À lire sur Blog Vénissian de Pierre-Alain Millet

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La délégation Vénissiane en Algérie organisée par la section communiste

Publié le : 30 novembre 2022

Un voyage extraordinaire, militant, chaleureux, internationaliste !

L’idée était un peu folle, et comme toutes les aventures, il a fallu une forte envie, du travail et un peu de chance pour organiser ce voyage de mémoire des communistes Vénissians en Algérie pour le 60ème anniversaire de l’indépendance de l’Algérie.

Le résultat a dépassé tous nos espoirs. Le consulat nous a tout facilité, des camarades algériens nous ont accueillis avec attention et gentillesse, les institutions algériennes nous ont reconnus et aidés, et nous avons découvert un ancien député communiste du Gard grand ami de l’Algérie et de ses luttes de libération qui nous a ouvert des portes qui auraient été inaccessibles sinon...

Et nous revenons heureux, la tête pleine de souvenirs, et fiers ! Oui, nous sommes fiers, honorés d’avoir rencontré des communistes algériens victimes d’attentats des terroristes dans la décennie noire, des moudjahidin de la zone autonome d’Alger, un sénateur qui avait perdu sa place en s’opposant au 5eme mandat devenant un animateur du Hirak, la présidente de la Willaya d’Alger, la femme du célèbre peintre Mohammed Khadda, la directrice du musée des beaux arts, la directrice du Makam Chahid,... et tant d’algériens de tout âge rencontrés dans la Casbah, dans les rues, les restaurants... et notre incroyable chauffeur amar !

Les liens familiaux entre les Vénissians et les Algérois sont nombreux, mais nous avons initié quelque chose de nouveau qui demande des suites. Marie-Christine Burricand a conclu son intervention dans la zone autonome en annonçant qu’on proposait à tous nos amis de les inviter à Vénissieux l’an prochain... encore une idée folle qui peut devenir une belle aventure..

Quelques regards sur ces quatre jours riches et passionnants...

Prévu à l’origine pour le 1er novembre, jour anniversaire du déclenchement de la révolution algérienne, le voyage a du être reporté fin novembre à cause du sommet de la ligue arabe à Alger ce jour-là. Plusieurs inscrits n’ont pu se libérer aux nouvelles dates. Le couscous de fin des rencontres internationalistes le 12 novembre et une tombola ont aidé à financer le voyage de certains, la tombola se poursuit jusqu’au 17 décembre. Et une délégation très équilibrée s’est retrouvée ce 23 septembre à l’aéroport, 7 femmes et 7 hommes (plus un enfant), 8 élus [1] et 6 militants, et adaptée au voyage puisque 7 parlent arabe !

Alger alger

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Dès le 23 septembre, nous avons passé une première soirée avec les communistes algériens et le directeur du journal Alger républicain pour 3 h de débats riches qui confirment que nous connaissons mal ce pays et son histoire. Le compromis issu de l’indépendance dominé par la bourgeoisie nationaliste mais cherchant le chemin d’un développement national avec des éléments de socialisme, et les pressions capitalistes pour les mettre en cause avec la vague libérale des années 80 qui a conduit à une paupérisation de masse sur laquelle se basera l’islamisme... La complexité de cette guerre civile terrible ou les puissances occidentales alliées des islamistes au moyen orient ont laissé l’Algérie se débrouiller seule et cette loi de réconciliation en 2005 qui ne va pas comme en Afrique du Sud jusqu’au procès public mais qui de fait a ramené la paix après des victoires militaires majeures de l’armée contre le GIA...
Pour nos camarades, il faut comprendre ces contradictions au sein du régime et de son histoire entre une bourgeoisie nationaliste revendiquant son indépendance, une accrochée aux rentes dépendantes de l’occident, une base populaire d’une armée de conscription..
La puissance énorme du hirak a montré la vitalité d’un peuple qui veut sortir de la pauvreté mais aussi le besoin d’affirmer une issue vers le socialisme qu’il faudra imposer aux forces réactionnaires... Merci à Hamid, Zoheir, Rachid
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Le 24 au matin, nous avons rencontré les moudjahidin d’Alger à la zone autonome au pied de la casbah... Ce sont les résistants d’Alger, tous engagés tôt dans la résistance et ils ont une mémoire vive encore de ces années si dures et des horreurs de cette guerre sanglante, mais aussi des solidarités qui se sont nouées. Nous découvrons cette "zone autonome", siège des moudjahidin de la Casbah qui ont toujours affirmé leur autonomie, à tel point qu’ils s’étaient opposés militairement à l’entrée des troupes de l’extérieur dirigées par Boumédienne en 1962 !
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L’un d’eux, dit "Mo Clichy" (ils avaient comme dans la résistance française des noms de combattants, souvent liés à leur ville), a été un des organisateurs de la manifestation du 17 octobre 1961 à Paris. C’’est lui d’ailleurs qui nous racontera une histoire exemplaire de la solidarité populaire, une grève totale des ouvriers de Renault par solidarité avec les ouvriers algériens sanctionnés.

Et l’histoire nous fait un clin d’œil. L’un d’eux a été caché à Vénissieux en 1955-56 par... un élu communiste. Malheureusement il ne se rappelle plus de son nom (nous demanderons à Jacqueline Sanlaville si elle le sait). Il faut dire que le lien fort entre la résistance nationale algérienne et les communistes français reposait sur le monde ouvrier et notamment les usines Berliet...
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Leur siège, modeste et très militant, n’est pas reconnu par le ministère des moudjahidin, mais le secrétaire général du ministère est présent et nous accueillera après la descente de la Casbah dans le bâtiment officiel des moudjahidin, splendide et majestueux, riche de symboles de la guerre d’indépendance. L’un d’eux nous dira que la différence entre la révolution française et la révolution algérienne, c’est qu’en France, elle est le résultat d’une guerre civile contre la noblesse, et qu’en Algérie, elle est le résultat d’une guerre anticoloniale. Matière à réflexion pour un communiste !
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Après la descente de la Casbah, drapeau rouge avec faucille et marteau en tête, ce qui sera l’occasion de nombreux échanges avec des passants surpris, souvent souriants, et un commentaire admiratif de nos camarades algériens, nous vivons un autre moment exceptionnel avec la visite de la prison Serkadji (ancienne prison Barberousse), le lieu des exécutions à Alger, un lieu de torture, et plusieurs moudjahidin nous parleront de Jean-Marie LePen. C’est une rencontre exceptionnelle puisque le site est fermé au public. Ce sont les relations de notre camarade Bernard Deschamps avec le sénateur Mostefa Boudina qui nous ont permis cette visite qui se termine avec plusieurs discours et l’hymne algérien.
C’est un choc avec le lieu de la guillotine qui a assassiné 59 patriotes dont Fernand Yveton, et que Annie Steiner voyait depuis la fenêtre de sa cellule... La liste des guillotinés est au mur et plusieurs intervenants rappellent que François Mitterrand a signé toutes les condamnations quand il était ministre de l’intérieur. La visite des cellules restées en l’état est terrible.

Marie-Christine Burricand au nom de la délégation devant les moudjahidin et le sénateur président de l’association des anciens condamnés à mort de la guerre d’indépendance a apporté la solidarité des communistes français aux combattants algériens et aux luttes actuelles pour une Algérie indépendante, démocratique et populaire comme le dit sa dénomination, et a conclu en souhaitant accueillir nos amis à Vénissieux un jour...

Après Marie Christine, c’est Bernard Deschamps qui a lu un poème de Annie Steiner, « Ce matin ils ont osé, ils ont osé vous assassiner », cette jeune fille de la casbah qui portait les armes cachées dans des couffins. Elle était en cellule dans la prison de Serkadji et voyait la guillotine de sa fenêtre, assistant à l’exécution de Fernand Iveton... notre amie vénissiane nadia nous dira que bébé, elle était transportée par son père dans un couffin cachant des armes... une moudjahidina de 2 mois...

Puis, c’est l’ancien sénateur Boudina qui a pris la parole avec notamment la chanson à De Gaulle des moudjahidine qui répondait en chantant dans les prisons à son discours. D’autres vidéos seront publiées sur le site levenissian.fr et je l’espère d’autres témoignages de visites, de la cache de Ali La Pointe, au musée du Prado et la grande mosquée, en passant aux hommages à tous ceux à qui nous avons déposé une rose, avec à chaque fois, un ou deux moudjahidin qui racontent la vie du martyr...

Le soir même, quelle journée, nous avons une soirée avec les invités personnels de notre ami Bernard, dont monsieur et madame Boudina, pour 2 heures de témoignages vivants qui nous font découvrir de l’intérieur autant l’histoire de l’indépendance que l’histoire récente du Hirak. Monsieur Boudina était un sénateur désigné par le président Bouteflika, mais qui s’est opposé au "cinquième mandat" et a donc été démis. Il a contribué à initier le Hirak et participé aux manifestations. Il nous livre des anecdotes inconnues de la vie du régime et des tensions entre les différentes forces qui confirment ce que nous disaient nos camarades communistes. Le FLN comme parti unique est un mélange de forces parfois divergentes soumis aux enjeux économiques, mais les luttes internes ne sont pas que des "luttes de clans" mais reposent aussi sur des batailles politiques, entre les intérêts de la bourgeoisie nationale, des intérêts étrangers, des intérêts populaires. Sa femme est aujourd’hui sénatrice, d’un grand calme, intervient clairement en faveur des intérêts populaires...

Dans les invités, le docteur Slama, une personnalité historique de ce qu’on peut appeler le "socialisme algérien", symbole de ce service public de santé qui a apporté dans les premières décennies de la révolution l’accès aux soins à tous dans toute l’Algérie, et qui a été, comme en France, écrasé par les restructurations libérales depuis les années 90. Il est un des médecins resté à son poste, soignant tout le monde, quand tant de jeunes médecins partait dans le privé ou à l’étranger...

Nadjet Khadda, femme du célèbre peintre, et directrice de sa collection, nous parle avec une grande acuité politique des rapports entre la France et l’Algérie, reprochant la "pensée unique" occidentale qui se croit un modèle démocratique et critique les autres sans jamais tenir compte de leur histoire... Elle rappelle le rôle trouble de la France ne condamnant jamais le FIS et le GIA et accueillant même ses dirigeants. C’est un sujet toujours tabou en France. Oui ou non, avons-nous aidé le FIS dans la guerre civile algérienne ? On peut s’inquiéter quand on sait ce que nous avons fait avec Al Qiada en Syrie contre le régime, ou encore en Libye que nous avons livré au pire... On rajoutera que la démocratie occidentale comme modèle, c’est vraiment se foutre du monde !

Et il y avait encore la directrice de la maison d’édition des livres de Bernard, passionnante, et son mari aiguilleur du ciel, au discours très critique et rigoureux contre le régime. Quelle soirée !
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Bien sûr, les rencontres avec des personnalités sont marquantes et tellement au-delà de nos prévisions que ce sont les premiers messages. mais il faut aussi parler de nos échanges dans la rue avec des algérois, le plus souvent des jeunes. On sent que ça discute.. Un Quadra interpelle un des moudjahidin qui nous accompagne dans la descente de la casbah et qu’il connaît visiblement et lui reproche l’accaparement des richesses par quelques uns après la révolution... A plusieurs reprises, on m’interpelle dans la rue car je porte haut un drapeau des communistes de Vénissieux avec faucille et marteau.. Deux jeunes vendeurs me disent "ici on n’aime pas les communistes" je leur réponds que ça n’empêche pas de se parler et on parle ! Ils me disent être révolutionnaire, je leur réponds que pour moi être révolutionnaire c’est bien mais qu’un révolutionnaire organisé, c’est un communiste... D’autres lancent "c’est la Chine ? " ou " c’est poutine ! ".. Et un court dialogue s’engage... Il y a aussi beaucoup de réactions positives, des sourires et des échanges dont il ressort que l’idée de révolution est très présente... Et les liens entre l’Algérie nouvellement indépendante et l’URSS ont été forts. Les militaires algériens se formaient beaucoup en URSS jusqu’en 1990, et un algérien a encore un visa gratuit pour ... la Sibérie. Et si le régime algérien n’a jamais été dirigé par un communiste, il a toujours eu des relations fraternelles avec les communistes, notamment dans le mouvement des non alignés. D’ailleurs, quelques jours avant nous, c’est le président cubain qui est reçu à Alger et signe des accords de coopération, notamment sur la santé, question difficile en Algérie qui peine à recruter des soignants (comme en France !)

Il me semble que la puissance des manifestations du Hirak ont laissé une trace politique qu’on ne trouve pas en France, cette idée que le peuple est puissant. D’où peut-être ces jeunes qui me disent "nous sommes révolutionnaires".

Et les journées se suivent avec toujours autant de visites et de rencontres. Nous visitons Notre Dame présentée par son prêtre d’origine Burkinabe, le pays des hommes intègres, le pays de Thomas Sanakara, autre symbole des luttes de libération nationale africaine. C’est bien sûr une construction coloniale, mais avec une histoire longue du site. La vue est magnifique sur la baie d Alger.

Nous déposons une rose sur les tombes des patriotes algériens. Sur la dernière, celle du docteur Chaulet et de sa femme, notre camarade Ghafir, surnommé Clichy dans la guerre d’indépendance, nous rappellera que la décision du GPRA de répondre à la provocation de Michel Debré imposant le couvre feu aux musulmans algériens, portait sur les 3 jours des 17, 18 et 19 octobre 1961
- Le 17 était une manifestation pacifique en famille
- Le 18 la fermeture des commerces algériens
- Le 19 la mobilisation des femmes devant les commissariats pour la libération des militants qui seraient arrêtés..
Mais le choix de la violence criminelle par Michel Debré pour faire capoter les négociations encours conduites par Louis Joxe à la demande de De Gaulle a transformé le 17 octobre en véritable crime de guerre.
Merci "Clichy" pour ce cours d’histoire improvisé...

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Et puis, il y a eu l’incroyable monument aux martyrs, Makam Chahid, reçus "comme des VIP" avec la remise d’une médialle des martyrs que nous avons transmise à Michèle Picard, qui enverra en remerciement une médaille de la ville.
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Puis une visite passionnante du musée des beaux arts qui contient une collection exceptionnelle d’œuvres réalisées en 1962 par des artistes du monde entier en soutien à la jeune révolution algérienne... Mais aussi des œuvres du patrimoine culturel de l’Algérie ancienne, pour rappeler à Mr Macron que non, l’Algérie n’est pas apparue avec la colonisation...
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Puis le jardin d’essai, un cadre magnifique et reposant...

Le soir à l’hôtel, nous retrouvons nos camarades du Pads pour un échange de livres...

Nous terminons notre voyage par une journée plus touristique le dimanche, à Tipassa, ville romaine avec de très nombreuses ruines et deux nécropoles.. La guide, hospitalière comme tous ceux que nous avons rencontré, refait l’histoire longue de cette Algérie dont Macron dit qu’elle n’existe que depuis la colonisation..
Il oublie "seulement" les berbères, descendant des numides, envahis par les phéniciens, puis les romains, puis les byzantins, puis les vandales, puis les arabes, puis les ottomans, puis les Français...
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Et comme le montre cette grande céramique avec une famille numide attendant son exécution, cela s’est toujours fait avec des résistances...

Nous savions que Macron est une machine médiatique sans vraie culture, dans un mépris typioquement néocolonial pour les peuples qui ne sont pas pour lui des peuples dominants, comme s’il ne savait pas qu’il n’est désormais qu’un pion dans le grand jeu des USA...

Au contraire, la richesse du patrimoine historique algérien confirme que les États sont toujours des constructions historiques, donc politiques... Ni ethniques, ni religieuses...

La France et l Algérie ont un point commun, leur construction nationale repose sur un moment clé révolutionnaire... C’est peut-être un point fort de notre visite. La solidarité franco-algérienne a besoin d’un ancrage populaire, d’un ancrage révolutionnaire. Les communistes des deux cotés de la méditerranée ont une grande responsabilité. J’espère que la direction du PCF s’appuiera sur ce voyage !

La coopération entre communistes permettraient d’aborder de très nombreuses questions sur l’Algérie aujourd’hui, son développement économique, les besoins sociaux des algériens, la situation démocratique qui inquiète quand on constate l’arrestation de l’éditeur et poète Lazhari Labter sans motif, mais aussi bien sûr ses relations avec la France, et notamment les raisons d’une émigration de jeunes qui continue pour se retrouver surexploités en France, et même parfois prisonniers de réseaux mafieux.

L’enjeu est d’aider au développement progressiste des deux cotés de la méditerranée et de favoriser toutes les opportunités de coopération "gagnant-gagnant" à la chinoise, pour en finir définitivement avec la Francafrique coloniale.



[17 communistes, mais merci à Samira Mesbahi, élue socialiste qui nous a accompagné et qui connait bien l’Algérie. Elle nous excusera si parfois nous disons par raccourci, délégation des communistes Vénissians...