Barrage Rhonergia, entre opportunité et impact environnemental Enregistrer au format PDF

Vendredi 2 février 2024

Lors du conseil d’administration de la régie de l’eau de Lyon, un voeu a été adopté pour soutenir les questions posées par la régie dans l’enquête publique sur le projet de barrage Rhonergia. Je me suis abstenu et il me parait important d’expliquer pourquoi en faisant connaitre ce projet de barrage et l’enquête publique encours.

Les questions posées par la régie de l’eau sont légitimes et sérieuses, des études doivent impérativement apporter des réponses pour que le projet puisse être engagé plus avant. C’est normal puisque l’enquête publique est très en amont du projet, justement pour un débat sur l’opportunité d’étudier ou pas ce projet. Elle repose sur une intention exprimée par la Compagnie Nationale du Rhône à qui l’état a confié ce projet dans le cadre de sa concession. L’enquête a justement pour but de dire s’il est opportun d’aller plus loin et d’engager une conception détaillée du projet.

Il est donc totalement légitime de poser des questions sur les impacts environnementaux du projet, mais cela ne peut suffire à décider s’il faut aller plus loin ou pas. Tout projet de ce type, qu’il soit hydroélectrique, éolien, photovoltaïque ou nucléaire, a nécessairement des impacts environnementaux négatifs, et si on ne tient compte que de ces impacts, alors aucun projet n’est pertinent. L’objectif des études devraient être de trouver des solutions pour réduire au maximum les impacts négatifs afin de mieux valoriser les impacts positifs du projet.

C’est ce que le garant du débat public évoquait en conclusion de la rencontre publique thématique sur l’impact environnemental, « il est dommage qu’aucun intervenant ne parle en soutien au projet », et notamment de sa pertinence énergétique.

Et c’est ce qui me parait insatisfaisant dans la délibération proposée au CA de la régie de l’eau, tout comme dans celle proposée à la commission permanente de la métropole, ce 12 février prochain.

Pertinence énergétique et impact environnemental

Car si le projet a une pertinence énergétique, alors il est utile d’étudier comment réduire ses impacts environnementaux, et comment les compenser si on ne peut les réduire totalement, ce qui nécessairement représentera un surcoût qui peut être important pour le projet et mettre en péril sa pertinence économique. Mais s’il n’y a pas de pertinence énergétique, alors inutile de chercher comment réduire ou compenser ses impacts environnementaux.

Certains me disent « mais la régie de l’eau n’est concerné que par l’impact de ce projet sur l’eau, pas sur le reste ». Ce n’est pas vrai, car le changement climatique concerne la régie de l’eau au premier chef. Selon le niveau d’’augmentation de la température, on peut arriver ou pas à la fin des glaciers des alpes et donc d’une part de l’alimentation en eau du Rhône, et donc des champs captants qui alimentent l’eau potable de 98% des habitants de l’agglomération. Le changement climatique a de grandes conséquences sur les pluies extrêmes, comme sur les sécheresses et donc sur l’accès à l’eau potable. Donc, du point de vue même de l’eau, nous avons tout intérêt à poser la question du scénario énergétique le plus favorable à réduire les émissions de gaz à effet de serre jusqu’à arriver à la « neutralité carbone », objectif fixé pour 2050 par de nombreux scénarios climatiques. Cette neutralité carbone dépend notamment du scénario énergétique, donc de la part d’électricité remplaçant les énergies fossiles dans le chauffage, les déplacements, l’industrie, l’agriculture.

De ce point de vue, la métropole de Lyon devrait se prononcer pour le développement de l’hydro-électricité, une énergie décarbonée et pilotable, qui peut produire quand on en a besoin, et notamment pour compenser l’intermittence de l’éolien et du photovoltaïque. Tout projet hydroélectrique a un impact environnemental, que ce soit à coté de Lyon ou ailleurs, et donc la première question à poser pour moi est celle de la pertinence d’un tel projet du point de vue énergétique et donc climatique.

Une hydroélectricité bienvenue à condition de ne pas générer une rente privée poussant le prix de l’électricité à la hausse

C’est pourquoi les communistes interrogent les objectifs du projet et les conditions économiques de sa conception. Certains disent que c’est un projet souhaité par EDF pour garantir l’accès à l’eau du Rhône de la centrale du Bugey. C’est non seulement faux, mais c’est même le contraire de la situation réelle, puisque les gestionnaires de la centrale du Bugey sont inquiet de l’impact de ce projet de barrage sur les conditions d’exploitation de la centrale. Il pourrait y avoir des situations de concurrence sur l’eau entre la centrale et le barrage. C’est un des enjeux des études d’opportunité énergétique. Si la production du barrage conduit à réduire la production de la centrale, c’est un non sens.

Le projet représente 40MW de puissance, à comparer avec les 26 000 MW installé en France. C’est une petite installation, toute petite par rapport aux 3600MW de la centrale du Bugey. Mais ce sont 40MW potentiel de plus qui viennent aider à l’équilibre du réseau électrique, avec une énergie décarbonée et pilotable. Il y a une dizaine de projets de ce type en France. Il pourrait y avoir des projets plus grand, notamment pour se protéger des crues millénaires du bassin de la Seine.

Mais la puissance ne suffit pas à affirmer l’opportunité du projet, si on ne dit pas à quel prix l’électricité peut être produite. Dans ce cas, tout dépend de la durée d’amortissement de l’investissement estimé aujourd’hui à 400M€ mais qui dépassera sans doute les 500M€. Si c’est le service public qui organise ce barrage et qu’il est amorti sur une durée longue de 70 ans, alors le coût sera de l’ordre de 45€/MWh, autrement dit, pertinent. Si au contraire, il doit être amorti par un acteur privé sur 40 ans, alors le coût se rapprocherait de 100€, nettement moins intéressant. Si la prise en compte des impacts environnementaux conduit à augmenter encore le prix, ces chiffres se dégradent fortement.

C’est pourquoi les communistes interrogent le modèle économique et la nature des acteurs en jeu. On sait que le premier actionnaire de la CNR est le groupe privé ENGIE, acteur historique du gaz premier concurrence d’EDF. ENGIE a besoin de décarboner son activité et voit donc sans doute d’un bon œil ce projet d’hydroélectricité. Mais il doit chercher la rentabilité et peut avoir du mal à la construire sans une durée longue de 70 ans… Le cadre économique de l’exploitation de ce barrage est donc essentiel. Les communistes n’accepteraient pas qu’un tel projet soit vu par un acteur privé comme une rente garantie sur des décennies. Qui fixera le prix ? Qui vendra et fera ou pas une marge ? Nous sommes d’autant plus inquiet que certains évoquent l’hypothèse de sortir les barrages du régime des concessions et de les placer sous le régime des autorisations sur des durées courtes. Cela impliquerait de mettre l’hydro-électricité sur le marché avec des opérateurs cherchant à vendre au prix haut, au lieu de piloter en fonction des besoins.

Oui, il faut étudier les impacts environnementaux pour les réduire ou les compenser.

En supposant la pertinence de ce projet, dans un cadre économique donné, il reste à savoir s’il est capable de réduire fortement ses impacts environnementaux et si nécessaire de les compenser largement.

D’abord la hauteur de chute d’un peu moins de 7m parait plus faible que celle du barrage de Cusset (12m) ou de Pierre-Bénite (9m). Pour obtenir cette hauteur de chute, de gros travaux de creusement sont prévus en aval et d’élargissement du fleuve en amont avec un impact sur le niveau de l’eau sur 22 km. Bien sûr, si on réduit la hauteur, on réduit l’impact environnemental, mais on réduit aussi la puissance électrique, dont la pertinence énergétique. Cela dit, il serait utile d’avoir des chiffres sur une hauteur de chute plus faible, de 5 m par exemple, car la réduction des impacts environnementaux est peut-être plus facile avec une chute de 5m.

De même, le projet présenté implique une artificialisation des berges du Rhône sur les 22km amont du barrage. Pourquoi ? Quelles alternatives sont possibles, sachant que les berges en amont du barrage de Cusset ne sont pas artificialisées ?

En tout état de cause, les questions posées dans le cahier d’acteur de la régie de l’eau sont justifiées et sérieuses et demandent des réponses détaillées par des études partagées par l’ensemble des acteurs.

  • impact de Rhônergia sur la ressource en eau en contexte de changement climatique
  • Influence de Rhônergia sur la thermie des eaux du Rhône
  • Impact des aménagements liés au barrage-usine sur les eaux souterraines de la zone
  • Impact du projet sur la qualité de l’eau et les sédiments

Oui, il faut des études partagées et donc il faut poursuivre !

En conclusion, il est essentiel d’abord de compléter les études sur la pertinence énergétique, en précisant le modèle économique, les conditions de vente de l’électricité produite, avec des variantes sur le dimensionnement du barrage et notamment de la hauteur d’eau.

il faut ensuite des études partagées et complètes sur les différents impacts environnementaux. On peut faire confiance aux services de la régie de l’eau pour identifier les impacts sur l’eau, mais il faut aussi étudier les impacts sur la biodiversité, et sur les activités qui vivent du fleuve, notamment touristiques.

Au total, il faut que l’enquête publique actuelle, décidée très en amont pour que le débat public porte non pas sur un projet ficelé à prendre ou à laisser, mais sur une opportunité ou pas d’aller plus loin dans les études, il faut que cette enquête conduise à prolonger les études, en organisant un cadre impliquant toutes les parties prenantes, dont la métropole du Grand Lyon et la régie publique de l’eau.

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