De la dissolution aux jeux, entre fracture et fête populaire Enregistrer au format PDF

Lundi 12 août 2024

Quelle magie olympique ! La France semble être passée des fractures et tensions des européennes et de la dissolution, à une ambiance festive d’unité et de réussite. On sait bien que cette pause estivale et olympique n’efface pas la profondeur de la crise politique, que la France reste marquée par la dérive à droite, et une situation politique ingérable pour ses partis politiques et ses citoyens. Mais quelle fête !

Macron, comme d’autres, tente de surfer sur les victoires françaises, surtout les plus fortes médiatiquement, rugby, triple médaille d’or, triathlon parti dans les eaux de Paris, finales… Mais ce n’est qu’une broutille par rapport aux foules des lieux olympiques, aux réactions massives de proches, voisins, vacanciers, que commentent largement des médias multipliant les témoignages sur la joie de se retrouver pour fêter cet évènement sportif, après une période électorale vécue comme une impasse.

C’est le sens de la formule de Bixente Lizarazu disant sur France Inter, je pense que ces Jeux olympiques arrivent vraiment au bon moment parce que nous étions dans une période d’écœurement, de dégoût. Il y a eu la dissolution de l’Assemblée nationale, l’image pitoyable aussi de la politique. (…) Pour les jeux, j’ai l’mpression que les Français ont envie de se défouler. Ils ont envie de vivre des émotions positives. La compétition est arrivée à point nommé., et une auditrice commente avec une formule très politique « il n’y a que le sport pour nous unir comme ça, noir et blanc, riche et pauvre… »

Nous unir riches et pauvres alors même que la colère contre les inégalités sont au cœur du rejet de Macron ? Unir blanc et noir quand le racisme organise la division électorale du peuple ? Les Français se sont massivement fracturés électoralement avec l’extrême-droite largement en tête, la macronie à la dérive sauvée par le désistement républicain, la gauche toujours en dessous de 30% ne mobilisant que moins d’’un inscrit sur 5…

Et pourtant, le peuple fait massivement la fête, laissant de coté les critiques des jeux. Celles qui rejettent le nationalisme des drapeaux comme celles qui dénoncent la marchandisation du sport accaparés par les publicitaires. Dans des jeux qui se présentent comme vecteur de paix et de rapprochement des peuples, la sécurité des athlètes israéliens est prioritaire, mais personne n’imagine une rencontre pour la paix avec les quelques sportifs palestiniens, oubliant les sportifs sélectionnables morts à Gaza ou coincés en Cisjordanie… Le classement des médailles oublie l’absence des athlètes russes, 4e en 2016, 5e sans drapeau en 2020. La critique d’un CIO outil de la domination occidentale disparait.

La fête pour oublier une colère dans l’impasse politique ?

En vacances actives avec cinq petits-enfants en Haute-Loire, département où l’extrême-droite dépasse les 40% aux européennes, où le total des droites dépasse 80% aux législatives, j’ai participé à une fête de village, autour d’un moulin, avec des centaines de personnes heureuses, décontractées, accueillantes… comme si l’expression politique partisane n’avait pas de conséquences sur la vie quotidienne. Le cinéma local passait une retransmission de l’opéra « le roi carotte » de Offenbach, dont la première présentation en 1872 suivait de peu la Commune de Paris et qui évoque la colère populaire contre le tyran en chantant la violence populaire nécessaire [1]

Ah ! quel gouvernement !
Ça ne peut pas durer vraiment !
Des soldats partout !
Citoyens, debout !
Puisqu’il nous pousse à bout
Amis ! debout !
A bas le tyran !
A bas, à bas le charlatan !
Carottes, radis,
Légumes maudits,
Réduisons tout en purée, en salmis [2].

Les spectateurs étaient-ils les mêmes qu’à la fête du moulin ? L’opéra comme le sport peut-il unir malgré les contradictions politiques ? Sans doute que l’image d’une France fracturée irréconciliable n’est pas bonne. Il y a bien des éléments d’unité… Lors d’une balade typique d’Auvergne, autour d’un volcan, j’ai découvert que la petite ville d’Allègre était le village natal de Germaine Tillion, ethnologue, résistante qui dénoncera la torture en Algérie. La médiathèque porte son nom et une conférence est organisée chaque été dans la salle du conseil de la commune… où la gauche unie atteint 13% aux dernières législatives.

Pendant ce temps, Lucie Castest, qui sur proposition du NFP demande au président de la nommer première ministre [3], met un bleu pour aller à la rencontre des ouvriers. Geste de com bien sûr, mais geste politique dérisoire tentant de faire oublier la fracture entre la gauche que cette haute fonctionnaire représente et un monde ouvrier qui se partage entre abstention et RN… Est-ce en se déguisant en ouvrier que la gauche peut leur parler en vérité ? Elle le fait dans une usine symbolique avec le projet de reprise en SCOP par les salariés validé par le tribunal de commerce, mais surtout symbolique car c’est un cas parmi des milliers. Comment la gauche peut-elle dire qu’elle fera demain ce qu’elle n’a pas fait au pouvoir en 1981, 1988, 1997, 2012… ? Et qu’a-t-elle fait dans les grandes villes qu’elle dirige, à Paris, Lyon ou ailleurs qui se sont toutes désindustrialisées et gentrifiées, rejetant les ouvriers en périphérie ?

Et pendant ce temps, le RN se prépare, faisant le ménage, prenant soin de ne pas se faire piéger dans les polémiques de Zemour et autres fascistes sur la cérémonie d’ouverture, avec un message d’encouragement aux athlètes pour Marine Le Pen, un extrait de Céline Dion pour Bardella…

Les réactions à la cérémonie d’ouverture, comme la cérémonie elle-même, sont à l’image de cette situation politique, incapable de répondre à l’attente d’unité populaire exprimée par la fête olympique, reposant au contraire sur l’opposition entre ceux qui fêtent une modernité sociétale dans la régression sociale et ceux qui réagissent dans la défense de valeurs traditionnelles inscrites dans les inégalités sociales. Ces réactions ne font que reproduire la fracture profonde de la France révélée par les résultats des européennes puis des législatives. Croire que l’unité populaire peut être « queer » ou « LGBT+ » est évidemment une illusion des couches urbaines éduquées. L’ouvrier de DURALEX visitée par Lucie Castets se contrefout de savoir si son patron est L, G, B,T ou autre chose ! Une patronne du MEDEF, héritière d’une vieille bourgeoisie du meuble, était parait-il lesbienne, et alors ? Le nazi Ernst Röhm était gay, et alors ?

Pas d’issue politique sans remettre la question sociale au centre !

Ce que les auteurs de la cérémonie d’ouverture ne peuvent pas voir, c’est qu’il ne peut y avoir d’unité populaire sans affronter la cause profonde des inégalités, de toutes les inégalités, la division de la société entre ceux qui possèdent et décident et ceux qui travaillent et subissent.

Et la révélation par Lucie Castets de sa situation familiale est du même acabit, on s’en fout ! Par contre, voir toutes celles et ceux qui rêvent d’un strapontin ministériel, et même parfois de Matignon, frétiller dans les médias pour tenter de capter ce « temps de cerveaux disponibles » bien connu des publicitaires, c’est ce qui aggrave en permanence la fracture démocratique et fait le lit de l’extrême-droite.

Pourtant, les colères contre une société injuste sont toujours là et s’expriment parfois de manière archaïque, cet été contre les lignes TGV ou les infrastructures internet, dans le style des soulèvements de la terre ou des blacks blocs, une régression anarchiste qui oublie un siècle et demi d’expériences sociales et politiques des peuples. Au moment où la gauche ne parle que de gouvernement, il faut se rappeler cette vielle chanson de François Brunel en 1889 popularisée par Marc Ogeret : « faut- plus d’gouvernement », et dont je ne résiste pas à une version actualisée [4]

L’gouvernement d’Macron
Est un système de con
Ceux d’Castets ou Hollande
Sont tous de la même bande
Le Pen et Mélenchon
nous font tourner en rond
Pour être heureux vraiment
Faut plus d’gouvernement
 
Faut plus d’gouvernement ! (actualisée)

Cette colère anarchisante contre les apparences d’une république bourgeoise est bien sûr anecdotique, et il faudra bien autre chose pour être capable d’ouvrir une issue à la crise politique, et dépasser les limites du NFP.

Lier unité populaire et unité républicaine autour des questions sociales, c’était la marque de la campagne des jours heureux du PCF en 2022, campagne utile dont le résultat illustre la réalité du rapport de forces. Cette urgence de l’unité populaire dépassant par un projet de république sociale le clivage gauche-droite sociétal est aujourd’hui marginalisée à gauche et dans la société.

Et pendant ce temps là, macron et les médias continuent, se félicitant de la victoire des « séparatistes » du nord du Mali contre des russes, sans rappeler que c’était contre ces « séparatistes », alliés aux djihadistes, que se battait officiellement l’armée française. Macron sombre dans l’atlantisme en renversant la position historique de la France, soutenant le Maroc contre l’Algérie, malgré nos liens économiques, gaziers et humains, et continue à participer à la globalisation de la guerre d’Ukraine.

Et pendant ce temps, le monde se transforme à vitesse accélérée, la Chine permettant un accord de tous les partis palestiniens, après avoir permis un accord entre les frères ennemis iraniens et saoudiens, la géopolitique mondiale oppose désormais le militarisme otanesque et la diplomatie chinoise…

C’est sans doute le plus difficile à réaliser pour la gauche et ses personnalités. On ne reconstruira pas de rassemblement progressiste majoritaire sur des questions sociétales, seule la république sociale peut unir notre peuple. On ne reconstruira pas non plus de rassemblement progressiste majoritaire dans le faux consensus occidental atlantiste [5], seule une France ouverte au monde qui bouge du coté du sud global peut sortir du piège de l’immigration comme confrontation des peuples.

[1les enfants ont suivis et adorés…

[2l’histoire est celle du roi carotte qui instaure la dictature des légumes…

[3formule surprenante que cette demande… Que les dirigeants des partis du NFP la propose au président, c’est logique, mais qu’elle demande personnellement au président de la nommer est quand même une première, qui transforme la question politique de la nécessaire réponse du président à ses défaites électorales répétées, en une question de personne, et donc de place…

[4version d’origine

L’gouvernement d’Ferry
Est un système pourri
Ceux d’Floquet, de Constans
Sont aussi dégoûtants
Carnot ni Boulanger
Ne pourront rien changer
Pour être heureux vraimentpopulari
Faut plus d’gouvernement

[5c’est quasi impossible pour le PS et Glucksman qui devrait rompre avec Mikheil Saakachvili comme avec Léa Salamé….

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