En 2010, la précédente réforme des retraites, celle portée par le groupe LR qui passait l’age de départ de 60 à 62 ans avait fait l’objet d’une contestation de même ampleur qu’aujourd’hui, jusqu’à 3,5 millions de manifestants le 19 octobre, 2 semaines avant le vote final de l’assemblée, avant de décroitre rapidement après.
Cette année, la plus forte journée de mobilisation se situe après la validation de la loi par recours au 49-3. Et c’est à cette occasion que le jeu terrible des provocations et des répressions se met en place, alors même que chacun avait noté que, contrairement à 2016 ou 2018, l’unité syndicale organisait des cortèges puissants, déterminés, montrant sans violence leur force par leur nombre.
Certains peuvent considérer que ce n’est juste qu’un problème de gestion d’un conflit social, et que tout le monde l’aura oublié dans quelques mois. C’est ne pas voir que cette réforme est sans doute la goutte d’eau qui fait déborder la crise démocratique. Nous vivons l’agonie d’un régime politique né dans les trente glorieuses autour d’un projet politique national inégal, reposant encore sur les revenus coloniaux, mais qui promettait un progrès de société, le droit au logement, aux déplacements, à l’énergie. Les luttes sociales étaient féroces, notamment dans les années 60, mais l’immense majorité des Français voyaient leur condition de vie s’améliorer.
Depuis Maastricht et l’euro notamment, c’est fini. Les jeunes savent qu’ils viveront moins bien que leurs parents. Des vieux font vivre deux générations avec leur retraite, les inégalités territoriales se sont terriblement aggravées.
Et pendant ce temps, tous les gouvernements successifs ont promis et trahi, ont menti aux Français, creusant une fracture politique qui atteint des sommets. Les Français n’ont plus confiance, ni en l’état, ni aux institutions, ni aux parlementaires, ni aux partis politiques. Les maires gardent un lien local, mais dans un contexte d’abstention qui ne leur permet plus, même à eux, de représenter le peuple.
Pendant un temps, l’alternance a digéré cette fracture politique. Les anti-Sarkozy sont devenus des anti-Hollande avant d’être anti-macron. Mais les conditions de la première et de la deuxième élection de Macron laissent le régime sans légitimité populaire, sans assise sociale autre que les affairistes, les financiers et les minorités gagnantes de la crise, ceux que le président a appelé des premiers de cordées.
La masse des autres a dit aux législatives de 2022 qu’ils n’y croyaient plus, faisant de l’abstention le premier parti de France, renvoyant la gauche derrière l’extrême-droite, faisant exploser les partis traditionnels.
La médiatisation a pu faire illusion un temps. Les promoteurs des réseaux sociaux ont cru qu’ils allaient réinventer la démocratie, que la société numérique était la nouvelle ère de la démocratie occidentale. Patatras, c’est pire que Orwell, Elon Musk prend Twitter, Trump a retrouvé ses 30 millions de suiveurs facebook et Chat GPT nous fabrique de faux amis plus vrais que nature.
Sommes-nous au bout de cette histoire ? Notre peuple va-t-il relever le défi d’affirmer sa volonté, sa nécessaire souveraineté ? Peut-on voir grandir l’exigence d’une autre démocratie, qui ne repose plus sur la communication, ni sur les sauveurs suprêmes, mais qui se fonde sur le terrain dans les confrontations citoyennes sur des questions concrètes, une démocratie tournée vers l’action qui prend en main les enjeux de l’emploi, de la formation, de l’éducation, du vivre ensemble.
Cela suppose d’abord une démocratie économique qui sorte de la si ancienne fracture entre capital et travail, redonnant au travail sa place centrale sur la décision, y compris sur le capital. Cela suppose une démocratie qui n’oppose plus les humains entre producteurs, consommateurs, usagers, ou riverains, mais qui les relient tous comme citoyens.
Ce n’est pas une question d’article 47-1 ou 49-3, ni de 6e république, il faut réinventer la république à la hauteur d’un évènement révolutionnaire, il faut inventer la première république sociale.
Certains font encore des calculs. Peut-être qu’un premier ministre LR permettrait de trouver une majorité ? Mais si nous ne réinventons pas une démocratie véritable, une démocratie populaire comme on disait il y a longtemps, alors nous savons tous quelles sont les forces qui sont prêtes à tirer les marrons du feu. Celles qui ont pris le pouvoir en Italie, en Europe de l’Est, en Israel, et qui poussent à une nouvelle guerre civile états-unienne. L’histoire ne se répète jamais, elle bégaie, dit-on, le fascisme de demain ne sera pas le nazisme d’hier, mais il jouera le même rôle. Proposer un régime politique capable d’orienter les colères sociales vers la guerre. C’est peut-être la seule issue pour Emmanuel Macron.
Il faut espérer que le sud de notre planète soit capable de contrôle la folie occidentale. Il faut espérer que le peuple Français retrouve le chemin de son unité dans le travail comme dans la cité, qu’il retrouve la force de ses révolutions.
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