Contribution au programme local de prévention des déchets Enregistrer au format PDF

Vendredi 12 octobre 2018

Ma contribution à la consultation du projet de programme local de prévention commence par discuter de la démarche elle-même, du sens que l’introduction donne à ce projet, puis aborde le contexte de ce travail, et notamment les leçons à tirer des programmes précédents, avant de discuter successivement de la méthode d’élaboration, du plan d’action, et de l’objectif global. [1].

Ma première remarque porte sur le sens général de ce projet, résumé dans son introduction par cette affirmation « Le meilleur déchet est celui qui n’existe pas » : tel est l’enjeu de la prévention des déchets.

J’ai déjà eu l’occasion de souligner l’ambiguïté de ce « rejet » des déchets comme quelque chose « d’anormal » à faire disparaitre… Il faudrait n’avoir aucun déchet, c’est le sens de l’expression Territoires zéro déchet, zéro gaspillage (ZDZG)" de l’appel à projet du gouvernement auquel la métropole a répondu.

On ne peut que partager l’expression « zero gaspillage » ! le mot gaspillage vise bien ce qui pouvait être évité, qu’on a consommé sans utilité, dont le traitement souvent couteux représente donc une dépense en pure perte… Zero gaspillage, bien sûr, mais zero déchets ?

La gestion des déchets est historiquement liée au développement de la civilisation, comme l’assainissement ou l’organisation des transports, liée donc à la ville.

  • C’est en 1883, que la « boîte à ordures » du préfet Eugène Poubelle est devenu obligatoire à Paris, la « poubelle » était née…
  • C’est dans les années 1970 qu’un professeur de chimie de l’INSA de Lyon, Alain Navarro, crée le département « génie énergétique et environnement » qui forme notamment des ingénieurs dédiés aux méthodes de traitement des déchets et sera à l’origine de toute une vague de chercheurs et… de projets et décisions politiques.
  • C’est en 1975 qu’une première loi sur la gestion des déchets formalise une politique publique qui sera progressivement enrichi dans le « code de l’environnement » devenu depuis un outil essentiel des politiques urbaines. Les innovations techniques pour recycler, revaloriser, incinérer dans de (très) bonnes conditions environnementales vont se succéder et nous sommes 40 ans après dans un environnement totalement différent. Nous maitrisons mieux que jamais le cycle des déchets et nous sommes capables, techniquement, de réduire très fortement leur impact sanitaire sur notre environnement… Il vaut mieux vivre à coté d’un incinérateur de Lyon en 2018 qu’à coté d’une des innombrables décharges non contrôlées du siècle dernier !
  • Mais les sciences et techniques ne peuvent rien sans les pratiques et les usages des citoyens ! C’est en 1985 que Jean Gouhier, un professeur de géographie de l’université du Mans, en France, formalise la « rudologie », c’est à dire « l’étude des déchets, des rejets et des marges des systèmes économiques et sociaux (de rudus = décombres et de logos = science) ». Et à la formule du projet métropolitain « Le meilleur déchet est celui qui n’existe pas », je préfère l’aphorisme du rudologue «  Là où l’institution passe, l’ordure trépasse et la rose peut s’épanouir.  » qui fait le lien entre les politiques publiques, les déchets et la qualité du cadre de vie.

Car c’est le cycle production/consommation/valorisation qui est le vrai enjeu de la gestion des déchets et qui nécessite un débat public sur nos consommations, nos pratiques, les modes de production et de distribution pour aller réellement vers une économie circulaire qui considère le déchet non comme une anomalie à supprimer, mais comme une richesse à (re)valoriser, une matière qui doit être considérée comme le départ d’un nouveau cycle.

Il faut alors évidemment viser la réduction des déchets évitables, donc zero gaspillage, mais surtout pousser l’ensemble des acteurs de la consommation à s’interroger sur la valeur économique de nos consommations, en lien avec leur valeur d’usage…

Rien ne vaut un exemple concret que tout le monde connait, celui des couches… Le coût de leur collecte et de leur traitement est-il justifié ? Peut-on réellement s’en passer ? Certaines familles font le choix, le plus souvent porté par les femmes, de couches lavables, mais qui a fait le bilan environnemental comparé ? et qui peut décider que telle ou telle pratique est justifiée ou pas ? Le coût économique du traitement de ces déchets ne peut être un argument acceptable pour culpabiliser ceux et celles, très nombreux, qui font le choix de la couche jetable ! Sur cet exemple, l’enjeu d’une politique publique de gestion des déchets ne peut être de décider à priori qu’il faut les réduire, mais de favoriser un vrai débat technique et citoyen sur les solutions et les usages, sur la conception même des produits qui doit intégrer leur récupération future… et d’organiser au mieux la politique publique de traitement et donc de valorisation des déchets que les pratiques collectivement débattues rendent nécessaires.

De ce point de vue, je considère que l’intitulé même du programme est discutable. Prévention des déchets ? comme on parle de prévention des accidents ou de la délinquance ? Non, le déchet n’est par nature ni un crime, ni un délit, ni une incivilité, c’est le gaspillage, le déchet illégal, le déchet évitable… qui sont des incivilités, et parfois des délits, ou des infractions…

Tout jardinier apprend année après année à comprendre et maitriser les cycles de la végétation, des semences qu’il achète, récupère, ou produit lui-même, aux légumes et fruits qu’il donne, consomme, ou transforme, et des restes dans le jardin et dans la cuisine que le plus souvent, il composte au fonds de son jardin. Il adapte sa production à sa situation, fera moins de haricot et plus de tomates, parceque ses enfants ne mangent pas les haricots… il évitera toujours tout gaspillage ! Mais qui peut lui demander de « réduire ses déchets de jardins », alors même qu’ils lui sont utiles ? Le problème, c’est quand ceux qui produisent et distribuent ne cherchent qu’à maximiser leur propre rentabilité sans prendre en compte le cycle de vie complet de leurs marchandises, et en se préoccupant « peu » [2] de leur valeur d’usage et de l’intérêt public à les concevoir et les produire de telle ou telle manière…

Heureusement, comme le dit le géographe, l’institution est là pour définir des règles ! Travaillons donc aux lois sur l’économie circulaire !

Mais malgré le cadre très orienté de cette consultation, il reste que beaucoup des actions proposées sont pertinentes, car elles sont indispensables pour réduire les gaspillages et donc le volume total de déchets à collecter et traiter… C’est un vrai enjeu pour un service public qui fait beaucoup discuter, au moment ou certains, de droite et de gauche comme on dit chez les macronistes, veulent le transformer en un service marchand qui ne serait plus financé par la fiscalité (la taxe appelée TEOM que les anti-impôts de la CANOL [3] attaquent depuis des années…)

C’est pourquoi je propose à tous de participer à cette consultation…

Un nouveau programme, qui fait suite à un premier. quel bilan ?

Ma première remarque porte sur le contexte de ce nouveau programme, qui fait suite au plan stratégique de gestion des déchets 2007-2017 qui comportait notamment l’objectif d’« agir sur le gisement », c’est à dire de viser la réduction des déchets produits par ménage. Le résultat est significatif avec 7% de réduction entre 2009 et 2015, soit 22kg par habitant.

Mais le projet actuel n’aborde pas la question des inégalités sociales et territoriales dans cette réduction des déchets ni les difficultés constatées dans le plan précédent qui sont pourtant révélatrices des freins qu’il faut surmonter.

Commençons par le bilan… Si les premiers efforts de 2005 à 2013 ont été concluants, avec le plus gros de la baisse de 7% affichée dans le projet, les résultat stagnent plutôt depuis comme le montre ce graphe issu du rapport annuel sur la qualité du service public des déchets.

La production de déchets par habitant n’a baissé que de 0,2% en 2016 et surtout, la part de collecte sélective a elle baissé pour la troisième année consécutive, tandis que la qualité du tri se dégradait.

L’élaboration du nouveau plan devrait commencer par une analyse détaillée des causes de ces difficultés.

Concernant les inégalités sociales, la métropole a pourtant fait réaliser en 2012 une étude détaillée sur le contenu de nos poubelles qui montraient les fortes différenciations entre quartiers… Cette étude ne faisait que confirmer la maxime du grand géographe déja cité « Montrez-moi ce que vous rejetez et je comprendrai qui vous êtes et comment vous travaillez »… Or, cette étude n’est citée que pour ses résultat sglobaux sur le contenu des poublles, sans utiliser la connaissance détaillée des déchets selon les situations sociales et urbaines. Or cette connaissance détaillée est un atout pour conduire et orienter les actions visant à leur réduction ! Il faudrait prendre en compte cette étude pour conduire des études permettant de mieux comprendre ainsi le lien entre consommation et déchets, et « cibler » des actions sur les territoires ou elles sont le plus pertinentes…

Les modalités d’élaboration de ce projet…

Le travail préparatoire a été important avec 75 personnes auditionnées et une commission de 6 élus métropolitains, principalement de l’exécutif, mais sans représentation de tous les groupes politiques, ce qui fait que la gauche est écartée du travail de préparation, dont bien sûr le groupe communiste et républicain. Il existe pourtant un groupe de travail « déchets » ou tous les groupes sont représentés…

On ne peut que le regretter, même si désormais la consultation permet à tous de s’exprimer. [4]

Le plan d’action proposé

La liste des 14 thèmes prioritaires contient des actions de communication et sensibilisation, des actions visant un flux de déchets spécifique (compostage) et des actions visant à mieux organiser les acteurs du cycle des déchets (achat durable)…

Il me semble que le projet n’aborde pas suffisament l’enjeu de l’innovation sur les produits et les modes de distribution à parti d’analyses comparatives entre différents solutions… Pour moi, la réduction des déchets n’est pas qu’une question de comportement individuel… Et on ne peut séparer la réduction des déchets de leur traitement, comme le montre bien le compostage !

Pour chaque flux significatif de l’étude sur le contenu de nos poubelles, il faut interroger le lien entre la production de déchets et leur traitement, pour identifier et supprimer les gaspillages et favoriser le meilleur traitement des déchets…

  • Les putrescibles avec 29%, en gros tout ce qui vient de ce qu’on mange… Le compostage est naturellement mis en avant, mais il faut interroger le compostage local, (dans l’idéal, chacun chez soi ou en pied d’immeuble), solution pertinente pour sa dimension pédagogique, mais qui a le gros inconvénient d’être un facteur important d’émission de gaz à effet de serre ! Faut-il alors réouvrir le dossier d’une collecte séparée des putrescibles ?
  • Les emballages avec 22%, qui sont bien évidemment très lié au mode de distribution… Sur ce sujet, l’action auprès des réseaux de distribution semble absent, de même qu’un travail autour des marchés pour aller vers la généralisation des sacs non jetables…
  • Les textiles sanitaires avec 13%, dont tous les non-tissés, couches, mouchoirs.. voire mon commentaire introductif… Je sais que ces déchets sont une vraie difficulté pour nos réseaux d’eau car on en jette beaucoup sur la voie publique qui se retrouvent dans les réseaux d’assainissement et les bouchent. Mais je ne crois pas qu’on puisse dire de manière indifférenciée « supprimer les textiles sanitaires ! ». Ils sont par exemple une nécessité absolue dans la santé !
  • Les papiers et imprimés publicitaires avec 12% [5]. Si la réduction des publicités papiers est urgente, faut-il vraiment supprimer le papier en général ? au profit du numérique ? Une des questions posées par les jeunes en service civique serait de revenir à l’ardoise en classe pour réduire l’impact environnemental d’une généralisation du numérique ! Le coût environnemental de la lecture numérique n’est pas nécessairement bien meilleure que celle de la lecture papier ! Autrement dit, mieux vaut un papier recyclé et une gestion circulaire de la production de papier et de la gestion des forêts que la suppression du papier !

De fait, il faudrait une forme d’observatoire des usages et des techniques permettant de partager une connaissance des alternatives à un déchet, des solutions qui existent sur la conception du produit ou du service qui génère le déchet, sur sa production et sa distribution, et sur son cycle complet de vie, pour faire apparaitre sur chaque usage la ou les « bonnes pratiques » qui sont le meilleur compromis entre la qualité d’usage, le coût économique, et le coût environnemental complet.. et donc de faire apparaitre aussi les « mauvaises pratiques » qu’il faudrait réduire… voire interdire !

Les objectifs de réduction…

Compte tenu de toutes ces remarques, l’objectif général de réduction des déchets de -1,5% par an me parait peu adapté, d’autant plus qu’il est très éloigné du dernier chiffre connu, -0,2% entre 2015 et 2016… Sans le construire à partir de choix plus précis selon les déchets et les actions décidées, il fait office d’un « voeu » comme les 1,5°C pour l’évolution du climat, qui est plus l’enjeu d’un débat médiatique que d’une vraie décision politique. Pour le climat, je pense que l’engagement sur la réduction de l’usage des fossiles dans la production électrique devrait être le principal indicateur mondial à suivre ! Concernant les déchets, c’est d’abord la part des déchets non recyclés qui doit nous préoccuper, c’est celle là qu’il faut réduire, soit qu’on réduise le déchet à la source, soit qu’on trouve comment le trier et le valoriser !

De plus, cet objectif annuel me fait irrésistiblement penser aux gestionnaires d’entreprises qui ont l’objectif de « réduire les coûts de 5% par an »… Au bout d’un moment, il ne leur reste plus qu’à fermer boutique à force de réduire des ressources jusqu’à leur destruction…

L’objectif de 1,5% par an, appliqué depuis le dernier chiffre connu, 297,4kg/habitant en 2016, conduirait à 193,3kg/habitant en 2024, soit une réduction de 33%… Visiblement, les moyens accordés à cette politique, centrée sur la sensibilisation et les comportements des citoyens sont totalement insuffisants pour espérer atteindre un tel objectif !

Au total, je connais et comprends l’engagement de nombreux acteurs pour sortir de ce qu’on peut appeler une « culture du déchet », et je suis le premier à pester contre les comportements inciviques de ceux qui croient qu’un bien dont on ne veut plus n’est qu’un rebus à jeter dans l’espace public ! Bien évidemment, le service public de la collecte ne peut être construit pour de telles incivilités, voire délits. Mais cela ne veut pas dire qu’il faudrait "réduire régulièrement la collecte de déchets jusqu’à un monde idéal sans déchets qui n’existe pas !

En tout cas, si ce débat de fonds est nécessaire, il est aussi utile au concret pour prioriser les actions qui répondent aux urgences telles qu’elles sont vécues dans les territoires, prenant en compte les modes de consommation. Ce projet devrait lui donner plus de place.

[1elle est construite principalement sur la lecture du « résumé non technique »

[2c’est un euphémisme !

[3collectif d’habitants de l’ouest lyonnais qui attaquent toutes les dépenses publiques, quelque fois avec raison, mais parcequ’ils ont besoin d’exemples illustratifs, alors qu’au fonds, ce sont toutes les dépenses publiques qu’ils jugent infondées, alors qu’on ne les entend jamais critiquer la fraude et l’évasion fiscale, les gâchis gigantesques des dépenses d’hyper-luxe des hyper-riches…

[4Je dois reconnaitre que j’avais « zappé » la délibération fixant la composition de la commission. Peut-être Emeline Baume aurait-elle accepter de l’élargir si je lui avais demandé ?

[5il serait évidemment utile de pouvoir séparer la publicité du reste, mais dans notre monde médiatique ou la publicité est au cœur du financement des médias, c’est difficile !

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