Les expulsions, un drame qui ne résoud jamais rien Enregistrer au format PDF

Lundi 18 février 2019

La fondation Abbé Pierre vient de publier son rapport annuel sur l’état du mal logement, rapport qui montre que les politiques publiques qui disent pourtant vouloir résorber le mal logement n’ont pas inversé les tendances de fonds qui fabriquent du ma logement…

  • la baisse de l’effort public pour le logement s’est accéléré depuis 2017 revenant en dessous du niveau de 2007. On passe de 2% du PIB en 2016 à 1,69% en 2018, soit une perte de 7 milliards par an pour le logement !
  • résultat, un secteur de plus en plus rentable pour l’état, avec un record en 2018 de 74,4 Milliards de recettes pour seulement 41,9 milliards de dépenses ! Non seulement l’état aide moins le logement, mais il se remplit les poches avec !
  • conséquence bien sûr, le logement pèse de plus en plus sur les dépenses des ménages, atteignant en 2018 22,6% du budget d’un foyer. Heureusement que nous héritons d’un parc social qui protège encore des millions de français avec des loyers « modérés » !

Dans ce contexte, le premier message de la fondation Abbé Pierre est terrible : « Aux portes de la rue, Quand l’État abandonne les personnes sortant d’institutions » Des milliers de personnes chaque année subissent des fins de prise en charge par des institutions sans solution de logement à leur sortie, qu’il s’agisse de jeunes majeurs de l’Aide sociale à l’enfance, de personnes sortant de détention ou d’hospitalisation psychiatrique. Au moment où l’État d’un côté tente de reloger les personnes sans domicile, de l’autre il continue à créer de nouvelles exclusions tous les jours.

Et pourtant le gouvernement a lancé la politique du « logement d’abord », dont un des objectifs est de ne plus avoir de « sorties sèches à la rue » d’une institution. Voilà le cœur du problème des politiques dites « sociales ». Elles affichent des objectifs qu’on peut partager, mais elles n’arrivent même pas à compenser les conséquences des politiques publiques générales, ni l’insuffisance des moyens consacrés à soigner leurs victimes… Il vaudrait mieux chercher à réduire réellement les inégalités à la source !

J’espère que la fondation Abbé Pierre fera comme il y a deux ans une présentation de ce rapport à Lyon. Ce rapport est une mine d’informations sur la situation réelle vécue par des millions de mal logés, et notamment sur toutes les situations qui conduisent à la rue, dont les expulsions sans relogement.

Ce sera de nouveau une question à la fin de la période hivernale. Michèle Picard maire de Vénissieux interpellera de nouveau l’état et la métropole en prenant des arrêtés contre les expulsions qui seront traduit en justice par le préfet, et elle pourra de nouveau montrer à quel point il y a bien une question juridique non résolue, puisque la loi autorisant les expulsions sans relogement est contraire à la loi qui prétend assurer le « logement d’abord » dans toutes les situations sociales !

J’avais il y a deux ans répondu à une journaliste préparant un dossier sur les expulsions. J’ai retrouvé mes réponses qui restent complètement d’actualité…


En tant qu’élu au logement, quelle traduction de ce mal logement percevez-vous au quotidien ?

Le mal logement, ce sont d’abord des centaines de contacts, d’appels à l’aide de locataires qui ne vivent pas bien dans leur logement, en attente d’une mutation depuis des années, de personnes hébergées en suroccupation, et ces derniers temps, de beaucoup de locataires du privé dont le propriétaire reprend l’usage de son bien,

Et quand j’essaie de dire la vérité, d’expliquer l’inexplicable, l’absence de réponses, j’ai parfois le sentiment d’enfoncer encore plus les demandeurs, car l’idée qu’on ne peut trouver le logement souhaité fait aussi partie du mal logement. De fait, il n’y a pas assez de logements et donc le délai d’attente est long, trop long, et pire, il s’allonge. Bref, le mal logement est aggravé par le fait qu’on ne peut qu’expliquer la réalité de ce mal logement !

Et la dernière réforme du logement annoncée par le gouvernement vient mettre un coup de plus en volant, il n’y a pas d’autres mots, 1,5 milliards en 2018 et encore autant en 2019 dans la poche des bailleurs sociaux, c’est à dire des locataires…

Qu’entendez-vous par « spirale de la désocialisation » ? quels sont les risques de cette désocialisation ?

J’ai un exemple précis ou je me dis justement, mais comment casser cette spirale ? une personne en procédure d’expulsion qui refuse tout travail social pour sortir de sa situation, qui demanderait d’aller vers un hébergement. Cette personne dit être absolument attaché à son logement et les travailleurs sociaux qui tentent de le suivre disent que s’il est expulsé, il sera à la rue. En fait, la désocialisation a déjà fait son œuvre, on sait que l’expulsion ne fera que la cristalliser, mais en même temps, on en sait plus comment faire.

Quels sont les filets de sécurité qui peuvent limiter les expulsions ? sont-ils efficaces ?

Au fonds, tout le monde sait ce qu’il faut faire. Prévenir le plus en amont possible, créer des relations de confiance avec les locataires en difficulté dès que la dette apparaît, accompagner toujours plus les personnes pour les aider à construire leur propre issue, avec réalisme sur ce qui est possible, travailler à faire percevoir parfois le besoin de relogement, ou d’hébergement… Les expériences réussies sont nombreuses et les acteurs du logement font énormément de choses. La clé est bien sûr d’aller vers les personnes, bien loin d’un travail seulement de contrôle administratif et de « mise à disposition » comme on dit, et évidemment surtout pas d’une relation « numérique », dépersonnalisée…

Que font les acteurs associatifs et institutionnels à leur niveau pour limiter ces phénomènes d’engrenage ?

Les plans d’action des institutions contiennent beaucoup de choses, et les acteurs font beaucoup d’efforts, mais la vérité est que l’état pour ce qui concerne l’urgence, avec la métropole pour ce qui concerne l’hébergement et le logement, ne donnent pas les moyens à la hauteur de la situation. Il faut plus de travailleurs sociaux chez les bailleurs, comme dans les services sociaux, il faut plus de temps à consacrer à la relation avec les locataires en difficulté. Ce n’est pas une question de droit formel, juridique ! Le DALO fonctionne, mais ne peut répondre à son objectif affirmé de droit au logement pour tous s’il n’y a pas de logements en nombre suffisants, avec des loyers adaptés aux ressources, ni de travailleurs sociaux en nombre suffisants pour accompagner au logement.

Et à la fin, on ne peut espérer sortir les gens du mal logement si ces mêmes personnes s’enfoncent dans la précarisation et la pauvreté. C’est au fonds un choix de société, une société pour les très riches ou une société pour tous. et c’est le symbole de ce gouvernement qui réduit les APL de 1,7milliards en 2018 en faisant un cadeau de 3,2 milliards aux plus riches sur l’ISF et de 2 milliards aux actionnaires dans la réforme de l’impôt sur les sociétés.

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