une loi pour le logement ou contre le logement social ? Enregistrer au format PDF

introduction et étude du titre I de la loi…
Vendredi 16 février 2018

Après l’avertissement de la baisse des APL de 5€ l’été dernier, et l’attaque contre les bailleurs sociaux à l’automne leur faisant payer la nouvelle baisse des APL du budget 2018, le gouvernement présente le projet de loi logement dite « ELAN » [1] qui serait voté ce printemps. Elle va bousculer le modèle historique du logement social qui reposait sur le financement par le livret A, l’ancrage dans les territoires, des offices publics considérés comme des services publics et non pas des entreprises commerciales, un logement social sous condition de ressources mais ouvert très largement puisque 70% des Français sont éligibles…

Comme toujours, il s’agit officiellement de faire reculer le mal logement, d’assurer le droit au logement, le logement d’abord pour les hébergés et sans domiciles fixes… Mais qui le croit vraiment ? Ce discours était déjà tenu par tous les gouvernements précédents !

Déja, le président Macron doit reconnaître que son engagement « plus personne à la rue fin décembre » n’est pas tenu. Mais comme l’ancien président de la métropole Gérard Collomb, il a trouvé un coupable… les migrants qui sont trop nombreux… Il y a 8 millions de mal logés selon le rapport de la fondation Abbé Pierre, le nombre d’expulsions continue à augmenter, et ce qui s’aggrave le plus est la suroccupation des logements, avec de plus en plus de familles hébergeant des enfants, des proches, des parents… la faute aux immigrés ? Vraiment ?

La faute ne serait-elle pas au contraire chez les gouvernements successifs qui ont tous réduit les financements de l’état pour la construction de logement social, sous Sarkozy, puis sous Hollande, avant de se réduire avec Macron à 50 millions en 2018… alors que les aides fiscales pour la promotion privée dépasse les 2 milliards !

Le premier « choc de l’offre » de Macron… la baisse brutale des mises en chantier !

Les premières versions du texte de loi en discussion circulent, il faut d’urgence les décortiquer pour comprendre comment ce gouvernement veut restructurer le logement… Mais un premier constat s’impose…

Macron avait parler d’un « choc de l’offre » nécessaire. Le premier bilan après quelques mois de ce gouvernement est terrible. Sarkozy puis Hollande avaient malgré tout fait progresser la construction de logements sociaux, insuffisamment certes, mais on arrivait avec 130 000 logements sociaux construits en 2016 à se rapprocher de l’objectif nécessaire des 150 000 logements sociaux par an. Et les efforts pour les logements les plus sociaux commençaient à produire des résultats…

Mais fin 2017, les projets de logements sociaux s’effondrent, -7% alors que la tendance était à +14% en juin… Et ce sont les logements les plus sociaux (PLAI) qui sont en chute libre, normal, les bailleurs sociaux savent qu’ils vont perdre une grosse part de leur capacité de financement et reportent des décisions avant d’y voir plus clair… Macron a provoqué un choc de l’offre… à la baisse !

La loi logement dite loi ELAN

Mais qu’est-il prévu dans cette loi pour les années qui viennent ? Trois grandes parties :

  • Titre 1 : construire plus, mieux et moins cher
  • Titre 2 : Répondre aux besoins de chacun et favoriser la mixité sociale
  • Titre 3 : Améliorer le cadre de vie

Notons qu’il est prévu que de nombreuses mesures soient prises par ordonnance, le gouvernement veut aller vite et éviter des débats prolongés au parlement…

- Titre 1 : construire plus, mieux et moins cher

Les 24 premiers articles de cette première partie concernent les règles d’urbanisme, la libération du foncier public (article 1), la transparence des données foncières de l’administration (article 3), la simplification des procédures (article 4), des enquêtes publiques (article 7) [2], favoriser la transformation de bureaux en logements… (article 9), modifier la hiérarchie des normes (article 11), faciliter les recours contre l’avis des architectes de bâtiments de France (14), dématérialiser les permis de construire (16) [3], la simplification de la commande publique pour aller plus vite (articles 18,19,20, la possibilité de faire de la vente par un promoteur à un bailleur (VEFA) avec une partie réalisée par le bailleur…

Attention à l’article 17 qui allège les les normes d’accessibilité. Actuellement, tout logement construit doit être accessible, il suffirait demain que le logement « puisse devenir accessible »…

Au fonds, ces articles reposent sur l’idée que c’est la complexité des procédures qui freine la construction et qu’il faut donc « simplifier ». Certes, il peut y avoir des procédures à améliorer, mais on a su construire 130 000 logements sociaux en 2016 avec les procédures actuelles. Qu’est-ce qui manquait aux acteurs pour en construire disons deux fois plus ? tout le monde le sait, tout simplement deux fois plus de…. financements !

Prenons un exemple : était-il difficile de construire du logement social dans l’hôtel-dieu à Lyon, site classé, historique et qu’on ne peut défigurer… Oui nous dira-t-on ! Mais on y a bien construit des hôtels de luxe ! Est-ce que c’était trop difficile ? Bien sûr que non ! La seule question est celle des financements ! Aucune banque ne rechigne à financer le luxe, mais sans la volonté forte de l’état et ses financements, il est très difficile à un bailleur social de monter un projet, surtout dans les zones urbaines denses ou les contraintes sont nombreuses… On saurait facilement faire plus dans des départements ruraux, mais pour y loger qui ? [4]

Il y a des maires qui disent que c’est compliqué, qu’ils ont un patrimoine historique, que leur commune est en pente, qu’ils n’ont pas de foncier disponible… mais si un promoteur a un projet de logement pour les plus riches, ou un projet de casino… les problèmes disparaissent comme par enchantement !

Le seul sujet qui n’est absolument pas abordé dans cette partie est pourtant le nerf de la guerre… le financement ! Le titre devrait être « construire plus avec moins de financement public ! », mais chacun comprendrait que la conséquence serait alors de construire moins bien ou de faire appel au privé en augmentant les loyers !

Il faut le répéter. Aujourd’hui, ce sont principalement les salariés à travers le 1% logement et les locataires à travers les loyers qui financent la construction de logement. L’état ne joue plus aucun rôle. Et si les efforts de simplification et d’innovation pour construire moins chers sont les bienvenus, on ne peut espérer construire « plus, mieux et moins cher », c’est à dire des logements de qualité accessibles, sans augmenter massivement le financement public. Il faut revenir au 1% logement affecté à la construction, et affecter autant de financement d’état à la construction de logement social que de coût fiscal en faveur des promoteurs… Mais comme toujours, c’est au contraire le grand écart entre le discours « construire plus » et le refus d’en faire une politique publique avec les budgets nécessaires !

La restructuration des bailleurs sociaux

Dans ce titre I de la loi, il y aura l’article 25 qui sera sans doute le plus important et qui pourra être voté par ordonnance, autrement dit sans débat contradictoire à l’assemblée. On ne connait toujours pas la rédaction ! Elle se baserait sur l’accord passé en décembre par le gouvernement avec les « entreprises sociales de l’habitat », les bailleurs sociaux privés et principalement le groupe « action logement », c’est à dire le patronat qui gère seul désormais les fonds importants du 1% logement…

  • le premier objectif est de restructurer les organismes de logement social . Aucun bailleur n’est opposé à des mutualisations intelligentes, mais de toute façon l’article 52 de la loi de finance 2018 mets des centaines de bailleurs sociaux dans le rouge, et ils n’auront pas d’autre choix que de vendre et/ou de chercher un repreneur… Certes, le projet dit qu’il faut « maintenir le lien avec les territoires », mais comment en concentrant le logement dans des grands groupes privés gérant des centaines de milliers de logements dans toute la France ?
  • le deuxième objectif est la « liberté patrimoniale des bailleurs sociaux » , autrement dit que les bailleurs sociaux se comportent comme des acteurs privés de l’immobilier en cherchant à « valoriser » leur parc pour pouvoir… faire de l’argent en le vendant ! C’est ce que disait le président de la SNI devenue CDC habitat, le bras logement de la caisse des dépôts. Il conseillait aux bailleurs de devenir des « gestionnaires d’actifs immobiliers »
  • le troisième objectif est encore de « simplifier le cadre juridique » , notamment en rapprochant les règles de la commande publique pour les bailleurs sociaux des règles privées… Ah, que le privé est beau et efficace… Mais que fait-on des garanties de l’équité et de la transparence de la commande publique ?
  • enfin, il faudrait réformer la politique des loyers . Il s’agirait de les adapter aux ressources des ménages, toujours pour réduire le budget des APL financé par l’état. Mais si l’état continue à réduire les APL, et laisse les bailleurs se débouriller pour équilibrer leur compte, chacun comprend que pour que certains loyers baissent, d’autres devront augmenter ! Pour aller réellement vers un plafonnement des loyers par rapport aux revenus, il faudrait une gestion nationale des écarts entre loyers réels et loyers plafonnés, et donc un service public national du logement reposant sur la transformation des aides individuelles en subvention d’équilibre des bailleurs !

Ce titre I est tout à fait révélateur des choix politiques du macronisme, qui va au bout des logiques de privatisation, de marchandisation que la droite et la gauche introduisaient déjà par étapes dans le logement social depuis des années.

Une loi contre le modèle historique du logement social !

C’est bien le modèle historique d’un logement social « généraliste » qui est mis en cause, un logement social s’adressant à la majorité des habitants, logeant les plus pauvres, mais aussi la majorité des salariés, financé à long terme par le livret A et la caisse des dépôts, fortement subventionné par l’état et les collectivités, ancré dans les territoires en lien étroit avec les collectivités locales, acteur de premier plan du développement urbain [5]

Les offices publics de l’habitat sont des quasi-services publics, ils n’ont pas d’actionnaires, ne versent pas de dividendes, ne paie d’ailleurs pas d’impôt sur les sociétés, réinvestissent tous leurs bénéfices dans leur parc et la relation avec leurs locataires. Beaucoup d’autres bailleurs sociaux aux statuts divers (SEM, ESH…) restent dans cet état d’esprit qui marque l’ensemble du mouvement HLM dans sa diversité.

Mais le patrimoine du logement social est énorme, et beaucoup d’investisseurs le regardent comme un trésor à exploiter… Vendre, revendre, segmenter, spécialiser, fluidifier, marger, valoriser… ils sont prêts, et la loi est faite pour eux !

Suite de la lecture des titres II et III de la loi prochainement…

[1pour « évolution du logement et aménagement numérique », Encore un coup de marketing, le numérique va nous sauver ! Il faut le dire aux mal logés, expulsés, et hébergés de toute sorte… !

[2Attention aux simplifications qui peuvent conduire à ne plus évaluer correctement l’impact environnemental d’un projet…

[3le mythe du numérique qui simplifie tout a encore frappé… les projets informatiques ont des avantages mais conduisent souvent à des systèmes… complexes, comme le montre l’affaire du logiciel Louvain de l’armée….Le plus important est bien la maîtrise de leur processus par les acteurs métiers…

[4c’est un autre débat, mais il est évident qu’une autre politique d’aménagement du territoire est nécessaire pour revitaliser les zones rurales et freiner l’étalement des métropoles…

[5dans la métropole de Lyon, le logement social représente plus de 40% de la construction

Vos commentaires

  • Le 13 mars 2018 à 14:47, par Pierre-Alain En réponse à : une loi pour le logement ou contre le logement social ?

    Une nouvelle version du projet de loi a été publiée sur le site du Sénat, qui place l’article 25 concernant la restructuration des bailleurs sociaux comme un titre II de la loi.

    La caisse des dépots publie une synthèsequi confirme nos inquiétudes sur l’avenir du logement social

    Selon l’étude d’impact, qui s’appuie sur une évaluation du CGEDD et de l’USH, le potentiel de logements susceptibles d’être mis en vente est de 800.000 (en excluant les immeubles de moins de 10 ans, ceux situés dans les quartiers de la politique de la ville car ils « sont moins attractifs » et dans des communes SRU). Le ministère des finances estime que la vente de 800.000 logements permettrait de générer de quoi produire 2,4 millions de logements. Le CGEDD estime que la vente de 32.000 logements annuels dégagerait la somme de 2 milliards d’euros pour alimenter les fonds propres des bailleurs.

    Il s’agit donc bien de vendre pour reconstituer les fonds propres des bailleurs que l’état a asséché en leur imposant de compenser la baisse des APL… Le gouvernement dit que cela permettra de construire beaucoup plus… On a l’habitude des promesses, mais le texte évoque 32000 logement vendu qui génère 2 milliards, soit un prix de vente de 62000€ par logement, plutôt élevé par rapport à ce qui se fait, et compte tenu que les bailleurs doivent mettre 15 à 20% de fonds propres dans la construction neuve, soit 25000€ par logement en moyenne, on pourra construire 2, 5 logement neuf par logement vendu… soit 80000 logements par an, solde net 48000 logements de plus… En 2016, on était arrivé à 130 000 logements dans l’année, or la réforme de l’APL a fait perdre une grande part de leurs fonds propre aux bailleurs. La revente ne viendra que compenser partiellement cette perte…

    Au total, le gouvernement veut impressionner avec ce chiffre de 2,4 millions de logements neufs potentiels, mais comme toujours, c’est ce qui permet de faire des promesses… et la réalité sera bien un coup de frein sur le logement social !

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