J’ai déja évoqué en introduction les fractures françaises qui sont le contexte de cet anniversaire, mais je voudrais pour ce voeu rappeler le contexte de 1983.
Le quartier Monmousseau où vivaient beaucoup des jeunes de SOS Avenir Minguettes, se vidait depuis plusieurs années… Il y avait des milliers de logement vides, et quelques mois avant la marche, une première tour démolie dans ce quartier.
C’était 10 ans après les dernières constructions de la ZUP qui atteignait 40000 habitants quand les premiers départs ont commencé. En 1976, le maire Marcel Houel organise un conseil municipal extraordinaire aux minguettes pour alerter sur les conséquences de la crise qui frappe un quartier manquant cruellement d’équipements et de services. La ville fera son possible, construisant le stade, la piscine, deux centres sociaux, une clinique et une maison de retraite. Mais les trente glorieuses se terminent, les trente piteuses se préparent, la France capitaliste n’a plus besoin de cette immigration massive, la désindustrialisation commence.
Un excellent film de notre collègue Yves Benitah sur la marche a pour titre « 1983 L’ESPÉRANCE TRAHIE ». Le contexte, c’est la prise de conscience de l’échec de la gauche qui avait tant promis en 1981 ! Oui, cet anniversaire est aussi celui de la trahison d’une gauche qui s’éloigne des milieux populaires. Début 1983, le premier ministre Pierre Mauroy dénonce la grève des ouvriers de l’automobile comme religieuse, on ne parle pas encore d’islamisme, mais face au mur de l’argent, et avant la sidérurgie, la gauche va dire sa vérité, elle ne sera pas du coté des milieux populaires.
Je ne peux que parler de trahison de l’accueil par François Mitterand des marcheurs, alors même qu’il organise le tournant à droite qui conduira à l’éviction des ministres communistes. Mais cet échec de la gauche de 1981 est aussi l’échec du parti communiste.
Comment l’histoire aurait tournée si le parti communiste avait clairement dit qu’on ne pouvait pas faire confiance à Mitterrand ? S’il avait soutenu l’expérience à gauche sans aller au gouvernement, comme en 1936. S’il avait concentré et préservé ses forces pour organiser le rassemblement populaire capable de résister au mur de l’argent, construire l’unité français-immigrés affirmée dans beaucoup de manifestations, mais qui ne résistera pas à la crise et à son instrumentalisation par l’extrême-droite renaissante.
Un évènement de l’époque illustre bien cette tension entre le terrain et sa traduction politique. Fin 1980, à Saint-Maur, un foyer de travailleur maliens est en grève des loyers avec le soutien du PCF et de la CGT. Il y a des dizaines de communistes dans ce foyer de travailleur malien qui travaillent chez des asphalteurs. Quand le maire de St-Maur organise de nuit leur expulsion pour les installer dans un bâtiment de Vitry en attente d’une réhabilitation, c’est la colère, une grande manifestation est organisée à Vitry sur le thème « solidarité travailleurs français-immigrés ». Pourtant, vous n’en connaissez que la bataille médiatique sur le bulldozer de Vitry , traitant le maire de raciste, un comble, tout cela pour plomber la campagne présidentielle de Marchais.
C’est pourquoi le 10 mai 1981, dans la salle de la résidence étudiante de St-Irénée, j’interpellai des amis militants marocains, algériens ou tunisiens qui fêtait la victoire de la gauche en leur disant. « Mais vous ne savez pas que c’est lui qui signait les condamnations à mort en 1956 ? »
Oui, cet anniversaire de la marche de 1983 porte une exigence, la gauche doit tirer les leçons de son échec historique. Il y a urgence face aux dérives fascistes occidentales.