Présentation détaillée de l’article 52 du projet de loi de finances
Je ne suis pas revenu en introduction sur les difficultés de préparation de cette rencontre, j’ai simplement évoqué l’action déterminée de l’Union Sociale pour l’Habitat au plan national, dont cette diapo reprend l’image de campagne au titre sans ambiguïté « toucher aux APL, c’est toucher à la solidarité nationale, c’est toucher à la France »…
Rien de tel pour mesurer la place du logement social en France que de rappeler ces quelques chiffres fournis eux aussi par l’USH… Il est clair que la France est de ce point de vue une exception, avec le Royaume Uni, pour la place du logement social, et j’y reviendrai en conclusion…
Parce-que nous avons décidé de cette rencontre pour informer le plus factuellement possible les locataires, il est normal de présenter les objectifs du gouvernement. Et à vrai dire, on ne peut que partager ces objectifs, qui pour beaucoup, sont ceux que portait le mouvement HLM depuis des années…
Ainsi du "logement d’abord’, ce choix d’affirmer que le logement d’urgence, les hébergements en foyers doivent être des solutions temporaires conduisant à un logement et donc que la meilleure solution dans tous les cas, c’est de chercher d’abord un logement. On le voit avec le scandale des nuitées d’hôtel qui devraient être des situations exceptionnelles d’urgence, mais qui sont une des solutions quasi permanentes d’hébergement d’urgence par l’état…
Bien sûr, il faut pour cela construire plus de logements très sociaux, avec des loyers accessibles pour tous… et le gouvernement annoncer 40 000 PLAI… Rappelons cependant que plus de 36 000 PLAI avaient été lancés en 2016…autrement dit, l’annonce est dans la simple continuité des années précédentes, et tout le monde sait que c’est insuffisant !
C’est la même chose pour la rénovation urbaine (dont le doublement ne fait que compenser partiellement la baisse précédente !) ou la rénovation thermique, où il s’agit de renforcer les politiques engagées depuis quelques années…
Mais bien entendu, ces objectifs doivent être éclairés par les premières décisions concrètes…. dont cet article 52 de la loi de finances qui met en cause les APL et les recettes des bailleurs…

Nous avons fait le choix, peut-être difficile, mais il me semble pédagogique, de vous montrer le texte de l’article 52 au complet… Pour en faciliter la lecture, nous avons mis en gras et en rouge les passages les plus importants, et vous pouvez ne pas lire les textes en petits caractères…
Il y a 3 alinéas…
- le premier décide de la baisse des APL, en précisant que cette baisse est limitée par une « réduction de loyer de solidarité », définie dans le deuxième alinéa. Autrement dit, la baisse d’APL est compensée par une baisse de loyer, donc, effectivement, pour le locataire concerné, la somme à payer ne changera pas, voire baissera très légèrement [1]…
- le deuxième alinéa crée cette « réduction de loyer de solidarité » imposée aux seuls bailleurs sociaux et pour les seuls logements avec locataires bénéficiant de l’APL…
- le troisième alinéa fixe le montant maximum de cette réduction de loyer et donc de la baisse des APL… qui va de 50€ pour une personne seule à … 99€ pour une famille avec 4 enfants…
Voila donc ce qui change pour les locataires sur leur quittance de loyer… Tous les locataires avec APL paient depuis octobre 5€ de plus, et les locataires avec APL du logement social verront en janvier une quittance avec une baisse d’APL et une réduction de loyer… les bénéficiaires d’allocation logement du privé n’étant pas concernés…
La recherche d’économies budgétaires est un sujet politique général, et chacun peut avoir son avis sur la question, mais ce qui est sûr, c’est que le gouvernement qui dépense en allocation logement autant pour le logement social que pour le logement privé a décidé de ne réduire ses dépenses que sur le logement social ! C’est un choix qui concerne bien sa politique logement et non pas sa politique budgétaire…
Le secrétaire d’état Denormandie en visite à Vénissieux, et qui a reçu la délégation de locataires de la CNL a affirmé avec énergie « les locataires ne paieront pas un euro de plus »… ce qui est donc vrai, mais pour les convaincre qu’ils n’étaient pas impactés par cette réforme, ce qui est un énorme mensonge !
C’est ce que montre cette diapositive, qui est la plus compliquée de la présentation et que je vais essayer de vous présenter de la manière la plus claire possible…
Elle vous présente la situation avant et après la réforme, vue du locataire et vue du bailleur… Les chiffres sont des chiffres moyens fournis par les études générales de l’USH et sont ramenés à un loyer théorique de 100€ pour en faciliter la lecture… Si vous avez un loyer de 400€, il faudrait multiplier tous les chiffres par 4 sans oublier que ce ne sont que des moyennes… [2]
Vous avez à gauche la situation des locataires avant la réforme, tout à droite la situation des locataires après la réforme… et au milieu la situation des bailleurs avec une partie gauche avant la réforme et une partie droite, après la réforme.
Cette présentation rappelle que les recettes des bailleurs sont bien les loyers perçus auprès des locataires, soit directement par le paiement de leur quittance, soit indirectement, en touchant les allocations logements des locataires qui en bénéficient..
A gauche donc, le locataire sans APL paie ses 100€ de loyers et le locataire avec APL paie la différence entre son loyer et son APL… En moyenne, cela représente pour lui la moitié de son loyer, donc on considère dans ce schéma un reste à charge moyen de 50€, en considérant qu’une APL de 50€ est versée au bailleur qui touche donc dans tous les cas 100€, soit directement du locataire, soit par l’addition de 50€ du locataire et de 50€ des APL.
A droite, après la réforme donc, le locataire sans APL continue à payer ses 100€ de loyers à son bailleur, mais pour le locataire avec APL, il y a une baisse de son APL et de son loyer… Le montant varie bien sûr selon les familles, mais pour faciliter la lecture de la diapositive, nous avons pris une baisse qui correspond à la perte de recettes moyennes estimées par l’USH pour les bailleurs, soit 13%, donc 13€ [3] … La réduction de loyer est donc de 13€ et le locataire voie une quittance nette de 87€ dont il paie toujours 50€… son APL étant réduite à 37€. Le locataire paie toujours 50€, le bailleur ne touche au total que 87€… et c’est le gouvernement qui a gagné lui 13€…
Résultat, le bailleur lui voit ses recettes diminuer de 13%…. et cela a des conséquences fortes pour lui… et on va le voir, pour ses locataires !
Car s’il perd 13€ de recettes, que va-t-il faire ? Bien entendu, chaque bailleur va faire au mieux pour réduire l’impact pour ses locataires, mais en vérité, aucun n’a vraiment le choix…
Il va continuer à payer ses impôts (taxe foncière notamment) et cela ne changera pas. Cela représentait un peu plus de 10% de ses loyers, dans notre exemple 10,5€ et il paiera demain de toute façon la même somme…
Il va continuer à rembourser ses banques, ce qui est la plus grosse dépense, en moyenne 40,5% soit dans notre exemple 40,5€ et cela va continuer. C’est une des pistes de négociation encours, rééchelonner une part de la dette des bailleurs, mais tous les bailleurs indiquent que cela ne représentera que quelques %, soit 2 ou 3€, très loin des 13€ perdus… Et comme les bailleurs sont de bons gestionnaires, beaucoup ont déjà renégocié leur dette avec la caisse des dépôts [4] et donc n’ont plus grand chose à gagner de ce coté… [5]
Il reste enfin des dépenses que le bailleur peut réduire
- les dépenses de maintenance et d’entretien, autrement dit les dépenses pour répondre aux demandes des locataires pour des améliorations dans les logements, dans les parties communes, dans les espaces extérieurs… Tout indique que ces dépenses baisseront de 10 à 20% selon les bailleurs… Voila un premier impact pour les locataires
- les dépenses de salaires et frais de gestion, et les bailleurs vont évidemment gérer beaucoup plus strictement les postes, ne pas remplacer des départs en retraite, ne pas reconduire des contrats à durée déterminée, et ce seront les dépenses non récupérables qui seront impactés, donc les services aux locataires, l’accompagnement social, la concertation,…
- et enfin, et ce sera pour tous les bailleurs le poste le plus impacté, l’autofinancement [6], c’est à dire la marge qui permet aux bailleurs d’obtenir des emprunts pour… investir, c’est à dire construire ou réhabiliter !
Voila les trois impacts forts qui concernent tous les locataires demain, avec ou sans APL !
Et l’impact sur l’investissement est terrible ! Ce sont les chiffres de l’USH, confirmés par tous les spécialistes du logement, et on le verra, pas des acteurs importants de la vie politique métropolitaine, même s’ils ne souhaitent pas le dire aux locataires.. A l’échelle de la région, ce sont plus de 6000 logements réalisés en moins en 2018 ! Et toutes les villes concernées par la rénovation urbaine sont dans l’inquiétude pour leurs projets de démolition/reconstruction, de réhabilitation !
Cette situation est connue de tous ! Le gouvernement fait la sourde oreille, mais les déclarations s’accumulent, et pas seulement des amicales de locataires… mais de presque tous les maires de France et de leurs associations !
Même le président de la métropole de Lyon s’est exprimé en conseil de métropole pour alerter le gouvernement sur l’impact pour la métropole, 40 millions d’euros de perdus soit 1350 logements en moins sur les 4000 prévus ! Je ne peux pas citer sa lettre qui n’a pas été rendu publique, mais il l’a évoqué lui-même en séance et donc je crois utile d’y faire référence…
Deux autres élus métropolitains impliqués dans le logement social puisque président d’un office métropolitain se sont exprimés dans le même sens…
Enfin, vous avez tous entendu parler de négociations encours…Elles sont très difficiles car tout ce qui est proposé conduit toujours à demander aux seuls bailleurs sociaux de perdre des moyens, et comme le dit la secrétaire générale de l’USH, de leur demander de payer une partie de la poche gauche plutôt que de la poche droite !
Pour l’instant, ces négociations ne donnent rien, et certains qui y participent s’inquiètent même que le gouvernement n’en profite pour en rajouter ! Ainsi, il annonce que les 1,5 milliards sont étalés sur 3 ans, avec 800 millions en 2018, mais il ajoute une nouvelle cotisation de… 700 millions, autrement dit, pour 2018, cela fait toujours 1,5 milliards en moins, sauf qu’on peut se demander si en 2020, cela ne ferait pas 1,5 milliards plus 700 millions !
Premiers échanges avec la salle
La discussion a permis de nombreuses questions, avec les interventions de la CNL, et de la CGT des bailleurs sociaux. Je dois excuser l’AFOC dont l’intervenant prévu a eu un empêchement. Très vite, les questions ont portées sur l’avenir du logement social et je suis donc passé à la deuxième partie de la présentation, sur ce qu’on peut deviner de cette loi logement annoncé pour le printemps prochain, mais pour laquelle on connait les débats ouverts depuis quelques années…
La perspective d’une réforme de fonds du logement social
Le point de départ est une question simple… Le gouvernement ne peut ignorer que l’article 52 aura comme conséquence une forte baisse de la construction et des réhabilitations par les bailleurs sociaux… S’il ne l’avait pas prévu, tout le monde l’a alerté, y compris ses plus fidèles soutiens proches de Gérard Collomb… Et en fait, personne ne croit un seul instant qu’il ne l’avait pas étudié…
Mais alors, puisqu’il veut un « choc de l’offre », « construire 40 000 PLAi », doubler la rénovation urbaine…et qu’il met les bailleurs sociaux dans l’incapacité de le faire, est-ce qu’il n’aurait pas une idée sur qui d’autres devra le faire ?
C’est le débat qui agite le monde immobilier, certains se portant candidat pour ce « choc de l’offre »… C’est notamment le cas d’Action logement, qui gère les cotisations des salariés et a des très gros moyens… Certains évoquent une spécialisation des acteurs à travers une restructuration des organismes de logement social…
- D’un coté, des acteurs spécialisés dans le logement très social, en gros, les offices existants regroupés et se concentrant sur la gestion des publics en difficulté… Ceux-là n’ont plus besoin de construire beaucoup, simplement d’assurer la « mobilité » de leurs locataires pour spécialiser leur parc sur les publics prioritaires..
- De l’autre, des acteurs spécialisés dans le logement des salariés, qui doivent investir plus pour construire, mais sans être contraint d’accueillir des publics prioritaires…
Autrement dit, contrairement à tous les efforts faits pour sortir des guettos, pour chercher la « mixité sociale », on concentrerait le logement HLM pour les pauvres, séparés du logement pour les salariés… Les bailleurs sociaux devant pour s’en sortir vendre leur parc le plus rentable… et les acteurs privés étant prêt à les acheter… surtout si les bailleurs sociaux sont contraints de vendre rapidement, donc à tout prix pour rétablir leur compte !
Et tout cela conduit aussi à s’interroger sur la place du privé dans le logement social. Car le monde HLM représente un encours de 150 milliards d’euros et certains se disent qu’il y a sans doute des marges à capter…
Pour cela, il faut favoriser la mobilité dans le parc social, car pour l’instant, un locataire dans un logement peut y rester aussi longtemps qu’il le souhaite, et donc représente un frein à cette restructuration. C’est sans doute pourquoi le gouvernement propose de réétudier la situation de chaque locataire tous les 6 ans. Le logement social ne serait plus un droit, mais une aide temporaire… Dès qu’on considère que vous pourriez trouver un logement ailleurs, on vous invitera poliment à quitter le parc social… C’est le premier ministre Manuel Vals qui avait déclaré « le logement social ne doit pas être une rente de situation »… Merci pour ces rentiers bien particuliers que le gouvernement voit dans les HLM, sans les voir tout autour de lui dans le monde de la bourse ou de la finance…
L’exemple de la SNI est illustratif de cette tendance à ce qu’il faut bien appeler une privatisation du logement social.
Le rapport 2013 de la cour des comptes nous apprend ainsi que cette filiale de la caisse des dépôts a fortement augmenté ses ventes de parc social, avec une marge considérable… 140M€ de marges de cession sur 435M€ de ventes en 2011… La cour des comptes nous dit que cette activité immobilière est devenu prépondérante dans le résultat…
Ce que confirme le président de la SNI en 2014, affirmant que son métier n’est plus celui de gestionnaire de logement social, une sorte de service public, mais au contraire un métier de gestion immobilière, ce qui le conduit à affirmer qu’il faut des mécanismes de gestion privée dans le logement social…
Tout est dit dans cet exemple… Certains gros acteurs du logement social voudrait bien n’être que des gros acteurs immobiliers, sans les contraintes et les objectifs d’un « service public » du logement…
C’est pourquoi il est utile de donner un éclairage comparé sur la situation de la France en Europe du point de vue du logement. Que voulons-nous faire demain ? Quelle place doit avoir le logement social ? Quand on regarde les pays de l’Union Européenne et aussi de l’Europe, en incluant notamment la Suisse, et qu’on les classe selon le taux de propriétaires, de locataires et de locataires « sociaux », on constate un phénomène surprenant…
Ce sont les pays pauvres (Roumanie, Croatie, Lituanie…) qui ont le plus de propriétaires, et ce sont les pays riches (Suisse, Allemagne) qui ont le plus de locataires…
Dans ce graphe, on fait la différence entre les propriétaires sans dettes (en orange), les propriétaires avec un prêt encours, donc propriétaires à moitié… (en bleu foncé), les locataires du privé (en jaune clair) et les locataires du parc social (en rouge, en haut).
La France est un des pays qui a le plus de logement sociaux, comme le Royaume-Uni, la Finlande, l’Autriche. Mais l’exemple du Royaume-Uni est éclairant puisque son parc social a été très fortement réduit après les réformes de Margaret Thatcher, qui a remis en cause la politique historique de l’état pour le logement social et lancé la vente des logements aux locataires… Résultat, près de 2 millions de logements vendus, qui ne sont plus dans le parc social, certains faisant de bonnes opérations en revendant leur logement 5 ans après, poussant ainsi à une très forte hausse des loyers. La conséquence a été une très forte baisse de la construction de logements en général, et une spécialisation du parc social pour les plus pauvres… (un article à lire….)
Voila le débat qu’il faut ouvrir sur l’avenir du logement social, et nous devons être le plus nombreux possibles à affirmer avec force « le logement est un droit, une action publique pour le logement est une nécessité, le logement social est un bien public » !
Reprise de la discussion et conclusion
Plusieurs intervenants se sont exprimés pour dénoncer la réforme. Il y a eu plusieurs questions utiles, montrant l’utilité de cette rencontre, dont celle d’un jeune locataire qui s’interrogeait sur la proposition de « mobilité ». Il considérait que souvent des personnes âgées restent dans des appartements trop grand pour elles, alors que des familles en attente ne trouvent pas… Il avait de bonnes raisons de l’évoquer à partir de son expérience familiale avec une grand-mère qui n’avait pu passer son logement à sa fille, qui avait du se loger dans le privé avec de grandes difficultés…
C’est un exemple qui montre l’importance du débat public pour ne pas opposer les demandeurs de logement entre eux, et pour affirmer le droit de tous à un logement. Car si tout le monde est d’accord pour aider les personnes âgées dans leur relogement, la vérité est que très souvent, on ne trouve pas les logements adaptés à leur situation ! Ce ne sont pas les personnes âgées qui refusent de changer, au contraire, ce sont leurs demandes de mutation qui trainent le plus longtemps parce qu’on manque de petites logements accessibles !
Autrement dit, c’est le déficit de constructions de logement sociaux qui est en cause, pas les locataires !
Voila le débat qu’il faut avoir avec les locataires et les demandeurs en attente, car tous ont intérêt à se serrer les coudes pour défendre le droit au logement pour tous, et donc le retour à l’aide à la pierre pour financer la construction, et un programme réellement renforcé de construction de logements accessibles à tous. Pour cela, il n’y a pas de doute, il faut revenir à une véritable aide à la pierre, c’est à dire à une volonté publique de construire plus de logements de qualité aux loyers accessibles, et donc que le gouvernement revienne sur la quasi-disparition depuis 10 ans du financement par l’état de la construction de logement ! Mais il n’en donne pour l’instant aucun signe…
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