Quelques réflexions concernant l’évaluation du panachage des énergies Enregistrer au format PDF

par Yves Brechet. 2e Séminaire de l’École de Physique des Houches
Lundi 24 février 2014

Un article sans doute un peu long et qui demande du temps de lecture, mais qui me parait important pour permettre un vrai débat citoyen sur la transition énergétique. Au delà des avis a priori de chacun, de la confiance que chacun de nous accorde à tel ou tel expert ou militant politique, technique ou économique, il est indispensable de clarifier ce qui relève de choix, qui sont nécessairement politiques, et ce qui relèvent de faits, de contraintes, qui sont nécessairement le résultat d’une démarche de connaissance dans laquelle la science est indispensable.

On ne peut pas discuter d’un scénario énergétique sans faire l’effort de comprendre la différence entre une « puissance », c’est à dire une capacité à fournir quelque chose, et une « énergie » ou un « travail », qui constate ce qu’on a effectivement fourni et consommé… C’est ce qui permet de comprendre pourquoi la part d’abonnement à un fournisseur d’énergie est une partie fixe, correspondant à la puissance souscrite, et qui limite la consommation autorisée, alors que la part variable correspond à la consommation effective… C’est le même problème avec les énergies intermittentes. Pour la même puissance installée, l’éolien ne produisant que dans certaines tranches de vent, suffisamment mais pas trop, produira moins d’énergie qu’une installation au gaz.

Cet article, après avoir clarifié les questions de méthodes permettant d’éclairer les choix politiques à partir de faits scientifiques, liste les questions sur lesquelles les scientifiques doivent travailler pour donner aux citoyens la possibilité de décider de solutions qui répondent réellement à leurs objectifs, à leurs priorités.

Malheureusement, c’est ce qui a manqué au débat sur la transition énergétique, marqué par grand flou sur les objectifs (oui ou non, la réduction des émissions de carbone est-elle une priorité ?…), tout en laissant de coté les contraintes scientifiques… (quelles sont les conséquences techniques de la généralisation de sources intermittentes sur le réseau ?…)

1. Introduction

C’est un grand plaisir pour moi d’ouvrir cette semaine de colloque consacrée à « la Science pour un Scénario Énergétique ». J’y ai d’autant plus de plaisir qu’une grande diversité de compétences, allant de la physique à l’économie et aux sciences humaines, ont été réunies par les organisateurs, et que cette variété reflète précisément la complexité du problème à traiter.

Le scénario énergétique est une étape cruciale dans notre développement industriel, soit pour fournir de l’énergie, soit pour maîtriser nos importations de combustibles fossiles, ou encore exporter nos technologies ou importer celles de nos voisins. Il reflète aussi ce que nos citoyens considèrent comme admissible en termes de risques. En conséquence, Choisir un mix énergétique et un scénario de transition est certainement un exercice politique. Et, en tant qu’exercice politique, il est lourd de l’inertie des habitudes historiques, et du système existant.

Enquêter sur des transitions énergétiques qui se sont passées dans l’histoire moderne, identifier les difficultés rencontrées, culturelles et structurelles, nous aidera certainement à éviter des chemins sans issue. Dans les pays démocratiques, on ne change pas les habitudes sociales par décret. Aucune institution publique n’a le droit d’imposer au citoyen la quantité de viande qu’il devrait manger ou la température qu’il devrait garder dans sa chambre à coucher. Il est un peu inquiétant de voir des agences publiques rêver d’un tel pouvoir.

Le scénario énergétique, au résultat, devrait être le choix du citoyen, pas celui du marché. Le fait d’avoir à disposition une quantité suffisante d’énergie pour tous, à un prix raisonnable, devrait être perçu comme un droit de tout citoyen. Il n’est pas raisonnable de supposer que nos compatriotes devraient être dans la situation de « devoir contempler une assiette vide », suivant la déclaration un rien sarcastique de Marcel Boiteux. Déclarer que quelque chose est réalisable techniquement en écartant d’un revers de main la question du prix est tout simplement malhonnête. N’importe quelle suggestion de changement massif devrait s’accompagner d’un scénario de financement et la comparaison devrait non seulement être faite en « termes intégrés », mais aussi en « pic d’investissement ». En outre, l’investissement à considérer étant énorme, les États jouent un rôle clé, via le fait de subventionner les choix. Le subventionnement est une utilisation d’argent public, et il devrait être fait de manière équitable. Il vaut la peine de garder en tête que, quelle que « chic » que soit l’option, les subventions ne devraient pas profiter seulement à la partie la plus riche de la population. Nous avons vu au cours des dernières années un certain nombre d’exemples de que j’appelle « l’effet opéra » : le ticket d’opéra étant lourdement subventionné sans être accessible à toute la population, cela crée une situation où les plus pauvres subventionnent les loisirs des plus riches. Finalement, le choix entre différents mix énergétiques est une question économique autant que politique.

La science est ce qui est le plus nécessaire, et ce qui manque le plus actuellement dans le débat public sur la transition énergétique. La science manque dans la façon de poser les problèmes, dans la façon de les analyser, dans la façon de faire les comparaisons. En premier lieu, comparer les cibles n’est pas suffisant, il faudrait comparer les trajectoires. Il y a une confusion constante entre les objectifs (où nous avons l’intention d’aller) et les obstacles à surmonter (ce qui nous empêche d’avancer) : un programme de recherche ne peut pas dépendre seulement de la définition des buts, il doit suggérer le chemin et, pour ce faire, il doit identifier les pierres d’achoppement. Nous avons ici même un exemple très vivant de la différence entre un but et un chemin. Si, partant des Houches, vous voulez aller à Courmayeur, une simple interpolation néglige un détail mineur qui est le Mont Blanc ! Pour sûr, un tunnel peut vous aider à surmonter l’obstacle et à atteindre le but, ou un avion. Mais vous devez inventer l’avion s’il n’y a aucun tunnel, ou sinon forer le tunnel. Sans cette étape d’explicitation des trajectoires, nous n’avons pas de programmes de recherche, nous avons « des lettres au Père Noël ». Sélectionner un scénario énergétique est finalement aussi une affaire de science et de technologie.

Pourquoi la science est-elle si importante et pourquoi est-elle si absente de la discussion dans un pays qui se proclame « Cartésien » ? L’absence de la science, et la disqualification des experts scientifiques, sont le fait d’un conflit latent qui trouve ses racines profondes entre la légitimité politique et la rationalité scientifique, et d’une longue histoire d’attitude condescendante des politiciens envers la science (qui ne ferait pas partie de la culture…). La réunion de communautés comme celles présentes ici, entre les représentants des sciences sociales et des sciences physiques et les ingénieurs, peut aider à construire un pont sur le fossé entre les deux cultures, mais nous devons être conscients des difficultés, et que la seule chose qui pourrait être pire que le divorce actuel entre ces deux cultures serait une collaboration factice.

L’importance de la science devient évidente dès lors qu’on se rend compte qu’il n’y a pas de sens à aborder ces questions (l’opportunité politique, l’acceptation sociale, la valeur économique…) sur la base d’un scénario qui serait scientifiquement ou techniquement infaisable. La première exigence concernant un scénario est qu’il ne devrait pas être en contradiction criante avec les faits scientifiques fondamentaux. La question de la faisabilité technique n’est pas simple. Il y a ceux qui violent purement et simplement les lois de Kirchhoff pour les réseaux, ou la loi de Carnot pour les machines thermiques, ou même la conservation de l’énergie : ils sont tout bonnement impossibles, et sont faciles à écarter…Plût au ciel qu’ils le fussent d’emblée. Mais, comme nous le verrons, la contradiction peut être plus subtile. Elle peut s’appuyer sur un excès d’optimisme quant aux possibilités qu’offre la science de résoudre un problème donné. En tout cas, un scénario ne devrait être accepté qu’après que les difficultés du scénario aient été soigneusement identifiées, et que les stratégies possibles pour surmonter les plus importantes soient devenues accessibles. Choisir entre les scénarios n’est pas un jeu, c’est un choix crucial pour un pays  : vous ne sautez de l’avion qu’après avoir contrôlé le parachute, pas quand vous êtes en train de le coudre !

2. Contexte de la présentation

Le débat est actuellement obéré par des questions politiques et industrielles. Il est nécessaire de rapporter dans la discussion, comme un préalable, les questions scientifiques fondamentales qui doivent être quantitativement documentées avant qu’un mix énergétique soit choisi et mis en place progressivement. Tout changement brutal dans un contexte d’économie faible peut être un vrai désastre.

Il n’y a aucune raison pour que les différents pays européens, avec leurs spécificités (en termes de ressources disponibles, en termes de situations initiales…) aient un mix énergétique identique. D’autre part, l’existence d’un vaste réseau électrique interconnecté implique que l’on ne peut pas penser le mix énergétique de nos pays de façon indépendante, surtout quand on soulève la question de la variabilité[2] des sources d’énergie. En outre, quand les pays ont l’intention de se rapprocher davantage, comme nous pouvons l’espérer dans l’Europe, cela peut avoir un impact encore plus large sur le secteur énergétique.

Ce serait utile pour tout le monde si un petit nombre de conseillers scientifiques ou d’anciens conseillers scientifiques de quelques pays européens pouvaient se mettre d’accord non pas sur le résultat, mais sur les méthodes d’évaluation des différents mix énergétiques possibles, et sur les actions nécessaires quand une décision est prise. Extraire de telles méthodes et les appliquer honnêtement aux diverses propositions faites aux gouvernements est en soi une contribution de valeur au débat.

Quelques points doivent être clarifiés au préalable, en exposant certaines des idées qui sous-tendent la présente contribution :

  • Le changement climatique global dû à l’activité humaine est une question importante vis-à-vis de l’environnement et la limitation d’émission de CO2 est un but important dans quelques pays (et devrait être un but mondial). En conséquence, nous croyons que le fait de décarboner l’économie est rattaché, à long terme à l’électrification de l’économie, par une électricité produite sans émission de CO2.
  • La sécurité de l’approvisionnement en énergie est une question importante pour certains pays individuels voire pour des groupes de pays qui coopèrent étroitement ensemble. La fourniture d’électricité n’est pas l’unique problème : le combustible pour le transport, le chauffage (ou le refroidissement) pour les bâtiments, l’utilisation et le traitement de la chaleur pour les industries énergo-intensives (comme le ciment, l’acier, le verre …) sont aussi de la plus haute importance.
  • En plus de la transmission d’électricité, le transport de l’énergie (tant l’électricité que la chaleur) peut devenir aussi une question clé. La production de l’électricité est une question centrale, mais ne devrait pas cacher des problèmes importants comme la distribution d’énergie, l’entreposage d’énergie, la gestion de l’énergie.
  • L’efficacité de l’utilisation de l’énergie dans tous les secteurs semble être un préalable pour accomplir les buts susmentionnés et pour traiter les défis mis en avant.

Les solutions possibles peuvent dépendre du pays (les éoliennes diminuent l’émission de CO2 au Danemark tandis que, en raison des problèmes de réseau, elles pourraient augmenter l’émission de CO2 en France, en l’absence d’un stockage massif et efficace de l’électricité). Malgré ces différences dans les résultats, la méthode scientifique permettant d’évaluer le mix énergétique pour un pays donné pourrait être commune et cette approche commune serait plus robuste si elle était développée conjointement entre les conseillers scientifiques de différents pays. Cela minimiserait le lobbying[3] extra-scientifique et donnerait une force supplémentaire à une approche rationnelle. Les pensées que je présente ici ont été en effet élaborées, y compris dans le détail de leur formulation, à travers des discussions avec des conseillers scientifiques en Allemagne (J. Luther) et au Royaume-Uni (D. McKay).

Le but de la présente note est de fournir aux gens qui prennent des décisions une liste de questions qui doivent être traitées avant que quelque décision structurelle que ce soit puisse rationnellement être prise, annoncée, et a fortiori exécutée.

3. Quelques préalables fondamentaux

Aucun problème d’ingénierie n’a jamais été résolu en oubliant les conditions initiales, les conditions aux limites, et l’objectif à optimiser. De même, l’évaluation du mix énergétique pour un pays donné (ou pour une plus grande région) devrait exposer clairement :

  • Quelles sont les conditions initiales (le mix énergétique actuel) ? Celles-ci sont radicalement différentes entre nos différents pays et seront résumées à la fin du présent document. Ces conditions initiales provoquent une inertie dans le système et influencent fortement la vitesse à laquelle n’importe quel changement peut raisonnablement être mis en place[4].
  • Les conditions aux limites imposées par la nature doivent être respectées : les lois de la physique sont invariantes par translation [d’un pays à l’autre] : le rendement de Carnot pour les machines thermiques, la loi de Kirchhoff pour les réseaux, etc. ne sont pas négociables ! Le plus évident est que l’énergie électrique produite (y compris celle importée et transférée vers et depuis les stockages, en incluant les réserves tournantes) devrait coïncider avec l’électricité consommée (dans les secteurs principaux : le logement, le transport, l’industrie, y compris l’exportation d’électricité) tandis que la gestion de l’énergie peut (jusqu’à un certain point) influer sur la charge. On devrait refuser comme non-pertinent tout scénario qui ne respecterait pas ce critère à tout instant.
  • Les optimisations recherchées devraient être explicitement et opérationnellement définies (par ex. minimiser l’émission de CO2 – quantifier l’objectif et les délais – et/ou augmenter le stockage du CO2, minimiser le prix, maximiser l’indépendance énergétique, éviter certaines énergies comme socialement inacceptables, maximiser la sécurité, minimiser le coût d’assurance, promouvoir les emplois du futur, minimiser les risques géopolitiques). Cet objectif devrait être explicitement évalué pas seulement pour la production d’énergie, mais aussi pour la consommation d’énergie. La confusion entre le but (la décarbonation de l’énergie) et les moyens (développer les renouvelables) peut conduire à des décisions incompatibles pour leur agenda ─ voire même contradictoires ─ avec le besoin urgent de lutter contre le réchauffement du globe et ses conséquences.
  • La question de l’échange entre différents objectifs, aussi bien que de l’acceptabilité d’une forme donnée de production d’énergie, devra être traitée, mais ce n’est pas le but de cette contribution, car cet échange s’éloigne de l’approche purement scientifique et relève d’une décision politique, dépendant ainsi fortement du pays (ou du groupe de pays) considéré.
  • De même les aspects économiques, les investissements nécessaires, la façon de les financer et de les faire supporter par les différents acteurs de la vie économique, sont aussi très importants, mais exigent de nouveau des contributions qui sortent du cadre purement scientifique et technologique proposé ici comme une étape de présélection pour un scénario. Pourtant il semble clair que la question du coût devrait impliquer pas seulement l’investissement et l’exploitation de l’instrument de production, mais aussi l’investissement relatif à l’inclusion de cette production dans le « système énergétique » général (comme des réseaux de distribution renforcés, ou le prix de la gestion des déchets pour l’énergie nucléaire). Finalement, n’importe quelle décision, compatible avec la physique, devrait répondre à la triple question : combien cela coûtera, qui paiera, quelles sont les forces motrices et les règlements pour faire respecter la décision de “ qui paie la facture ?”.

Malgré une forte interconnexion, le choix d’un mix énergétique fait partie des "fonctions régaliennes” de chaque pays. Il serait en effet contreproductif d’imposer son choix à ses voisins, et cela produirait des tensions indésirables. Mais chaque pays devrait être conscient de la conséquence de son propre choix sur la liberté de choix de ses voisins. En outre, les avantages potentiels d’une coopération renforcée (les synergies) entre certains pays devraient être identifiés. Il est absolument nécessaire qu’une discussion équitable soit menée, pour avoir une approche commune pour l’évaluation des choix possibles, et pour la détermination des actions qu’implique toute décision, pour dépasser la situation actuelle qui est souvent influencée par un intense lobbying.

Les problèmes énergétiques, tout comme naguère ceux liés aux ressources de matière, sont des questions clés pour le développement de nos sociétés, elles ont des conséquences majeures sur les relations internationales. Les choix devraient être réalistes. Il est de notre responsabilité de scientifiques d’aider aux prises de décision, en distinguant clairement le possible maintenant, le possible demain (2025 ?), la vision à long terme réaliste (2050 ?) et les revendications qui ne sont tout simplement pas possibles.

  • Pour le « possible maintenant », aider à l’évaluation des stratégies industrielles et économiques.
  • Pour le "possible demain”, la recherche nécessaire pour atteindre un objectif. Nous devons considérer les technologies disponibles maintenant et celles qui peuvent être disponibles demain, d’une manière très honnête, et ne pas survendre aucune d’entre elles. Et si possible, mettre en évidence les goulots d’étranglement scientifiques et technologiques.

Le débat sur l’énergie est très passionné ; nous devons exprimer clairement ce que la science nous dit. La décision elle-même est dans la main du pouvoir politique, et devrait y rester. Les questions à traiter dans une approche systémique sont dans l’ordre :

  • Les différentes voies pour produire de l’énergie
  • La question du réseau et du stockage, surtout en relation avec la variabilité des énergies renouvelables.
  • La question de la sûreté, l’évacuation des déchets ─ surtout pour l’énergie nucléaire, mais aussi les conséquences d’une panne[5] importante, y compris concernant les soins médicaux. Pour l’énergie nucléaire, la prolifération des armes devrait être traitée.
  • La question de l’efficacité énergétique, en incluant le transport et le stockage d’énergie), surtout dans le bâtiment, le transport et l’industrie.

4. Les règles pour évaluer un mix énergétique.

Pour un pays donné, un mix énergétique proposé devrait être évalué selon les règles suivantes :

  • Est-ce scientifiquement et techniquement possible ?
  • 1re étape : ce qui est produit annuellement égale ce qui est nécessaire : la physique limitant le pouvoir maximum possible pour une source donnée devrait être OK, les ordres de grandeur corrects, l’addition doit « tomber juste » (en incluant l’import/export et le stockage entre différentes régions ou pays)[6]. Ceci constitue une étape élémentaire fondamentale, qui ne suffit en aucune façon pour effectuer un choix, mais qui permet de discriminer un scénario complètement stupide.
  • 2e étape : il y a des énergies dont vous avez un contrôle total (comme le charbon, le gaz ou l’hydro-électricité) et d’autres (comme l’énergie éolienne ou solaire) qui dépendent de paramètres non contrôlés (la météorologie). Le « maximum de consommation chaque jour » moins le « minimum de l’énergie produite par une source non dispatchable » doit correspondre à de l’énergie produite ou mise à disposition par le stockage ou la gestion de charge d’une façon contrôlée (en incluant l’importation et l’exportation). Si ce n’est pas réalisé, il y a un risque de panne d’électricité. En fonction de la stabilité du réseau, ce manque d’énergie (aussi bien qu’un excès d’apport) pourrait causer une panne collective avec un impact important. Évidemment ce lissage de la fluctuation des énergies fatales par les énergies contrôlées doit être compatible avec l’échelle de temps à laquelle la production contrôlée, les systèmes de stockage, et la gestion de charge, peuvent réagir techniquement.
  • 3e étape : Tout écart dans le bilan précédent doit être géré soit par une capacité de stockage, soit par le transport de l’énergie provenant d’un autre lieu de production (éventuellement d’un pays voisin). L’adéquation quantitative devrait être analysée du point de vue des possibilités de stockage et du point de vue du maillage nécessaire[7]. La question du coût sera importante dans la discussion. Mais une évaluation simple de l’étendue du maillage et du stockage nécessaires est un préalable avant d’entrer plus avant dans les questions économiques.
  • La question de la gestion de la consommation d’énergie est une autre voie possible de sortie si l’étape 3° s’avère être un problème. Les interfaces intelligentes utilisateur/réseau peuvent permettre de lisser la consommation, mais leur efficacité reste à démontrer.
  • L’utilisation intelligente de l’énergie, surtout dans le chauffage des constructions, peut fournir des économies d’énergie substantielles : il est nécessaire d’évaluer quantitativement ces possibilités en tenant compte de l’inertie naturelle du marché de la construction et de la présence d’un énorme parc « déjà construit ». Dans tous les secteurs, les coûts des mesures d’efficacité, l’inertie d’implantation est un problème. Il n’y a pratiquement pas d’intérêt à développer un “ bâtiment à énergie positive ” en ayant un parc construit avec une isolation déficiente. Sur cette question, le modèle économique pour investir dans l’isolation devrait aller au-delà d’une simple sanction[8].
  • La question de la localisation spatiale de la production d’énergie et de l’utilisation de l’énergie, en relation avec le stockage et le réseau, doit être traitée d’une manière quantitative pour les diverses sources d’énergie et pour les différents usages. Le pire cas est quand l’énergie doit être récoltée dans de vastes régions et envoyée ensuite à de grandes distances où on en a besoin de manière concentrée (dans les usines)[9].
  • Est-ce que c’est industriellement acceptable ?
    • Un certain nombre d’innovations techniques sont possibles pour augmenter l’efficacité énergétique de consommateurs industriels de masse, ou pour réutiliser les formes dégradées de l’énergie comme la chaleur dans la gamme de 100°C-400°C. Il en est de même pour l’émission de CO2. La question de la viabilité économique de ces innovations dans la compétition internationale (surtout entre l’UE et non les économies hors UE) ne peut pas être écartée.
    • Une industrie pour les équipements de production d’énergie n’apparaît pas par magie, un peu d’inertie est présente, il faut tenir compte des capitaux dans chaque pays.
    • La question de la vitesse à laquelle cette industrie peut être lancée, et à quel coût d’investissement, et des transformations possibles entre les différentes industries, est importante.
    • La question de la disponibilité de l’industrie d’aujourd’hui devient essentielle pour la balance commerciale du pays. Ces questions ne font pas partie du champ de l’évaluation scientifique, mais elles sont sans aucun doute abordées quand une décision politique doit être prise.

5. Le développement d’une feuille de route pour un mix énergétique

“Où aller ?” et “comment y arriver ?” sont des questions différentes mais liées entre elles…

  • Il n’est pas suffisant d’avoir fixé un but (un mix énergétique projeté) et de s’être assuré que c’est scientifiquement et techniquement réalisable. Même si le but semble économiquement et industriellement raisonnable il est nécessaire de développer une feuille de route avec des étapes bien identifiées et à chaque étape une décision "go/no go », avec une stratégie possible de repli. Cette feuille de route peut être modifiée en fonction des changements possibles dans les conditions aux limites, mais quelle que soit la décision politique pour un mix énergétique donné, la seule façon de l’implanter est de le faire progressivement.
  • Le besoin de s’occuper du changement climatique global exige assez vite que la décision prise puisse être progressivement exécutée sans importante rupture de temps court dans le système de fourniture d’énergie (actuellement :l’électricité comme vecteur d’énergie dominant, et le combustible pour le transport routier).
  • Vecteurs d’énergie alternatifs ? Dans un plus long terme (c’-à-d. dans 50 ans) la question du vecteur d’énergie (l’électricité ou un vecteur d’énergie alternatif comme l’Hydrogène) devrait être à l’ordre du jour, en ayant en vue la situation actuelle, les évolutions possibles et le chemin par lequel on peut raisonnablement y arriver. Il semble improbable qu’on remplace rapidement l’électricité comme vecteur d’énergie. Une variété de possibilités pourrait être envisagée : incorporer l’Hydrogène dans les gazoducs, ou l’utiliser pour convertir la biomasse en biocarburant, ou peut-être comme moyen de stockage d’énergie, ou comme combustible pour les véhicules.
  • Quelle sorte de réseau est optimal ? Le réseau d’énergie se distingue qualitativement du réseau d’information. La transition rapide d’un réseau de distribution centralisé à complètement décentralisé semble improbable et exige un investissement substantiel en recherche sur les « smart grids » avant que l’on ait une vue claire sur les possibilités de ces stratégies pour gérer le réseau.

Pour chaque pays, une proposition pour un mix énergétique, une fois analysée à travers le prisme des critères précédents, devrait donc être assortie d’une feuille de route d’implantation, d’une vitesse plausible d’implantation, d’une analyse détaillée de la transition entre chaque étape et d’une feuille de routepour le programme de recherche à lancer pour faire face aux goulots d’étranglement[10] identifiés. Si un tel trajet progressif et prudent n’est pas proposé, le risque est de se précipiter dans des voies sans issue où il faudra renoncer à certains des objectifs. Nous ne pouvons pas nous permettre ce risque, c’est pourquoi il est crucial de progresser pas à pas. Courir trop vite, pour des raisons politiques ou idéologiques, vers des solutions non protégées, ou subventionner une bulle spéculative sans rétroaction, peut être très nuisible même pour les énergies promues par une décision prise avec une telle hâte. C’est comme de lancer directement dans le bain un enfant sans lui apprendre à nager : ses chances d’atteindre un âge adulte et de nager correctement sont considérablement réduites …

Certainement, quel que soit le mix énergétique choisi par les différents pays européens, la sûreté, la sobriété dans l’utilisation de l’énergie, l’efficacité dans la distribution et le stockage de masse seront des mots clés dans tout le mix énergétique plausible qui apparaîtra dans les années à venir. Ces thèmes devraient être identifiés comme des champs importants pour la recherche en collaboration, aussi bien que les conditions pour des « feuilles de route combinées » efficaces et réalistes.

6. Continuer l’exercice

Chacun a le droit de concocter son propre « mix énergétique », et nous en avons actuellement pléthore. Mais le scénario proposé par les agences publiques dont la fonction est de faire une recommandation au pouvoir de décision politique devrait être examiné très soigneusement. Si un mix énergétique est proposé par une agence publique au pouvoir politique, la méthode suivante est appliquée. Avant tout, l’évaluation de la proposition est collégiale, avec des experts qui ne sont pas dans l’agence de proposition, et elle doit être faite en accord avec les auteurs de la proposition. Cette évaluation restera confidentielle et est fournie seulement au gouvernement. Le collège est constitué seulement de gens compétents et pas hiérarchiquement impliqués à produire eux-mêmes le scénario à examiner. Après quelques heures de discussions face à face (des documents écrits, pas simplement des présentations powerpoint toujours superficielles), l’étape suivante doit envoyer une liste de questions, structurées comme une hiérarchie. La hiérarchie est la suivante :

  • Aspects généraux : les défis, les hypothèses, la robustesse
  • Consommation : le bâtiment, le transport, l’industrie
  • Mélange de production : l’énergie fatale, l’énergie nucléaire, la biomasse
  • Système général : maillage, stockage de masse

À la fin, n’importe quelle proposition de mix énergétique raisonnable, c’-à-d. qui peut être utilisé comme guide pour une décision politique, devrait explicitement clarifier les obstacles et le programme de recherche nécessaire pour les surmonter. Un programme de recherche ne peut pas être structuré tant que la confusion entre le but et les obstacles brouille le tableau. Les réponses aux questions sont alors faites par les institutions proposant le scénario, et pour chaque question le comité d’experts établit pourquoi on estime que la question est importante, et s’il est satisfait par la réponse. Le conseil donné au gouvernement est simplement cette liste de “ questions-clés” qui doivent être traitées avant que n’importe quelle décision soit prise. Les suites naturelles de cette procédure devrait être : soit obtenir de l’agence qui propose le scénario une clarification complète sur la question, soit lancer un programme de recherche concentré sur ces questions précises.

7. Qu’est-ce qui manque ?

La question-clé pour le mix énergétique est clairement le stockage de masse et le réseau. Ceux-ci resteront les questions principales aussi longtemps que la production d’énergie et la consommation sont d’une manière ou d’une autre centralisée (en raison du fait des industries consommatrices d’énergie et du logement largement urbanisé). Il y a un besoin de tirer les lois d’échelle entre les corrélations temporelles des énergies fatales et l’efficacité du stockage, la corrélation spatiale des intermittences et l’ampleur du réseau. Il est essentiel de comprendre, pour une proportion donnée d’énergies fatales, la quantité de maillage et de stockage nécessaires pour éviter une panne, localisée ou générale. Cela définira le but pour le stockage et le maillage pour une proportion prescrite de sources intermittentes et d’un chemin réaliste pour une transition progressive respectueuse des questions environnementales, dans les faits et pas seulement dans les revendications.

[1] On utilisera par la suite l’expression franglaise « mix énergétique » [trad.]

[2] Souvent appelé « intermittence » avant que « variabilité » n’ait été choisie comme terme… Changer pour des termes qui font moins peur ne résout pas le problème !

[3] Terme anglais signifiant : le fait de faire pression sur les politiciens, et les décideurs en général [trad.]

[4] Un autre aspect à prendre en compte est le degré de connexion entre un pays ou un groupe de pays et ses voisins. Une île géographique peut être ou pas une « île électrique ». La question du réseau et de l’intermittence est fortement sous l’influence du degré d’interconnexion et d’exterconnexion de la zone avec un centre de décision politique unique. Cela met des conditions initiales du point de vue des traités internationaux, et des conditions aux limites quant aux décisions possibles.

[5] On n’utilisera pas le franglais « breakdown » qui n’apporte rien [trad.]

[6] Voir par exemple le livre de D. McKay « les énergies viables sans l’air chaud » et son logiciel sur www.

[7] Ce point est important, d’un point de vue technique aussi bien que politique ─ car le stockage de masse est un bien rare, et du fait que les importations et les exportations d’énergie font peser une charge sur les réseaux des autres pays, ou équipements de stockage, charge qu’ils peuvent ne pas être disposés à accepter. Il est important de combiner la liberté de choix de chaque pays avec la compatibilité nécessaire entre différents choix. Une question liée pourrait être « qu’est-ce qu’un pays peut faire payer pour ce service ».

[8] Quand les gens vivent dans un bâtiment mal isolé, ils ont souvent aussi un faible revenu. Les punir financièrement n’est pas seulement inefficace (car ils ne peuvent pas payer), c’est aussi socialement injuste.

[9] On doit garder en tête les exigences techniques imposées par un type donné d’industrie : si l’Europe veut conserver sa grande industrie énergo-intensive, les questions de concentrer la production d’énergie, ou de distribuer l’énergie vers les sites industriels, ne peuvent pas être éludées.

[10] Si on est vraiment sérieux quant à l’implantation d’énergies massivement renouvelables avec tous les problèmes rattachés à la variabilité, il est absolument clair qu’un effort de recherche important sur le stockage d’énergie est nécessaire. Cet effort devrait être une priorité vis-à-vis de n’importe quel programme de recherche visant à augmenter l’efficacité des cellules solaires, ou d’aimants permanents pour les éoliennes, par exemple, car l’alternance jour - nuit et la relation entre la dynamique cyclone - anticyclone et le vent ne sont pas responsables de la législation, ni corrigés par la technologie !

Voir en ligne : sur le site de l’association Sauvons le Climat

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