si ce juste prix n’est pas possible de cesser d’apporter ce service ?

Objectif 6/ Préserver la santé des Français en renforçant nos exigences et nos ambitions en matière de santé environnementale.

Les enjeux de santé environnementale ne sont pas liés qu’aux enjeux énergétiques, mais les liens sont nombreux, que ce soit à travers les installations industrielles demandant de la chaleur, les pollutions liées au transport de marchandises comme de passagers avec bien entendu la place de la voiture, et le secteur énergétique lui-même.

La France a connu depuis plusieurs décennies de très fortes réductions de l’impact environnemental des activités industrielles et de transport. Les évaluations de la qualité de l’air montrent une amélioration constante et parfois très forte, comme pour le souffre. Il faut dire qu’une part de ces améliorations vient d’abord de la désindustrialisation et qu’on ne peut pas s’en féliciter. Cela dit, une part vient bien des améliorations techniques qui sont énormes, par exemple sur la filtration des installations de chaufferies, fours, incinérateurs.

Comment voulez-vous généraliser les « meilleures techniques disponibles » de réduction forte de toute les pollutions afin dans tous les process industriels tout en organisant une véritable réindustrialisation décarbonée ?

Le secteur du bâtiment et du génie civil est aussi un enjeu important des émissions carbonées mais aussi des pollutions de l’air et du sol. La gestion des matériaux, le développement de bétons décarbonés, la gestion des déchets de chantiers, la qualité de l’air intérieur demandent de définir des règlementations techniques ambitieuses pour une forte réduction du contenu carbone et des polluants de l’ensemble des activités de construction, démolition, rénovation et exploitation des bâtiments.

  • Quels objectifs de décarbonation et de réduction des polluants proposez-vous pour le secteur du bâtiment et du génie civil ?

Les transports routiers sont un des facteurs principal des émissions d’oxydes d’azote, et indirectement de production d’ozone. Il est urgent de sortir des mobilités fossiles et de réduire la place de la voiture dans les mobilités d’ensemble.

  • Quel plan de développement du fret ferroviaire proposez-vous avec quel objectif de part modale ?
  • Quel plan de développement systématique des transports en commun urbains pour réduire la place de la voiture à moins de 20% des mobilités urbaines ?

La loi ZFE impose des restrictions de déplacement très injustes socialement puisque de lourds SUV hybrides de catégories supérieures sont autorisés quand des véhicules anciens de familles populaires sont interdits. Les ZFE reposent sur une définition de « Crit’Air » ne reposant que sur les pollutions de combustion, et qui ne tiennent pas compte de l’impact sanitaire respectif des différents polluants. La dernière enquête 2021 de santé publique France montre que l’impact sanitaire des oxydes d’azote est 6 fois moins important que celui des poussières. Cela devrait conduire à reconsidérer l’impact comparé du diesel et de l’essence.

De plus, les pollutions liées à la combustion ne constituent que la moitié des pollutions totales des véhicules, à coté des frottements liés aux freins et aux pneus. Les véhicules Crit’Air 0 et 1 lourds sont donc tout aussi problématique pour la qualité de l’air.

  • Quelle redéfinition proposez-vous des « Crit’Air » pour prendre en compte l’ensemble des pollutions, de combustion et de frottements, et différencier l’impact sanitaire des différents polluants ?

Pierre-Alain Millet, +33607503381 pamillet chez ville-venissieux.fr Adjoint au maire de Vénissieux Chargé du développement durable, du logement et des énergies Conseiller Métropolitain du Grand Lyon http://pierrealainmillet.fr Réseaux sociaux alternatifs : @pamillet chez framapiaf.org, pamvx chez framasphere.org

[1AMORCE défend une accélération de la transition écologique s’appuyant sur les territoires. Elle contribue à faire des collectivités le chef d’orchestre de la transition énergétique, de l’économie circulaire et de la gestion durable de l’eau en défendant la liberté de choix des collectivités dans leurs politiques de transition écologique ainsi que des services publics locaux pérennes et de qualité.

[2agence de l’état pour la transition énergétique

Voir en ligne : le site ADEME (pour accéder à la consultation, il faut être connecté)

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