Ou en est l’égalité 40 ans après la marche ? Enregistrer au format PDF

Mercredi 24 mai 2023

Après les 20 ans, passés inaperçus, et les 30 ans marqués par un film, les 40 ans de la marche pour l’égalité et contre le racisme font beaucoup parler, remonter beaucoup de souvenirs et vont poser aussi des questions d’actualité…

Le lycée Jacques Brel a été le premier à organiser un évènement marquant avec plus de 100 lycéens organisant une (courte) marche symbolique entre mairie et lycée, et une journée de débat riches des questions de jeunes d’aujourd’hui aux témoins de 1983.

J’ai participé à la marche et à la matinée ce qui a été l’occasion de nombreux échanges avec des lycéens, échanges divers mais toujours riches, de la lecture de la déclaration des droits de l’homme me conduisant à évoquer la version très rock de Mama Béa Tekielski aux échanges sur l’année 1983 et le rapport entre la marche et les grèves ouvrières de la même année.

Merci au proviseur du lycée et aux enseignants qui ont organisé cet évènement qui a légitimement débordé du lycée, et merci aux jeunes !

Première surprise, les filles sont très largement majoritaires dans cette marche, et j’apprends qu’elles sont 70% au lycée, ce qui est révélateur des représentations très « genrées » des métiers, puisqu’au lycée Marcel Sembat, c’est l’inverse.

Au bout d’un moment, j’ai fait remarquer à l’historien qui animait la matinée que les 6 premières questions avaient été posés par des garçons. Farid L’Haoua, un des marcheurs témoins du débat a directement appelé les filles à prendre la parole… Et ce fut une déferlante avec au moins dix questions de suite posées par des filles. Cela a permis de rappeler qu’il y avait bien de nombreuses jeunes femmes dans la marche, même si les photos les plus connues ne montrent presque que de jeunes hommes..

Deuxième remarque sur les questions lycéennes, elles tournent beaucoup autour de l’engagement, sans doute impressionnés par cette marche de 1983 devenue un évènement historique, qu’ils ont étudié avec leurs professeurs d’histoire. "Pourquoi vous êtes vous engagés ? que faisiez-vous avant ? qu’avez vous fait après ? Que fait-on après être passé à la une des médias ? Si vous ne l’aviez pas fait, qu’est-ce qui aurait changé ? Il y a visiblement une interrogation salutaire de la jeunesse dont on dit qu’elle ne s’engage plus, mais qui cherche sans doute des modèles que les adultes ne lui montrent pas beaucoup…

Le premier article du Progrès fait un contresens total qui fait réagir… Il titre sur « la marche des beurs », alors même que tous les marcheurs répètent à chaque occasion que c’était une marche porteuse de la diversité, rejetant cette dénomination de marche des beurs que des médias ont diffusés parce-qu’ils ne comprenaient pas que la revendication des marcheurs était bien un appel à la république pour l’égalité des droits, pour faire reconnaitre leur place non pas d’enfants d’immigrés, mais de citoyen français !

Titre du premier article du Progrès : un contresens….
Heureusement, deux autres articles sont venus ensuite rétablir le nom de cette marche pour l’égalité et contre le racisme.

D’ailleurs à la question « la religion a-t-elle joué un rôle dans votre engagement », la réponse a été claire et précise : non ! aucun, il y avait un prêtre, un pasteur, des musulmans, mais tout le monde voulait plus de république pour tous !

La matinée est passée très vite, avec les témoignages des trois marcheurs, Arbi Rezgui qui habite toujours aux minguettes, Farid L’Haoua et Toumi Djaidja les plus connus médiatiquement.

L’historien Yvan Gastaut avait introduit le débat en resituant la marche comme un évènement révélant un tournant de l’histoire après les trente glorieuses et d’une part l’immigration massive de main d’œuvre ouvrière organisée par la France pour son développement industriel et urbain, et d’autre part le développement à marche forcée des « grands ensembles » pour sortir du mal logement hérité de la guerre… Puis au début des années 80, c’est la découverte que les immigrés ont des enfants français, qu’ils ne retourneront pas dans leur pays et que la France populaire a été transformée… et que le racisme hérité de l’histoire devient un frein terrible au développement même de la France et rend invivable ces grands ensemble si prometteurs. Cette prise de conscience est autant provoquée que révélée par la marche, mais c’est aussi la renaissance du Front National qui commence dans la même période.

J’ai fait remarqué en fin de débat qu’il y avait une autre dimension au tournant des années 80, c’est le « tournant de la rigueur » qui fait qu’on passe de décennies d’augmentation continue des salaires à une longue période de régression salariale jusqu’à faire de la France un pays de bas salaires. C’est le gouvernement de François Mitterrand qui reçoit les marcheurs à l’Élysée, mais qui organise en même temps la répression contre les grèves des ouvriers (immigrés) de l’automobile ! [1]

Et c’est sans doute une leçon de la marche pour tous ceux qui rêvent d’égalité réelle ! On ne peut avoir d’égalité des droits entre français et immigrés sans remettre en cause les inégalités sociales dans le travail.

La marche est un évènement historique qui a contribué à transformer la France. Nous ne sommes plus en 1983. Une large part de la jeunesse des quartiers a pris sa place dans la société française, comme le montre le clip vidéo du rappeur Kerry James intitulé « banlieusards » avec des dizaines de personnalités actuelles de la culture, de la science, de la vie publique, du sport qui sont « issues » de l’immigration. Et je sais que des centaines de jeunes des minguettes sont devenus ingénieurs, cadres, directeurs, consultants…

Pourtant les inégalités déchirent la France et les quartiers populaires restent le lieu des ségrégations, avec une partie de la jeunesse précarisée. Dans la métropole de Lyon, les demandeurs de logement les plus pauvres sont de moins en moins logés ailleurs que dans les grands ensemble… le contraire de la politique officielle du logement… Les victimes ne sont plus les immigrés du travail venant des anciennes colonies françaises, mais les migrants fuyant les guerres et la misère, travaillant dans les pires conditions, notamment avec les réformes successives du droit du travail qui donnent tous les droits à l’entreprise, et de moins en moins aux salariés, si ce n’est le droit individuel de partir…

Les inégalités ont la vie dure, et ce ne sont pas les grands ensembles qui en sont la cause, ils ne sont que le lieu du constat le plus brulant. Mais ils peuvent être le lieu de prises de conscience et d’engagement. C’est le message que les marcheurs de 1983 ont transmis aux jeunes d’aujourd’hui.

[1et instrumentalise le passage de Jean-Marie Le Pen à la télé afin de diviser la droite…

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