«  Là où l’institut passe, l’ordure trépasse et la rose peut s’épanouir.  »

A la découverte de la rudologie… Enregistrer au format PDF

«  Montrez-moi ce que vous rejetez et je comprendrai qui vous êtes et comment vous travaillez »
Dimanche 26 mai 2013 — Dernier ajout lundi 13 mai 2013

Cette semaine de la propreté est un bon cadre pour trouver ensemble comment parler de la propreté de manière utile… Car on peut bien sûr, et il le faut, dénoncer les salissures, les dépôts sauvages, les incivilités de la gestion des déchets… Mais comment être utile quand on se rend compte qu’il ne suffit pas de quelques décisions techniques face à ce qu’il faut bien appeler une « co-responsabilité » de nombreux acteurs de la ville dans le niveau de propreté (ou de salissure comme on préfère) de nos quartiers.

Pour qu’une ville soit propre, il faut bien sûr de bons services publics de la gestion des déchets et de la propreté, mais aussi des espaces publics,des équipements, des voiries, des bâtiments… facilitant l’entretien et le nettoyage, et avant tout des agents de collectivités, bailleurs, transports publics… bien formés pour être de bons artisans du cadre de vie…

Mais il faut aussi des usagers de la ville, des habitants, des citoyens qui se préoccupent de leur cadre de vie commun, de la gestion des déchets, du tri sélectif, des corbeilles de rue… des commerçants qui se préoccupent des alentours de leur vitrine… et que tous soient capables de se parler pour décider ensemble quels doivent être les « bons usages » de l’espace public…

Car on produit nécessairement des déchets, chez soi bien sûr, mais aussi de plus en plus dans la ville, car les modes de vies multiplient les déplacements, les échanges, les moments de rencontres dans des lieux publics, et cela conduit à des modes de consommation « rapides », « mobiles » qui multiplient aussi les emballages, les déchets… Faudrait-il donc « interdire » les déchets ? demander à chaque usager de la ville de se promener avec sa poubelle portative pour ne jamais rien avoir à jeter quelque part ? Et bien sûr, prévoir suffisamment de policiers pour le contrôler à chaque coin de rue…

Prenons le cas des déjections canines pour lesquelles on ne doit plus dire « apprenez lui le caniveau », mauvais slogan qui conduit de fait à des trottoirs remplis de crottes en ville. La règle est claire, le propriétaire d’un animal est propriétaire aussi… des déjections de l’animal, et doit donc les ramasser ! Mais il faut alors des poubelles suffisamment proches pour permettre au propriétaire de jeter son petit sac plastique de déjections canines, sans se promener avec trop longtemps…

C’est la même chose pour le tabac et les mégots. C’est très difficile de demander à un fumeur de ne pas jeter de mégots au sol, il existe bien de petits cendriers portatifs très pratiques… Mais quand on constate l’état du sol devant des immeubles tertiaires ou des dizaines d’employés se retrouvent pour fumer, ne faut-il pas réellement sanctionner le jet de mégot au sol, comme une « déjection tabagique » ?

L’orientation stratégique de la gestion des déchets et de la propreté du Grand Lyon est basée sur la réduction globale du volume des déchets et la réduction à la source de la salissure…

J’ai déjà eu l’occasion de dire que la réduction du volume des déchets est justifié… dans une certaine mesure. Car dire par exemple qu’il faudrait réduire le volume de nos poubelles de 5% par an, c’est comme chez les acheteurs des constructeurs automobile qui impose une baisse de prix de 5% par an à leur fournisseur… c’est la mort des fournisseurs, avec toutes les tentatives pour survivre même en trichant… Pour les déchets, c’est un peu pareil. Si on applique les propositions de taxe « incitative » en pesant les poubelles, on va multiplier les problèmes de gestion des bacs, de fraudes et de conflits « non, ce déchet n’est pas à moi »…

Or, en fait, toute activité humaine génère « normalement » des déchets, ce n’est ni une tare, ni une erreur ! Il faut donc dire clairement que le déchet n’est pas une ordure [1] ! Ce n’est pas un « immondice » une chose sale à cacher et à rejeter loin de la ville dans les « banlieues ». Au contraire, il a de la valeur, par la matière ou les composants qui peuvent être recyclés donc revalorisés, par sa capacité calorifique qui le transforme en combustible… Et tout le monde connait aujourd’hui l’exemple des 27 bouteilles plastiques avec lesquelles on fait un pull en polair, mais qui sait que la plus grande part de la fabrication d’acier spéciaux dans la sidérurgie repose sur un savant dosage de produits recyclés, qu’une part importante des terres rares indispensables aux technologies de pointe proviendra du recyclage des matières luminescentes utilisées en éclairage et en électronique…

Nos parents jardiniers connaissaient bien quand ils stockaient les déchets verts au fonds du jardin ce qu’on appelle aujourd’hui « composter ». Toute l’histoire de l’agriculture et des engrais animaux, ce « glandousage » qui fait grimacer les enfants de la ville dans des trajets ruraux, nous rappelle l’importance de ces cycles de la vie… Mais on sait moins que le cycle des matières devient un enjeu crucial de toute activité industrielle, dans lesquelles ce qui était un déchet devient souvent un « co-produit » utilisé dans d’autres activités.

De fait, le déchet est toujours une étape dans un cycle lié à la consommation humaine, et s’il était possible dans une humanité de petits villages de stocker ce qu’on ne réutilisait pas dans un coin éloigné du bourg sans s’en préoccuper, ce n’est plus du tout possible dans une planète de 10 milliards d’habitants, une agglomération d’un million d’habitants, ni même dans une petite ville qui veut préserver son environnement proche, sauf à payer cher pour envoyer ses déchets au loin.

Et quand la puissance publique n’impose pas de règles strictes sur les déchets, elle laisse se développer ce dramatique trafic des déchets dans lequel excellent les diverses mafias du globe, pas seulement à Naples, trafics qui finissent dans ces terribles et dangereux dépotoirs du tiers monde ou se retrouvent des déchets des pays développés et sur lesquels vivent et meurent des enfants et des familles.

La gestion des déchets est bien un signe de développement de la civilisation, comme l’assainissement ou l’organisation des transports, elle est intimement liée à l’urbanisation qui a transformé les paysages et les sociétés depuis deux siècles. Ce n’est pas pour rien que c’est à Paris, en 1883, que la « boîte à ordures » du préfet Eugène Poubelle est devenu obligatoire pour chaque foyer.. la « poubelle » était née…

Mais il a fallu encore plus d’un siècle pour prendre en compte de manière globale cette place des déchets dans la vie humaine et inventer les outils scientifiques et techniques pour comprendre et agir efficacement sur ces déchets…

C’est dans les années 70 qu’un professeur de chimie de l’INSA de Lyon, Alain Navarro, crée le département « génie énergétique et environnement » qui forme notamment des ingénieurs en « Génie des Procédés et Environnement » dédiés aux méthodes de traitement des déchets. Cette formation de haut niveau mobilise des compétences en calcul, modélisation des traitements des déchets solides, liquides et gazeux, par des moyens chimiques, thermiques, biologiques… Il sera à l’origine de toute une vague de chercheurs et… de projets et décisions politiques. C’est en 1975 qu’une première loi sur la gestion des déchets formalise une politique publique qui sera progressivement enrichi dans le « code de l’environnement » devenu depuis un outil essentiel des politiques urbaines. Les innovations techniques pour recycler, revaloriser, incinérer dans de (très) bonnes conditions environnementales vont se succéder et nous sommes 40 ans après dans un environnement totalement différent. Nous maitrisons mieux que jamais le cycle des déchets et nous sommes capables, techniquement, de réduire très fortement leur impact sanitaire sur notre environnement… Il vaut mieux vivre à coté d’un incinérateur de Lyon en 2013 qu’à coté d’une des innombrables décharges non contrôlées du siècle dernier !

Mais tout n’est pas dans les sciences et techniques, et c’est en 1985 que Jean Gouhier, un professeur de géographie de l’université du Mans, en France, invente la « rudologie », c’est à dire « l’étude des déchets, des rejets et des marges des systèmes économiques et sociaux (de rudus = décombres et de logos = science) »

Il nous dit C’était, à l’époque, un concept avant-gardiste. La rudologie concerne l’étude et la caractérisation des biens exclus et rejetés, des conditions et des fondements de leur mise en marge. Les biens et matériaux déclassés attirent les pauvres et marginaux sociaux ; la rudologie assume cet aspect social. Donc, la démarche englobe tous les champs de l’approche géographique des rejets et des marges : espaces, biens, individus…

La rudologie propose une analyse de l’activité économique et de la pratique sociale à partir de l’étude de ses traces marginales, les rejets, pour remonter vers son centre, son organisation. En quelque sorte, « Montrez-moi ce que vous rejetez et je comprendrai qui vous êtes et comment vous travaillez ».

Certains me diront que c’est un long détour pour revenir à la propreté.. Mais l’objectif du programme de cette semaine de la propreté, c’est justement de prendre un peu de recul sur le constat de qui ne va pas (et de ce qui va !), et de chercher à comprendre ensemble comment agir. Car la salissure qu’il faut réduire sur les trottoirs, les parcs, les rues, les stations de tram, les marchés, les alentours de bacs poubelles, les arrières de commerces… toutes ces salissures sont fondamentalement des déchets. Et considérer que les déchets sont une richesse, un « minerai urbain » comme on dit parfois, c’est transformer le regard que chacun jette sur eux… Ce ne sont plus des… déchets qu’on cache, des choses qui ont « déchues » de leur valeur, mais des choses qui ont été utiles et qui le seront demain sous une forme ou une autre.

C’est ce que nous dit aussi le géographe rudologue..

À force de recherche-action dans les quartiers déclassés, nous nous sommes aperçus que l’état d’un espace de vie collective reflète l’intérêt que lui portent ses résidents. En quelques mots : «  espace sali, territoire refusé  » ; «  espace propre, territoire accepté  » ou encore «  espace fleuri, territoire privilégié  ». Et dans nos interventions régulières dans des quartiers négligés, nous rappelions volontiers : «  Là où l’institut passe, l’ordure trépasse et la rose peut s’épanouir.  »

C’est une conclusion qui ne peut que réjouir les Vénissians, la ville à la si longue histoire des roses et de la bataille pour les services publics !

Bref, lors du prochain conseil citoyen, nous allons parler des nombreux métiers de la propreté, avec tous les acteurs de la communauté urbaine, des bailleurs de la ville, des centres de formation… Et nous pourrons donc dire, habitants, élus, délégués, gardiens, éboueurs, balayeurs, jardiniers, responsables de services publics… « nous sommes tous des rudologues » !

[1petit sourire, le père noël non plus, c’est bien connu…

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