Only Lyon
- Dites donc, Madame Emeline, qu’est-ce donc qu’on voit écrit partout : Onlilion ? Il y a aussi un gros lion qu’ils ont dessiné dessur. C’est-il son petit nom ?
- Mais non, Madame Michu, si vous aviez été aux écoles comme moi, vous y prononceriez comme il faut : oounelilayonne !
- Qu’est-ce qu’ils vont donc pas rien chercher, ma pauvre Madame Emeline ! J’ai des fois pas bien d’ème, je sais bien, mais ça veut-il dire quelque chose ? Ça serait-il le petit nom du gros lion ?
- C’est pas Dieu poss que vous ne soyez pas au courant. C’est un label !
- La belle ? Le lion donne pas rien d’air à une fumelle.
- Bon, je vais vous y expliquer. Ce n’est pas un gros lion, mais le Grand Lyon. Et « only », c’est l’anagramme de Lyon, et ça veut dire « seulement » en anglais.
- Alors là, vous m’en petafinez le coqueluchon, ma pauvre Madame Emeline. J’aurais pas rien cru que Lyon eusse une agramme et qu’i fallait y dire en anglais. Et pourquoi, aux Amériques, ils n’écriraient pas « seulement Nèviork » en bon français ? Vous me dites pas tout ça pour m’enganer ?
- Je me permettrais pas, ma pauvre Madame Michu. Je vais tout vous y expliquer : imaginez qu’on ait découpé le nom de Lyon, qu’on y ait tout mis dans un sachon et qu’on y ait sigrollé tant que dure dure. Par après, on abouche le sachon et il en sort un mot anglais, « only », qui veut dire « seulement ». Si on l’écrit et qu’on y appond le nom de la ville, ça fait « only Lyon ».
- Bon, ça peut amuser les grabottes, tout ça, mais ça veut pas dire grand chose !
- ‘coutez, Madame Michu, ça devrait d’abord pas vous détrancaner l’entendoir. Mais je veux bien vous y traduire : ça veut dire en français qu’on « aime seulement Lyon ».
- Je vais vous dire une chose, Madame Emeline : j’aime franc bien Liyon, mais j’aime encore plusse les andouillettes et les pâtés de vogue. Et puis, il y a quand même d’autres pays que j’aime bien, comme Brindas ou Neuville ! Allez, on va pas chercher des rognes, tout ça, c’est de la publicité. Mais…
- Mais quoi t’encore, Madame Michu ? Y a-t-il encore des choses qui vous endêvent ?
- Il y a qu’il faut avoir été aux écoles pour comprendre des choses qu’on dit en anglais avec des agrammes qu’il faut tout y décarpenter pour arriver à savoir ce que ça veut dire. On est bien de plaindre, quand même. Tenez, l’autre jour, je reçois-ti pas un journal dans ma boîte, avecque des images où Liyon est plus chenu que le palais du facteur Cheval ou le Parque de la Tête-d’Or et où il y a des cuchons de jeunes qu’on leur compte les chaillottes tellement qu’ils rigolent, mais ils disent aussi des choses que j’ai pas rien comprises.
- Allez, j’en suis quasi sûre : c’est « addicted to Lyon »…
- Oui, Madame Emeline, ça y semble. Vous voulez bien m’y traduire ?
- Ça veut dire qu’ils aiment tellement Lyon qu’ils ne peuvent pas s’en passer, comme ceux-là qui se fiôlent au borjolais ou qui se drogassent à de charoperies…
- … et qui en deviennent franc bazus si on les en prive ? C’est pour ça qu’ils y disent en étranger, parce qu’ils se vergogneraient manquablement d’y dire en français ! Je voudrais quand même pas déparler, mais des fois…
- Allez, déparlez donc un bon coup, Madame Michu, que j’ai mes écommissions qui m’attendent !
- Eh bien, quant à faire de publicité, pourquoi n’irait-on pas dire les choses justement comme à Liyon, que les bonnes gens y comprendraient de suite et pourraient instruire les étrangers en leurz y expliquant ?
- Ah oui ! On va écrire au parsident du Grand Liyon pour lui donner des idées : « Venez à Liyon, qu’il y a de bons grattons ! », ou « Il y a à Liyon un cuchon de bouchons », ou encore « Chez nous, gin de façons ! Tout est bon à Liyon ».
- Madame Emeline, ce serait de bon faire ! Il y a sûrement des étrangers qui viennent à Liyon pour trouver des choses qu’il y a seulement entre le Rhône et la Saône et qui veulent pas rien se bottifeler avecque des mots qu’ils entendent de partout. « Chez les canuts, tout est chenu ! »
- Bon, on va broger tant que d’y songer. En attendant, j’y envoie aux Amis de Guignol.
Lexique :
aboucher | poser à l’envers |
appondre | adjoindre |
bazu | abruti |
borjolais | beaujolais |
bottifeler | bourrer |
bouchon | restaurant populaire |
broger | tourner dans sa tête |
canut | ouvrier en soierie |
catolle (dans le titre) | brave dame d’un certain âge |
chaillottes | dents |
charoperie | saloperie |
chenu | admirable |
coqueluchon | tête |
cuchon | tas |
décarpenter | mettre en ordre |
déparler | dire des bêtises |
des rognes | noises |
détrancaner | démonter |
donner d’air à | ressembler à |
écommissions | courses |
ème | esprit |
endêver | tracasser |
enganer | tendre un piège |
entendoir | réflexion |
fiôler | saouler |
franc bien | beaucoup |
fumelle | femme |
gin | ne point |
grabottes | petits curieux |
grattons | morceaux de lard frit |
manquablement | immanquablement |
petafiner | faire éclater |
pas Dieu poss | pas possible |
sachon | sachet |
se vergogner | avoir honte |
sigroller | secouer |
tant que | jusqu’à |
tant que dure dure | longuement |
y | le (pronom) |
Annexe.
J’avais écrit cette fantaisie il y a quelques années, lorsque s’afficha dans tous les coins de Lyon cette stupide anagramme, dont personne ne semblait prendre ombrage. Traitant cela sur le mode comique des satires de Guignol, qui, tout en donnant d’aimables petits coups de griffe à gauche et à droite, n’ont jamais vraiment écorché ni personnage ni institution, je l’envoyai justement à l’association des Amis de Guignol. Mais il semble que ce texte se soit perdu en route.
Je visitai récemment le Musée des Confluences. A cette occasion, je suivis la langue de terre qui s’avance au point extrême du confluent, me rappelant, en retraité, les escapades que, petits Lyonnais, nous faisions au même endroit sur nos bicyclettes, fascinés par le mélange des eaux. C’est là que s’imposa à moi, comme aux autres promeneurs innocents, une énorme inscription formée de lettres dressées en travers du terrain : ONLY LYON. Visiblement, elle était destinée à accueillir tout ce qui remontait du sud, que ce fût par l’autoroute ou par le fleuve. Par bonheur, les conducteurs sont trop occupés à déjouer les pièges mortels du grand virage de la Mulatière et à choisir dans l’urgence la voie qui leur convient ; quant aux mariniers, ils doivent avant tout sauvegarder leur cargaison de conteneurs ou leurs centaines de tonnes de matériaux. Donc personne ne la voit.
Retournant sur mes pas, je jetai un coup d’œil au grand centre commercial qui s’élève en face de l’Hôtel de Région. Horreur ! Qui veut y faire ses courses se voit saluer par l’inscription Welcome on board, répétée au bas des escalators. Tournant le dos à cette formule et marmonnant en moi-même Thank you, je me consolai dans le spectacle de la nature environnante. La rivière était proche, la jolie darse miroitait, la balme boisée de la Mulatière se reflétait dans les eaux, les oiseaux de paluds animaient les « milieux humides » aménagés au pied de la digue. Le cœur serré malgré tout, je gagnai la gare de Perrache. Sauvé ! J’eus beau écarquiller les yeux et explorer tous les environs du regard, je n’y trouvai pas l’inscription :
LYON-PERRACHE RAILWAY STATION…
Claude Longre
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