24e rapport annuel de la fondation Abbé Pierre

Face au mal-logement et à l’injustice, il faut changer de politique Enregistrer au format PDF

L’état du mal-logement en France 2019
Mercredi 10 avril 2019

Le 24 eme rapport sur le mal logement de la fondation Abbé Pierre a été présenté à Lyon ce vendredi 5 avril dans la grande salle pleine du cinéma Comedia. 300 personnes au moins et malheureusement, très peu d’élus, je n’ai vu avec moi que André Gachet, lui aussi conseiller métropolitain, et engagé professionnellement dans l’hébergement… Je n’ai pas vu d’adjoint au logement ou aux affaires sociales…

Pourtant, Olivier Brachet [1] redira en toute fin de rencontre son étonnement devant tous ces politiques, de gauche et de droite, qui félicitent et disent soutenir la fondation Abbé Pierre avant les élections alors que depuis 20 ans, toutes les politiques logement vont dans le mur.

Pour la FAP, Manuel Domargue, animateur de l’équipe de rédaction du rapport, rappellera qu’en 2017, la fondation avait décidé de mettre les candidats aux présidentielles au pied du mur en leur proposant son plan « zero SDF »… Ironie de l’histoire, tous l’avait soutenu, y compris Emmanuel Macron, dont on sait ce qu’il en a fait ensuite… remise en cause des APL, de l’aide à la pierre, bref, une attaque frontale contre le logement social !

Il conclura par une formule choc qui n’est sans doute pas dans les habitudes de la fondation… « peut-être faut-il être moins aimé et plus craint »  !

Le titre du 24e rapport de la fondation est d’ailleurs sans aucune ambiguïté :

Face au mal-logement et à l’injustice, il faut changer de politique

On ne peut être plus clair, et si bien entendu, ce n’est pas le rôle de la fondation de dire comment, je ne peux que dire, comme communiste, que la première condition pour changer de politique, c’est de changer le rapport des forces dans notre pays, entre les intérêts des plus pauvres, de ceux qui vivent mal d’un travail le plus souvent précaire, et les intérêts des plus riches, ceux dont les revenus explosent et que le gouvernement et le président soutiennent en promettant le « ruissellement » des riches vers les pauvres, dont nous savons tous qu’il est illusoire en plus d’être scandaleusement méprisant pour notre peuple.

Ces échanges en conclusion de la journée me conforte dans l’appel lancé à tous les acteurs du logement social pour faire grandir l’expression de la colère citoyenne contre le mal logement et faire grandir, avec tous ceux qui portent des actions et des projets concrets, l’exigence d’une autre politique du logement.

Mais le plus important de la présentation était bien sûr dans son contenu, avec d’abord le résumé des chiffres nationaux du mal logement, puis la présentation de la démarche « logement d’abord » enfin par des témoignages régionaux de l’expérience de la rue qui sont sans doute le plus terrible mais le plus utile de cette matinée pour démonter les arguments de ceux qui justifient ou excusent le bilan catastrophique des politiques publiques.

Pour les chiffres, le mieux est de lire la synthèse du rapport ou même le rapport complet, dont la présentation est résumée dans les diapos suivantes

Pour le logement d’abord, la présentation a détaillé les différentes mesures prises par le gouvernement, 3000 places supplémentaires pour le plan froid pour arriver à 150 000, 5 Millions d’euros pour mieux connaitre les personnes à la rue, 10 millions pour mieux accompagner vers le logement, 2 millions pour un système d’information de prévention des expulsions [2]…, chiffres qui impressionnent peut-être mais qui semblent subitement bien limités quand on rappelle qu’il y a plus de 15 000 expulsions par an et 900 000 personnes privées de logement personnel, qui toutes sont dans des procédures d’urgence, de recherche d’hébergement, et donc concernées par la démarche « logement d’abord ». Autant dire que le compte n’y est pas.

D’autant que dans ce plan, le gouvernement annonce fièrement l’ambition de 40 000 PLAI par an, le logement pour les revenus les plus bas, alors même que la pression sur les bailleurs sociaux a conduit à une nette chute de la construction de logements sociaux, dont les PLAI qui sont passés de 35000 en 2017 à 30000 en 2018 ! Macron avait déjà dans son programme l’objectif de 40 000, il a fait l’inverse, mais le reprend dans le plan logement comme s’il n’avait pas organisé ce coup de frein résultant de sa politique logement !

D’après la fondation, l’ensemble des mesures permettaient sans doute de traiter 40 000 situations, ce qui n’est pas négligeable mais loin de l’ampleur du mal logement, alors que dans le même temps, le gouvernement prévoit la vente de 40 000 logements sociaux et que la caisse des dépôts envisage une baisse de la construction de 60 000 logements sociaux par an ! Il est clair qu’avec cette politique, le mal logement va continuer à s’aggraver.

Mais il reste que la démarche logement d’abord, malgré l’insuffisance des moyens est fortement soutenue par la fondation Abbé Pierre. C’est une démarche expérimentée dans plusieurs pays avec succès et qui repose sur un principe simple. Plutôt que de classer les personnes sans domicile dans des catégories relevant de différentes formes d’urgence, demandeurs d’asile, déboutés d’asile, hébergés à la rue, suite d’expulsions, jeunes à la rue, sorties de prisons, femmes seules avec enfants…et de multiplier différentes structures d’hébergement collective, il faut simplement apporter un logement qui permettra à la personne de retrouver un chez soi, et d’agir pour ses droits, reconstruire sa vie… C’est le sens du « logement d’abord »…trouver un logement, pour créer les conditions de traiter les autres difficultés de la personne.

La présentation a insisté sur le fait que cela supposait un changement de pratiques pour les acteurs du logement, les travailleurs sociaux, les bailleurs, les associations. Elle dira qu’il faut « sortir d’une culture du tri »

J’ai réagi sur ce point en repartant du témoignage de la directrice de la Sasson, association importante en Savoie qui organise notamment accueil de jour, hébergement collectif, sortie d’hôpital psy… et qui concluait son intervention en s’interrogeant « je me demande sur quel critère choisir celui à qui on proposera un logement d’abord et celui à qui on proposera notre hébergement collectif, car pour lui, j’ai l’impression que c’est une punition.. »

Le témoignage de la Sasson rejoint la conclusion de la présentation nous demandant de sortir d’une culture du tri. Je comprends bien qu’il faut effectivement changer de pratiques, trouver comment aller vers les personnes en difficulté, mais je crois qu’il ne faut pas se culpabiliser, ne surtout pas culpabiliser ceux qui sont au concret confrontés à la nécessité de prendre des décisions pour des situations concrètes pour lesquelles on ne trouve pas de bonne solution. Très franchement, j’ai l’impression personnellement de ne faire que du tri tant le nombre de demandes de toute sorte est largement supérieure aux possibilités !

Mais ce ne sont pas les acteurs du logement et de l’hébergement qu’il faut culpabiliser, ce sont les décideurs de cette politique logement qu’il faut culpabiliser ! Car si on continue comme le montrait la présentation a supprimer 4 millliards par an pour le logement social, quelque soit notre engagement, nos pratiques n’y résisteront pas !

Je termine avec le plus frappant de cette matinée, les témoignages de l’expérience de la rue… La Fondation utilise une expression surprenante la première fois qu’on l’entend, « sortir de la position du ventriloque ». La formule veut dire qu’il faut cesser de parler à la place des personnes concernées et leur donner la parole. C’est ce que font ces cahiers de témoignage de la fondation de jeunes souvent issus de la protection de l’enfance, qui galèrent entre squat, sous-location, expulsion, la rue, et se retrouvent dans une grotte, de jeunes femmes expulsées, en hébergement insalubres, tentent de s’en sortir en CHRS ou en maison de famille, de déboutés du droit d’asile…

Pour mieux comprendre ce que vivent ces personnes qui ont toutes une histoire personnelle, mais toutes avec des accidents de la vie, des coups pris et des espoirs, des expériences de solidarité, le mieux est de lire ces témoignages régionaux de l’expérience de la rue

Ces témoignages sont essentiels parceque le débat politique sur l’accueil est marqué par un affrontement médiatique qui oppose le plus souvent les sentiments au réalisme, s’appuie sur les peurs que génère une société inégale et violente, comme si les personnes à la rue étaient différentes des autres, une catégorie à part qui porterait une part de responsabilité dans leur situation. Or nous connaissons tous des situations, l’enfant d’un ami qui arrête brutalement des études brillantes et part à la rue avec un chien, le jeune couple qui divorce et l’un des deux qui galère et s’enfonce dans le déni, un militant que l’alccolisme a détruit et qui se clochardise…

Sur le marché de Vénissieux, j’ai eu l’occasion d’une discussion avec une jeune femme d’origine maghrébine qui me disait « mais on ne peut pas les accueillir tous », et dont je découvrais qu’avec son mari d’origine malienne, ils avaient hébergés temporairement deux ados maliens à la rue qu’ils avaient rencontré dans Lyon … Une contradiction qui n’est sans doute pas si rare tant la solidarité reste solidement ancré dans les modes de vie populaire alors que la faiblesse des perspectives politiques de rupture avec le capitalisme laisse la place aux conséquences idéologiques de la concurrence de tous contre tous…

J’espère que beaucoup de défenseurs du logement social vont prendre la parole dans la période qui vient pour sortir d’une habitude trop docile avec les gouvernements. Nous n’avons pas le choix, il faut faire grandir des forces pour lui dire NON… et le traduire en actes…

[1bien connu à Lyon pour avoir été le vice-président logement de Gérard Collomb avant d’en démissionner très critique en 2015

[2on se demande bien ce qu’un outil technique va apporter de plus à la détection des retards de paiement que tout bailleur constate évidemment facilement !

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