Les demandes de logement et leurs motifs, entre adaptation du logement et tranquillité Enregistrer au format PDF

Dimanche 19 novembre 2023

Lors de l’assemblée générale du conseil de quartier Anatole-France Paul Langevin, une habitante a évoqué les mineurs qui tiennent les points de deal en disant qu’il ne fallait pas les considérer comme dangereux. Je lui ai répondu car comme beaucoup d’habitants des minguettes, j’ai une expérience concrète de ces points de deals et je constate au contraire qu’ils pourrissent la vie des habitants au point que beaucoup cherchent à déménager [1]. Dans le parc social, cela se traduit par de nombreuses demandes de mutations dont la première motivation est de s’éloigner des points de deal. J’ai dit un peu vite que cela représentait la moitié des 2000 demandes de mutation à Vénissieux, donc de l’ordre d’un millier.

La journaliste du Progrès a repris ce chiffre qui est devenu le titre de son article… Les médias ont toujours besoin de chiffres chocs pour attirer le lecteur, mais qu’en est-il vraiment ? J’ai pris le temps d’une étude précise des demandes de logement [2].

D’abord, il faut faire la différence entre les demandes de logement des Vénissians, qui habitent déjà dans un HLM à Vénissieux et qui peuvent demander une mutation à Vénissieux ou dans une autre commune, et les demandes de logement social à Vénissieux, qui peuvent être faites par des Vénissians qui viennent du parc privé, mais aussi par des habitants d’ailleurs… Voilà les chiffres :

Il y a 2773 demandes de mutation de Vénissians qui ont déja un logement dans le parc social, donc 1409 qui veulent rester à Vénissieux. Et il y a 3310 demandes de logements de Vénissians qui ne sont pas dans le parc social, dont 1529 cherchent à Vénissieux. Au total donc, 6083 demandes de logement de Vénissians, dont 2938 demandent à rester à Vénissieux. La moitié des demandeurs Vénissians demandent Vénissieux en premier choix. L’autre moitié demande une autre commune, dont 353 hors du département, 392 à Lyon, 198 à Saint-Fons, 92 à Villeurbanne, 75 à Saint-Priest, 66 à Vaulx-en-Velin, 61 à Bron, 54 à Givors, 42 à Feyzin. Les 588 autres se répartissant sur 59 autres communes de tout le département. Le travail et la vie familiale conduisent à une forte mobilité des ménages, notamment en zone urbaine. Les Vénissians comme les autres ont des raisons personnelles de déménager pour se rapprocher d’un emploi trouvé, suite à un évènement de famille… ce que montre la diversité des communes demandées.

Il y a aussi 1569 demandes de non Vénissians pour venir s’installer à Vénissieux, ce qui fait en tout 4507 demandes pour chercher un logement social à Vénissieux. C’est le chiffre qu’on utilise le plus souvent pour parler de la pression de la demande à Vénissieux, puisque ce sont les demandes auxquelles il faut trouver une solution à Vénissieux…

J’ai tenté une représentation graphique de toutes ces demandes, de vénissians, à Vénissieux…

Les demandes de logement de Vénissians et pour Vénissieux

En résumé, les demandes de mutation représentent 40% de l’ensemble des demandes dans la métropole, 50% dans la ville de Vénissieux. Les demandes de logement viennent ensuite de locataires du parc privé (20% pour la métropole, 15% pour Vénissieux), puis des jeunes sortant de chez leurs parents (10%), puis des personnes hébergées (7%) ou en sous-location (6%) en résidence sociale ou foyer (5%)…

Les motivations des demandeurs vénissians

Quelles sont les motivations de ces 2773 Vénissians qui demandent à changer de logement social ? Dans la demande, on peut préciser trois motifs, le premier étant le plus important. On trouve des motifs qui ont trait à l’adaptation du logement (trop petit, trop grand, trop cher…) ou de la famille (mariage, divorce, décohabitation, travail, santé…) et un motif qui regroupe tout ce qui a trait au quartier « environnement et problèmes de voisinage ». C’est dans ce motif qu’on a l’impact des points de deals et des occupations d’allées…

Mais c’est loin d’être le motif le plus important. Au contraire, le motif le plus cité en premier est « logement trop petit », en moyenne 33% des demandes, variant peu selon les communes (de 25% pour Oullins à 36% pour Villeurbanne, 31% à Vénissieux).

Si on considère tous les motifs qui disent que le logement existant est inadapté (trop petit, trop grand, trop cher, handicap…), cela représente la moitié des demandeurs, 57% à Pierre-Bénite, 54% à Saint-Priest, 47% à Vénissieux.

Le motif « environnement et problèmes de voisinage » apparait en premier motif comme faible, seulement 12%, allant de 8% à Tassin à 15% à Vénissieux. Mais les demandeurs peuvent cocher trois motifs, et si on tient compte du deuxième et du troisième motif, alors les problèmes d’environnement et de voisinage représentent un tiers des demandes, de 27% à Oullins à 41% à Vénissieux, Saint-Priest n’est pas loin à 36%, Villeurbanne à 30%. Cela représente 1100 demandeurs à Vénissieux et à Villeurbanne, 700 à Vaux-en-Velin, 450 à Saint-Priest.

Les motifs des demandes de mutation par communes

Ces préoccupations apparaissent comme premier motif encore plus fortement dans les quartiers prioritaires (les « QPV »), à près de 15% avec des fréquences encore plus élevées à Pierre-Bénite (22%), Vénissieux (18%) ou Saint-Priest (16%). Et là aussi, si on tient compte des deuxième et troisième motifs exprimés par les demandeurs, cela devient une préoccupation majeure, de 48% des demandeurs des quartiers prioritaires de Pierre-Bénite (les hautes-roches), à 46% des demandeurs des quartiers prioritaires de Saint-Priest et Vénissieux, 45% des ceux d’Oullins, 38% en moyenne.

Les motifs des demandes de mutation dans les quartiers prioritaires par communes

Ces motifs traduisent l’enjeu de la tranquillité publique. Bien évidemment, les raisons qui conduisent un demandeur à motiver sa demande en cochant « environnement et problèmes de voisinage » peuvent être diverses. Mais les problèmes liés aux points de deals, aux occupations illicites d’allées, aux squatts de logement, sont une part importante de ces « problèmes de voisinage ».

Malheureusement, les motifs utilisés pour les demandes de logement ne permettent pas de mesurer précisément les problèmes de tranquillité publique. Je questionnerais la métropole prochainement pour mieux définir les motifs dans le formulaire de demande. Mais je crois que les bailleurs et les collectivités ont besoin de faire un travail plus précis pour évaluer cet impact. Car dans les statistiques de la demande de logement, il n’y a pas les adresses précises des logements. C’est pourquoi je vais solliciter les bailleurs pour partager leur connaissance des demandes de mutation de leurs locataires en lien avec les points de deal.

En conclusion, mon intervention orale un peu rapide en assemblée générale était un raccourci. Elle avait le mérite de souligner ce que vivent de nombreux habitants. Et le chiffre n’était pas mauvais. Si on considère le premier motif de la demande, il y a bien 434 demandes pour problèmes de voisinage, et en tenant compte des deuxième et troisième motif, on arrive à 1132 demandes, soit 41% des demandes de mutation. Ce n’est pas loin de ce que j’avais évoqué.

[1et au passage, il n’y a pas tant de mineurs dans les points de deal eux-mêmes, par contre, beaucoup de jeunes sans papiers qui sont exploités comme des esclaves par les réseaux, et des mineurs du quartier tournent autour attirés par l’interdit, le risque… un vrai sujet trop tabou pour lesquels de nombreux parents demandent de l’aide…

[2à partir de la liste anonymisée des demandes 2019, époque où le « fichier commun du Rhône » était cogéré par tous les acteurs et permettait à tous de faire ses propres statistiques… J’espère que la métropole permettra bientôt d’offrir ce même service

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