Après les « négociations » et le débat parlementaire

Alerte ! pour les bailleurs sociaux, la note risque de grimper à 2,5 milliards Enregistrer au format PDF

Lundi 8 janvier 2018

Cet article avait été écrit lundi 18 décembre à partir du texte discuté en deuxième lecture à l’assemblée samedi 16… Finalement le texte final voté le 22 décembre ne contient pas de « contribution de la caisse de garantie des loyers du logement social (CGLLS) au fonds national d’aide au logement (FNAL) » qui était apparu lors des débats parlementaires et qui m’avait alerté… Le travail législatif est complexe, avec des textes à « tiroirs » multipliant les références à d’autres textes… Il manque quelque chose qui rende lisible aux citoyens ce travail qui devrait être le cœur du débat public, plutôt que les petites phrases médiatiques qui servent à diffuser les messages du gouvernement et les réactions de son opposition.

Reste que la loi de finance pour 2018 contient une réforme importante des loyers des bailleurs sociaux et de l’APL et que si cette contribution de la CGLLS qui m’avait alerté a disparue, la perte pour les bailleurs semble plus importante qu’annoncée…

Face aux inquiétudes, les élus soutenant le gouvernement et les dirigeants des bailleurs sociaux qui leur sont liés ont tout fait pour freiner la mobilisation du logement social et privilégier les « négociations » avec le gouvernement. Alors, ont-ils défendu le logement social ou plutôt permis au gouvernement d’atteindre son objectif ?

Car la note finale semble bien plus salée ! Le projet initial évoquait une baisse de 1,7 milliards des APL, dont 1,5 milliard prélevé sur les recettes des seuls HLM. Les « négociations » auraient réduit en 2018 et 2019 ce montant à 800 millions, mais en ajoutant une hausse de TVA à 10% pour le logement social, soit 700 millions… Le total pour les bailleurs reste à 1,5 milliard…

Mais il y a plus grave ! Le budget est bien voté avec une baisse des APL de 1,7 Milliards ! Puisque la réduction de loyer de solidarité ne sera que de 800 milllions pendant 2 ans, il faudra trouver 700 millions de plus pour le Fonds National d’Aide au Logement qui finance les APL… Qui va payer en 2018 et 2019 ?

Puisque cela ne viendra pas de l’état, je crains que sous une forme ou une autre, cela vienne du logement social, portant à un total de 2,3 milliards pour 2018 et 3,2 milliard en 2020 les moyens perdus par les bailleurs sociaux. D’autant que le document officiel de présentation du budget par le gouvernement donne une perspective pluriannuelle dans laquelle le budget APL baisse encore de 1,5 milliard de plus en 2019 !

C’est pourquoi je publie finalement cet article écrit en décembre, et on verra si l’article de loi évoqué ci-dessous et finalement non voté revient sous forme d’un arrêté, décret ou autre décision gouvernementale…

Rappelons que ce projet de loi a été voté avec les applaudissements des députés MODEM et LREM, soit la totalité des députés de la métropole de Lyon… Ce texte a été écrit le 18 décembre à partir de la version ci-dessous du projet de loi

Version comparée du projet de loi en date du 16 décembre

L’article 52 du projet de loi de finance, comparaison entre version initiale et version discutée par l’assemblée

Résumons les mesures prévues à l’origine

  • une « réduction de loyer de solidarité » définie pour compenser la baisse des APL. Cette réduction de loyer est imposée à tous les bailleurs sociaux (et eux seuls). Elle représente 1,5 milliards au niveau national et est estimée par l’USH à 13% en moyenne des recettes locatives des HLM
  • une baisse des APL selon un barème de 50€ pour une personne seule à 99€ pour une famille de 4 enfants

Résumons les mesures finalement votées…

  • une « réduction de loyer de solidarité (RLS) » définie pour compenser la baisse des APL. Cette réduction de loyer est imposée à tous les bailleurs sociaux (et eux seuls). Elle sera de 800 millions en 2018 et 2019 et 1,5 milliards en 2020, au niveau national, soit 7% des recettes locatives des HLM en 2018 et 2019 et 13% en 2020… (C’est la même mesure que dans le projet initial, mais lissé sur trois ans…)
  • une baisse des APL selon un barème de 50€ pour une personne seule à 99€ pour une famille de 4 enfants (identique à la version initiale avec des montants définis par zone géographique)
  • une augmentation de la TVA pour la construction et les travaux de logements sociaux, ce qui représente 700 millions de plus versés par les bailleurs au budget de l’état… (nouvelle mesure)
  • un versement au fonds national d’aide au logement (FNAL) de la caisse de garantie que financent les bailleurs sociaux (CGLLS) de 850 millions en 2018. (nouvelle mesure) - un versement supplémentaire de 125 millions des bailleurs sociaux au fonds national d’aide à la pierre, alors que le gouvernement réduit sa contribution de 200M€ à 50M€. [1](nouvelle mesure)

Pour ceux qui douterait de ma lecture, j’ai recopié les articles de loi ci-dessous… Mais le bilan est terrible pour ceux qui ont prétendu « négocier » dans l’intérêt des HLM…

Bilan en millions d’€ avant « négociation » après « négociation » en 2018-2019 après « négociation » en 2020…
gouvernement - 1500 - 800 - 700 - 850 - 150 = - 2500 - 1500 - 700 - 850 - 150 = - 3200
bailleurs sociaux - 1500 - 800 - 700 - 850 - 125 = - 2475 - 1500 - 700 - 850 - 125 = - 3175
locataires 0€ mais 50% de travaux en moins 0€ mais 50% de travaux en moins et des loyers neufs plus chers de 4,5% 0€ mais encore moins de travaux et des loyers neufs plus chers de 4,5%

Pourquoi le refus initial des associations de locataires, de nombreux élus et de l’Union sociale de l’Habitat n’a pas fait fléchir le gouvernement ?

La plupart des acteurs ont cherché à mobiliser contre l’article 52 sans remettre en cause la logique de réduction des dépenses de l’état pour le logement, soit parcequ’ils ne voulaient pas s’opposer sur une question très politique au gouvernement, soit parcequ’ils ont cru que c’était tactiquement plus efficace.

En tout cas, le résultat est là, les négociations n’ont rien fait reculer, et ont même permis au gouvernement d’en rajouter…

C’est pour cela que le gouvernement a réussi a diviser le mouvement HLM entre les offices (OPH), ceux qui ont le plus de logements très sociaux et le plus de locataires avec APL, et les entreprises sociales de l’habitat (ESH), comme les bailleurs dépendants de Action Logement ou d’opérateurs nationaux comme la poste ou la SNCF…

Les ESH ont accepté de signer un accord que les OPH ont refusé… Il est vrai que les OPH sont les plus frappés par la baisse de recettes, alors que les ESH peuvent avoir d’autres activités que le logement social et peuvent donc plus facilement « compenser » la perte sur les logements sociaux…

Du coté du gouvernement, c’est un coup gagnant… diviser l’Union sociale de l’habitat crée de bonnes conditions pour une réforme du logement qui va être une véritable restructuration conduite à marche forcée. Si beaucoup d’ESH peuvent y perdre, les plus gros peuvent espérer y gagner. En effet, certains ESH qui ont beaucoup de locataires avec APL seront impactés comme les OPH, mais certains peuvent espérer racheter du patrimoine à des prix intéressants…

Pourquoi donc, la colère des bailleurs et locataires exprimée vivement au congrès de Strasbourg ne s’est pas transformée en front de refus faisant reculer le gouvernement ? Parce-que la réussite du mouvement en marche, c’est de faire croire qu’il ne fait pas de politique… Il veut nous pousser à ne faire que de la « technique », à discuter le bout de gras pendant des heures dans les bureaux, pendant que de toute façon, il avance sur ses objectifs… qui sont très politiques ; restructurer le logement social pour en finir avec une exception française… le droit au logement financé par l’épargne populaire et une cotisation sur les salaires, et géré par des acteurs publics en lien avec les collectivités…

Une leçon pour préparer l’affrontement inévitable sur le projet de loi logement !

L’article 52 voté en deuxième lecture par l’assemblée nationale

Article voté sur la base des amendements présentés par le gouvernement après les « négociations » avec les bailleurs sociaux.

Une contribution supplémentaire de la CGLSS au FNAL Un premier ajout dans le premier paragraphe de l’article 52

Après le e de l’article L. 351-7, il est inséré un f ainsi rédigé : Une fraction des cotisations mentionnées aux articles L. 452-4 et L. 452-4-1 du présent code. Pour 2018, cette fraction est fixée à 850 millions d’euros.

le texte copié du document officiel sur le site de l’assemblée nationale…

texte qui modifie le code de la construction définissant le fonds national d’aide au logement (FNAL)…voila cet article du code de la construction copié du site legifrance…

Mais comment sera financé cette somme énorme qui représente le double du budget actuel de la CGLSS… Certains évoquent un matelas dormant à cette caisse. Le rapport 2016fait pourtant apparaitre un résultat de 11M€ sur un budget de 430M€, et un actif total de 640M€… bien insuffisants pour trouver 850M€ + 125M€… D’ailleurs l’article 52 prévoit aussi d’augmenter très fortement la cotisation des bailleurs sociaux à la CGLSS, le taux maximum passe de 2,5% à 7%, soit presque le triple !

Et pour ceux qui doutent, voila l’article du code de la construction qui définit la CGLLS…

Autrement dit, les contributions des bailleurs à cette caisse vont tripler pour certains, et en moyenne plus que doubler. La CGLLS a un budget 2016 de 460 millions et elle va devoir trouver 850 millions en plus pour le FNAL et 125 millions en plus pour le FNAP (voir ci-dessous)… autrement dit, faire plus que doubler ses dépenses… et donc ses appels de cotisation auprès des bailleurs…

Cela revient, comme pour la réduction de loyer de solidarité, à faire financer les aides au logement par les bailleurs sociaux. C’est d’autant plus scandaleux que les bailleurs privés qui fixent à leur guise des loyers en hausse continue et dont les locataires avec l’allocation logement consomment la moitié du budget du FNAL ne sont pas concernés par ces contributions…

Le tableau clé de l’article 52 voté finalement comme résultat d’une « négociation » avec les ESH…

« Le montant mensuel de la réduction de loyer de solidarité est fixé chaque année par arrêté conjoint des ministres chargés du logement et du budget, dans la limite des montants fixés de la manière suivante pour l’année 2018 : (Montant maximal en Euro)

Désignation Zone I Zone II Zone III
Bénéficiaire isolé 50 44 41
Couple sans personne à charge 61 54 50
Bénéficiaire isolé ou couple ayant une personne à charge 69 60 56
Par personne à charge supplémentaire 10 9 8

Le zonage appliqué est celui utilisé pour le calcul des aides au logement. »

Comme chacun peut le constater, la seule modification est l’introduction de zones comme pour le calcul de l’APL, mais les montants sont du même ordre (ils sont légèrement réduits pour les zones moins tendues…).

Une formule de péréquation pour compenser les inégalités entre bailleurs Théoriquement, cette péréquation doit faire que si la cotisation moyenne des bailleurs sociaux à la CGLLS va doubler, elle va varier entre bailleurs… Pour certains ce sera presque x3, pour d’autres peut-être moins de x2, pour quelques uns, sans doute même une petite baisse… mais au total, il faudra que la somme finance les nouvelles dépenses de la CGLLS… Quand à la rédaction de l’article, un champion de la formulation technocratique. Si vous arrivez à comprendre… faites-moi signe ! « 2° La cotisation des organismes d’habitations à loyer modéré et des sociétés d’économie mixte agréées en application de l’article L. 481-1 est réduite d’un montant égal au montant des réductions de loyer de solidarité prévues à l’article L. 442-2-1 appliquées au cours de la période de référence multiplié par un coefficient de variation du montant de la réduction de loyer de solidarité prévu l’année de la contribution. »

Le fonds national d’aide à la pierre

Le président du fonds national des aides à la pierre (Fnap), Emmanuel Couet, remettant sa démission au ministère de la Cohésion des territoires a déclaré :

« j’ai reçu confirmation que la participation de l’État au titre de sa contribution aux aides à la pierre pour 2018 s’élèverait bien à 50 millions d’euros, contre 200 en 2017. Dans le même temps, les bailleurs sociaux voient leur contribution significativement alourdie, passant de 270 à 375 millions d’euros. »

[1Rappelons que le financement de l’aide à la pierre était de 1 milliard avant Sarkozy, de 400M€ en 2012, que François Hollande avait promis de le doubler, et qu’il l’a réduit à 200M€… Macron finit donc le travail en le réduisant à peau de chagrin et en économisant encore 150 millions…

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