la pression du « mal logement marchandisé »…
Le projet ne tient pas compte d’une réalité difficile à laquelle font face tous les acteurs du logement, mais dont on parle rarement. Dans notre société individualiste et marchande, le mal logement conduit au pire, des profiteurs de la crise et marchands de sommeil qui « gèrent » aujourd’hui de plus en plus de personnes qui n’ont pas le choix.
- de l’habitat indigne dans un parc privé vieillissant dont profitent des propriétaires peu scrupuleux, malgré les contrôles et le travail des collectivités, tellement la demande de mal logés est forte.
- de l’occupation sans droits ni titres dans le parc social, qui n’est plus lié à la perte de bail suite à une dette de loyer, le travail social de prévention des expulsions étant considérable, mais de plus en plus lié à de véritables squats, avec des profiteurs qui font payer l’entrée dans un logement fracturé
- de l’hébergement de familles notamment primo-arrivantes par des plus ou moins proches pour s’installer mais qui, face à la suroccupation difficile à vivre, se retrouvent à la rue, souvent avec enfants.
- de l’hébergement marchand dans des « chambres chez l’habitant » notamment dans des copropriétés où des propriétaires non occupants qui ont acheté de grands logements à bas prix se font une rente facile en louant à des jeunes ou des migrants à 500€ la chambre…
- des logements sociaux vacants que le bailleur ne propose plus à la location parce-que les conditions de vie se sont trop dégradées avec les trafics et points de deal… .
Le mal logement n’est pas seulement dans le rapport annuel de la fondation Abbé Pierre, mais sur le terrain, dans notre parc social, dans la file d’attente des demandeurs, dans ce « mal logement » qui échappe à notre politique d’attribution. Nous sommes en difficulté pour maitriser l’occupation réelle du parc social, sans compter bien sûr le parc privé ! Le PPGID devrait ouvrir un axe de travail sur l’évaluation des résultats des politiques d’attribution, en terme de peuplement, d’équilibre, de vie sociale résultante, et donner des outils nouveaux aux bailleurs pour faire face à ces difficultés.
On ne peut pas raisonner logement sans intégrer l’hébergement et réciproquement, il n’y a pas de sortie de la crise de l’hébergement sans sortir de la crise du logement. Il faut donc faire apparaitre les liens entre le PPGID et le PLAID (le Plan Logement hébergement d’Accompagnement et d’Inclusion des habitants en Difficulté) de la métropole.
l’absence d’un outil partagé pour une politique publique d’attribution face à la crise du mal logement
Depuis deux ans, j’alerte à chaque occasion sur les difficultés que la plupart des bailleurs et des réservataires rencontrent dans la politique d’attribution des logements sociaux. Nous avions un outil partagé par tous les acteurs, géré par l’association du fichier commun du Rhône. Ce n’était pas parfait, mais des difficultés de gouvernance ont conduit à la dissolution de cette association, une erreur qui a produit un fonctionnement éclaté entre Action Logement et sa plateforme ALINE, la préfecture, premier réservataire de logement avec ses priorités dont le DALO, la métropole, qui a du mettre en place un nouvel outil [1], et les bailleurs dont les systèmes internes sont raccordés au système national et qui font face à la crise sociale et au mal logement…
Les priorisations de la convention intercommunale d’attribution, qui lie tous les acteurs, ne sont suivies que dans l’outil de la métropole. Et les autres acteurs échangent des données par fichiers… un recul handicapant que le projet de plan partenarial devrait avoir l’objectif de réparer. Le projet propose de « suivre le dispositif de gestion partagée »… Je pense qu’il faut dire « reconstruire un dispositif de gestion partagée », c’est à dire créer les liens techniques entre les différents outils et construire des outils de suivi et de pilotage partagés.
La place des communes dans le PPGID
Ce sujet est sensible et fait l’objet de discussions dans les différentes instances du logement. Certains demandent un rôle renforcé des maires dans les attributions pour pouvoir refuser certains demandeurs. On sait que les acteurs du logement ne jouent pas tous le jeu des objectifs prioritaires. Tout le monde ou presque sait qu’il faut sortir des ségrégations territoriales en construisant plus de logement social là où il y en a peu, et en proposant des logements aux ménages les plus fragiles en dehors des quartiers prioritaires, donc notamment dans les communes à faible taux de logement social. Mais si chacun décide localement, alors on ne fera jamais reculer les inégalités territoriales.
Pourtant les élus locaux sont ceux qui connaissent le mieux les réalités locales, qui peuvent tenir compte de ce que disent les habitants. Les assistantes sociales, les conseillères sociales des bailleurs connaissent à la fois les demandeurs et les locataires. Les acteurs locaux sont les seuls à pouvoir trouver les bons compromis dans des décisions d’attributions parfois difficiles. Il faut loger une famille prioritaire, mais pas n’importe où, tenir compte des locataires d’une adresse donnée, ne pas concentrer des familles nombreuses dans la même allée, ou plusieurs personnes ayant besoin d’un accompagnement psy, faire en sorte qu’une mixité se forme un peu partout pour favoriser la vie sociale.
C’est un défi qui interpelle le système dit de « cotation » présenté comme un outil technique de justice pour l’égalité de traitement des demandeurs. L’expérience montre que c’est difficile. La cotation consiste à ajouter des points pour des motifs très variés et qui n’ont rien à voir ; on mélange ancienneté et handicap, violence familiale et profession. On ajoute des choux et des carottes pour une « cotation » qui doit prioriser les demandeurs. Sauf que les critères doivent être justifiés au moment de l’instruction d’une demande et souvent, l’absence de justificatif conduit à revoir la cotation, donc la priorisation… Et surtout, la cotation ne dit rien de la pertinence d’une candidature sur une adresse où la connaissance du terrain est nécessaire.
De plus, la réforme de la gestion des réservations en « flux » a réduit le rôle des communes qui ne sont pratiquement plus réservataires. Le projet de PPGID devrait aborder la question du rôle des communes dans les attributions. Il faut inventer un outil partenarial local, une sorte de commission locale de suivi des politiques d’attribution, un nouvel outil territorial du logement des ILHA….
Renforcer le service d’accueil pour intégrer les demandeurs
Le projet insiste avec raison sur le service d’accueil. Les milliers de demandeurs font face à cette pression du mal logement, beaucoup en silence, certains au contraire multipliant les interventions partout où ils peuvent. Ce sont évidemment les plus virulents que les élus rencontrent, mais ce ne sont pas forcément les plus prioritaires.
Il est donc vital que chaque demandeur sache où et comment il peut être accompagné. Il faut combattre le sentiment fréquent que tout est faussé, injuste. Le dialogue avec les demandeurs est un aspect essentiel et le PPGID doit renforcer le réseau. Mais le projet ne tient pas assez compte du bilan limité du service d’accueil existant. Seule une petite minorité des demandeurs en a bénéficié. Le choix de ne s’appuyer principalement que sur les bailleurs montre ses limites, d’autant que pour un demandeur, le bailleur est d’abord là pour lui faire une proposition ! Il comprend mal pas à quoi sert un « rendez-vous conseil » dont on ressort en pratique sans rien de nouveau…
D’ailleurs, la ville de Vénissieux avait demandé que les offices métropolitains s’engagent tous dans le lieu d’accueil de Vénissieux, ce qui n’avait pas été entendu en 2018, pas non plus après 2020. Dans la situation actuelle des bailleurs, il faut renforcer le rôle des maisons de la métropole avec des moyens à la hauteur de l’enjeu pour devenir de vraies « maisons de l’habitat », avec un objectif à minima d’un site par territoire de la métropole.
On ne pourra pas raisonner sur ce PPGID à moyen constant, d’autant qu’il va falloir désormais tenir compte d’une nouvelle catégorie, les « travailleurs essentiels ». Un constat qui fait suite à la crise du COVID et au constat que des millions de travailleurs jouent un rôle « essentiel » en temps de crise… Sauf qu’ils ne sont aujourd’hui le plus souvent pas considéré comme prioritaires. On doit désormais en tenir compte, mais comment ?
Comment parler de gestion de la demande quand le gouvernement organise la casse du logement social ?
Le contexte national du logement est terrible, les gouvernements Macron successifs ne se sont préoccupés que d’une chose ; désigner des coupables en divisant les demandeurs et en refusant d’ouvrir le débat sur les responsabilités de l’état. Il y a 30 ans, il y avait une ligne de plusieurs milliards par an pour le logement social dans le budget de l’état. Depuis Macron, (mais la baisse s’était entamée dès Sarkozy et accélérée avec Hollande), il n’y a plus un seul euro ! L’état fait même les poches des bailleurs et de Action Logement pour faire croire qu’il y a toujours une politique du logement social.
Ses réformes successives ont un seul but, valoriser l’énorme patrimoine du parc social pour en faire un actif financier qui fait saliver d’avance tous les rentiers de la finance, comme le groupe AXA qui rachète des logements que les bailleurs sociaux publics sont contraints de vendre pour équilibrer leurs comptes !
Cela conduira de plus en plus à séparer le logement des salariés stables et le logement des précaires et des plus pauvres, donc à de nouvelles ségrégations. Si on les laisse faire, ils vont détruire étape par étape ce modèle français du logement social dit « universel » que beaucoup nous enviait et qui assurait le droit au logement à des millions de français.